Il y aura bientôt un siècle, selon les dictionnaires compétents, que l’expression anglaise "the weekend" est passée dans la langue française, agrémentée d’un joli petit trait d’union : le week-end qui, prononcé avec un bon accent français, provoque immanquablement le sourire des anglophones. Depuis un siècle, nous n’avons que ce mot à la bouche quand arrive le vendredi, et il serait vain d’essayer de compter le nombre de fois où nous nous sommes souhaités les uns aux autres un bon, un joyeux, un agréable week-end.
Le premier jour
Pourtant, nous avons tout faux, comme l’évangile de ce matin de Pâques nous le révèle. Car, en parlant de week-end, nous avons tous spontanément en tête le duo du samedi et du dimanche, qui pour un certain nombre sont des jours de congé. Grossière erreur ! Car ce n’est pas le lundi que la semaine commence, mais le dimanche. Ainsi, le samedi est bel et bien le week-end, la fin de la semaine, tandis que le dimanche devrait logiquement s’appeler le "week-beginning" : il est le "premier jour de la semaine", comme l’écrit saint Jean au début de cet évangile du matin de Pâques.
Ce dimanche-là, lendemain du sabbat qui commémore le septième jour de la Création, le soleil peine à se lever sur une vie nouvelle pour les disciples éparpillés : une vie nouvelle sans Jésus ; une vie morne, désormais privée de but et de sens. Seule, Marie-Madeleine sort de son enfermement et vient faire enfin son deuil au tombeau, après les funérailles en catastrophe que le début du sabbat avait imposé, vendredi soir. Or, ce dimanche-là ne se passe absolument pas comme prévu, ni pour elle, ni pour Pierre et l’autre disciple, ni pour personne. Ni pour nous non plus : ce dimanche matin-là a bouleversé nos vies autant que les leurs, et il a effectivement été le premier jour, non seulement d’une semaine nouvelle, mais aussi de la vie nouvelle de ceux qui sont ressuscités avec le Christ, tournés désormais de tout leur être vers les réalités d’en-haut.
Un nouveau commencement
Aussi, lorsque, le dimanche matin, nous allons à la messe, ce n’est pas tout à fait pareil de nous dire que c’est le week-end ou que c’est le week-beginning. Dans le premier cas, la messe est le sabbat des chrétiens, qui ferme un cycle, qui termine la semaine écoulée et fait du dimanche un temps de repos avant de subir vaille que vaille, lundi matin, la reprise de l’école ou le retour au travail. Dans le second cas, le dimanche est d’abord le jour de la résurrection du Christ, prémices de la nôtre : un nouveau commencement, une façon de consacrer la semaine qui commence et de prier par anticipation pour ce que nous y vivrons.
Ce qui est certain, c’est que le dimanche est un pivot. Parce qu’il est le jour de la résurrection, il est indispensable à notre vie chrétienne. En l’an 304, au temps de la grande persécution de l’empereur Dèce, un groupe de chrétiens de la petite cité d’Abitène, dans l’actuelle Tunisie, avait été arrêtés en pleine messe par des soldats romains. Traduits devant le gouverneur qui leur demandait la raison de leur crime — cette eucharistie qu’il était rigoureusement interdit de célébrer — ils lui répondirent : "Sine dominico, non possumus !" Sans le dimanche, sans le jour du Seigneur et sans le don de l’eucharistie, nous ne pouvons pas vivre ! Une vie sans dimanche est une vie invivable. Mais une vie dans laquelle le dimanche arrive en premier peut tout changer.
Un jour nouveau qui ne finit pas
Saint Augustin suggère que le dimanche de Pâques n’est en réalité pas le premier jour, mais le huitième jour : ce n’est pas un retour au premier jour de la semaine du monde ancien, mais le premier jour des temps nouveaux. La résurrection inaugure, dit Augustin, l’Octavus æternus, le huitième jour éternel, le jour premier où Dieu nous montre qu’il nous a aimé le premier, le jour nouveau qui ne finit pas. Être chrétien, c’est être déjà ressuscité avec le Christ, et déjà goûter tout ce que cet éternel huitième jour nous offre : "Là, nous serons en paix, et nous verrons ; nous verrons et nous aimerons ; nous aimerons et nous louerons. Voilà ce qui sera, à la fin qui n’aura pas de fin" (La Cité de Dieu, XXII, 30). Demandons au Seigneur de nous faire vivre chaque dimanche comme s’il était le jour même de Pâques… ce qu’il est. Et de vivre chaque jour comme un dimanche. Et de vivre chaque instant de notre vie d’après l’éternité de vie et de joie que le Seigneur veut nous donner, lui qui nous mène, de commencement en commencement, vers la vie sans fin.