Parents de cinq enfants entre dix et deux ans, Pierre et Anne-Charlotte ont vécu à Paris, puis à Clermont-Ferrand, ils habitent maintenant Annecy. Lui travaille dans les RH et elle dans la finance. La grossesse d’Anselme s’est bien passée. "Nous avions fait le choix de refuser le dépistage de la trisomie 21", raconte Anne-Charlotte. "Je connais bien la trisomie, j’ai deux cousins trisomiques et j’ai été cheftaine de guides trisomiques. Pour autant nous n’avions aucune indication du handicap d’Anselme, c’est le seul de mes enfants pour lesquels la clarté nucale était nickel !"
Ce 2 février 2021 pourtant, Anselme est né et Pierre et Anne-Charlotte ont un doute. Leur bébé a les yeux un peu bridés, même si leurs autres enfants aussi ont les yeux en amande. "Je ne pensais pas que la foudre puisse tomber trois fois au même endroit", raconte Anne-Charlotte. "Un silence inhabituel régnait dans la salle d'accouchement. Nous sommes restés deux heures ensemble, le personnel médical nous a laissés. Il était tôt, le pédiatre n’était pas encore arrivé." Et seul le pédiatre est autorisé à parler aux parents d’un problème éventuel.
Après l'accouchement, "un silence inhabituel"
"Pendant ces deux heures tous les trois, Anselme était calme, tout mignon. Quand le pédiatre est arrivé, Pierre a accompagné notre bébé pour être examiné, et là le médecin lui a dit : “On va aller voir votre femme.” Le médecin avait l’air grave. Pierre m’a raconté que ça a été la traversée de couloir la plus longue de sa vie", se souvient Anne-Charlotte avec émotion.
En effet, le pédiatre a partagé des mauvaises nouvelles. "Il y a un problème, votre bébé est hypotonique. Il y a peut-être un problème grave, il est peut-être trisomique. Il a aussi un problème de glycémie." Anne-Charlotte se sentait sur la crête d’une falaise, devant sa vie qui allait basculer. Elle se souvient avoir pensé : "Trisomique, d’accord, mais la glycémie ça c’est trop : pas question que mon bébé parte en réanimation et que je sois séparée de lui."
Une question : "Comment fait-on ?"
Finalement Pierre, Anne-Charlotte et Anselme ont pu rester ensemble. Il allait falloir annoncer la grande joie de la naissance d’Anselme, ainsi que la douleur de son handicap. Anne-Charlotte se souvient : "Même fiancés nous rêvions déjà de notre retraite, vieux et tranquilles ensemble ! Tout à coup, nous réalisions qu’il y aurait toujours quelqu’un avec nous. Nous basculions vers autre chose, sans savoir où cela allait nous mener."
Pierre et Anne-Charlotte ont pris un moment pour décider qui appeler en premier pour annoncer cette naissance. "Nous avons choisi d’appeler mes parents d’abord. Simplement parce que maman a deux frères, et une très bonne amie ayant un enfant trisomique. Nous nous sommes dit qu’elle serait un bon soutien. Nous avons prononcé ces mots : “Anselme est né. Il est trisomique.” Maman a répondu : “Ca va bien se passer, on va vous aider.” Puis Pierre a eu mon père. Et j’ai été témoin de ces deux hommes qui pleurent ensemble. Ensuite nous avons appelé ma sœur, son mari est le parrain d’Anselme. Nous avons fait une petite pause pour reprendre nos forces avant de poursuivre les annonces. L'accueil a toujours été plein de compassion, de la part des parents de Pierre : “Ce bébé va apporter plein de choses à la famille.” La sœur de Pierre, marraine d’Anselme, a aussi été touchée : “Si je suis sa marraine, ça n’est pas pour rien.”
Tu vois, des milliers de personnes cherchent leur mission, toi elle vient d’arriver dans tes bras.
