Un dîner mondain comme un autre. Les conversations fusent autour du travail, des études ou des écoles à choisir pour les enfants, des futurs voyages. Chaque convive se lance dans un récit qui met en lumière, consciemment ou inconsciemment, son règne sur sa propre vie. C’est la règle du jeu, tout le monde la connaît : il faut montrer qu’on gère, qu’on décide, qu’on maîtrise son existence avec efficacité et succès. Sinon, on risque de passer pour un looser, un irresponsable ou du moins pour quelqu’un qui a "la tête dans les nuages" ou qui vit à la marge… Bien sûr, ça ne se passe pas toujours comme ça. Mais bien souvent, on a du mal à renoncer à l’idée de ce règne sur sa propre vie.
Désirer Dieu, c’est Le laisser régner en soi.
Un signe des temps, selon Denis Marquet, auteur du magnifique ouvrage La prière ou l’art de recevoir (à paraître chez Flammarion le 17 février). Il y explique que nous vivons une époque qui a instauré le règne du moi : "Toute notre vie est un combat pour le règne du moi. Désormais l’homme veut être l’auteur de son histoire, il refuse qu’un autre règne sur sa vie : il veut régner lui-même", écrit-il. Une conception du bonheur qui consiste à se dire : je suis heureux quand tout se passe comme je veux. Seulement voilà, ce règne du moi empêche le règne de Dieu. Alors que, poursuit l'auteur, "désirer Dieu, c’est Le laisser régner en soi". C’est connaître, avec ce désir de Dieu, la seule voie vers le vrai bonheur.
Règne du moi ou règne de Dieu ?
Lorsque les pharisiens demandent à Jésus "Quand vient le royaume de Dieu ?" Jésus leur répond "La venue du règne de Dieu n’est pas observable" (Luc 17, 20-21). "Il ne s’agit donc pas d’attendre le royaume, mais il s’agit de lui permettre de venir, c’est-à-dire de se manifester, maintenant. Comment ? En nous reliant à notre intériorité", souligne dans son ouvrage Denis Marquet.
Une seule chose peut faire obstacle à la manifestation du royaume de Dieu : laisser régner à l’intérieur de soi, une autre instance que Dieu.
La clé est donc de se détourner du monde extérieur, celui qui crée nos besoins et nos projections, pour se tourner vers son intérieur. C’est là, au cœur de l'intime que se tient le royaume de Dieu où règne un amour infini. "Pour cette raison, une seule chose peut faire obstacle à la manifestation du royaume de Dieu : laisser régner à l’intérieur de soi, une autre instance que Dieu", poursuit l’auteur.
Saint Bernard écrivait dans son Traité de l’Amour de Dieu : "Dieu a fait de toi un être de désir et ton désir, c’est lui, Dieu." Il s’inspirait d’Augustin qui définissait le désir comme "le fond du cœur". En désirant Dieu, on se rend capable d’être comblé par lui. Laisser Dieu régner en soi mène à la plénitude, le véritable bonheur.
Désirer Dieu, est-ce laisser de côté d’autres désirs ?
Il est fascinant de se dire que le désir de Dieu est inscrit dans chaque homme. Le Catéchisme de l’Église catholique s’ouvre d’ailleurs par cette considération :
"Le désir de Dieu est inscrit dans le cœur de l’homme, car l’homme est créé par Dieu et pour Dieu ; Dieu ne cesse d’attirer l’homme vers Lui, et ce n’est qu’en Dieu que l’homme trouvera la vérité et le bonheur qu’il ne cesse de chercher" (n. 27).
Mais est-ce que désirer Dieu signifie laisser de côté d’autres désirs ? Comment ne pas craindre de se laisser emporter par le désir absolu de Dieu, et au passage, renoncer aux autres choses de la vie, désirables aussi