Pierre a également appelé le parrain de leur fils aîné, un ami très proche qui lui a dit : "Tu vois, des milliers de personnes cherchent leur mission, toi elle vient d’arriver dans tes bras." Le père de famille a ensuite annoncé la naissance d’Anselme aux autres enfants de la fratrie. Le message était évident : Anselme est leur bébé, il n’y avait aucun doute sur le fait qu’il fasse partie de la famille. Pierre a su trouver les mots : "Anselme est trisomique, ça ne change rien, mais notre vie va changer."
Le séjour à la maternité a été assez long, six jours pour s’occuper de la glycémie d’Anselme, du traitement d’une jaunisse et des examens médicaux. "Les soignants qui étaient là le jour de la naissance revenaient nous voir régulièrement", raconte Anne-Charlotte. "Je ne sais rien de leurs convictions religieuses ou autres, mais le personnel a été très à l’écoute, ils ont pris tous les rendez-vous nécessaires pour Anselme, ils nous ont accueillis et cocoonés."
Du déni à l’acceptation
"Le caryotype d’Anselme avait été égaré, nous avons eu les résultats définitifs après quatre jours seulement. Pourtant la trisomie d’Anselme était une évidence. Une évidence que j’ai niée pendant deux jours", partage Anne-Charlotte. "Je reconnaîtrais un enfant trisomique de dos dans la rue, avec un bonnet, mais là, je persistais à me dire que non, tout allait bien. Jusqu’au moment où je me suis dit : “Allez, arrête d’envoyer des photos où ça ne se voit pas. Il l’est vraiment.”"
Les frères et soeur d’Anselme ont eu la spontanéité d’accepter le handicap de leur frère comme un état de fait. Ils ont été très soutenus et entourés quand ils sont arrivés un mercredi matin à l’école pour partager la nouvelle de la naissance de leur frère, et de son handicap. Anne-Charlotte avait prévenu la directrice de l’école qui avait répondu "On va s’occuper des enfants." Anne-Charlotte raconte avec gratitude : "Les relais se sont multipliés dans Clermont, comme une vague d’amour des chrétiens de la cité. On nous a apporté des plats pour nos repas, d’autres se sont occupés des enfants. Nous avons été très entourés."
Même si la trisomie est souvent vue de loin, les gens connaissent ce handicap, il y a des associations dans toutes les villes.
Une fois le handicap accepté, la gravité s’est estompée peu à peu et la vie a retrouvé sa légèreté. Bien sûr, davantage de rendez-vous médicaux sont nécessaires pour un enfant trisomique : kiné, orthophoniste, ORL, etc. Depuis Annecy, certains rendez-vous médicaux doivent être pris à Lyon. Entre crèche et nounou, il faut choisir entre quelles mains confier l’enfant. L’organisation demande à être ajustée mais la vie quotidienne n’est pas pesante. "L’avantage de la trisomie, c’est que le diagnostic est clair et rapide. Une simple prise de sang, et on est fixé. Même si la trisomie est souvent vue de loin, les gens connaissent ce handicap, il y a des associations dans toutes les villes", encourage Anne-Charlotte.
La vie a repris son cours et Anne-Charlotte constate qu’Anselme est avant tout un enfant. "Il est encore petit alors il ne demande pas beaucoup plus d’attention qu’un bébé normal. Au contraire, il est si facile et calme que, les premières semaines, nous devions mettre un réveil pour le nourrir la nuit ! Sinon il pouvait sauter un repas sans rien dire. Les parents de tout-petits peuvent être fatigués, mais avoir un bébé aussi serein qu’Anselme est une grande aide. Il est même un enfant qui console ! Cela arrive souvent qu’un autre enfant vienne le voir pour trouver du réconfort, ou qu’il se tourne vers quelqu’un dans une assemblée pour le consoler."
L’institut Jérôme Lejeune a été d’un grand soutien pour que la famille trouve ses nouvelles marques. Ces soignants ne comptent pas leurs heures pour venir en aide aux familles vivant avec un enfant porteur de handicap. Anne-Charlotte a pu calmer ses moments de doutes grâce aux mots d’un médecin de l’institut Lejeune : "Ne vous remettez pas en cause, cet enfant va s’intégrer sans problème dans votre famille."
En effet, très vite après la naissance, la question du travail s’est posée, d’autant qu’Anne-Charlotte s’est vue proposer une belle évolution professionnelle. Elle pensait refuser en expliquant: "Tu comprends, je viens d’avoir un enfant trisomique alors je ne vais pas pouvoir prendre ce poste." Mais son interlocuteur lui a répondu : "Écoute, moi j’ai un enfant handicapé, tu peux prendre le poste, on peut tenir compte de ta situation."
Et cela a été vrai, le handicap d’Anselme n’a jamais fait obstacle au métier d’Anne-Charlotte. Au contraire. Elle poursuit : "La trisomie d’Anselme ouvre la porte à des discussions incroyables. Parfois les gens hésitent à partager leur histoire, en me disant qu’ils ne devraient pas parce que ma situation est pire que la leur, mais au contraire, j’aime écouter leur histoire et leurs faiblesses."
Et son manager de l'époque de commenter: "Anselme va te donner de l’envergure, il va t’ouvrir les ailes"
Anselme va te donner de l’envergure, il va t’ouvrir les ailes.
La vie n’est pas dure ou étouffante. La vie auprès d’un enfant trisomique a sa lumière. Anselme rayonne. Quand les gens sont heureux, lui est infiniment heureux, et il exprime sa joie. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de combats, mais ils ne sont pas là où l’on pense.
L’organisation ou le fait de ne pas savoir si Anselme sera autonome à l’âge adulte ne sont pas des poids. Anne-Charlotte l’exprime ainsi: "En tant que mère, je veux emmener Anselme au bout de ses talents, mais pas à n'importe quel prix. Les médecins voient les imperfections de son corps comme un échec, certains professionnels veulent absolument stimuler toujours plus Anselme pour lui faire rattraper sa classe d’âge, mais je ne souhaite pas cela. Ça serait nier son handicap. L’inclusivité à tout prix décourage. Le but n’est pas qu’il soit comme les autres, mais qu’il soit heureux et qu’il aille au paradis. C’est ce combat que je dois mener, et qui va augmenter au fur et à mesure qu’il grandit."
Les psychologues aident aussi, au fil des situations qui se présentent, à préserver l’équilibre familial. "Notre quatrième enfant, Théodore, a réalisé le handicap d’Anselme en même temps que notre déménagement. Il avait reçu la nouvelle à la naissance de son frère mais, comme il était petit, il n’avait pas bien compris. Un jour il nous a dit : “Anselme est cassé“ et cela impactait sa propre existence. Nous n’hésitons pas à demander de l’aide et un accompagnement quand c'est nécessaire."
Une vie intérieure plus développée
Au quotidien, toute la famille veille. Par exemple veiller à fermer la porte pour qu’Anselme ne tombe pas dans l’escalier, même si cent fois ses parents l’ont mis en garde. Cela peut être fatiguant. D’autant qu’il est difficile de sévir avec un enfant si gentil. Pourtant Anne-Charlotte poursuit : "Anselme a une vie intérieure bien plus développée que la nôtre. Il irradie même au-delà de notre famille. D’ailleurs il porte beaucoup d’intentions de prières et par exemple, une personne à Lyon atteinte d’un cancer lui a écrit pour le remercier de son intercession efficace, et continue à lui écrire pour donner des nouvelles."
Comme le père d'une jeune fille trisomique l’exprime : "Avoir un enfant trisomique est un bonheur que je n’ose souhaiter à personne." Vivre avec Anselme est un bonheur, une chance, un choc qui a transformé la vie de cette famille mais de façon positive. La clé : accepter, et s’abandonner.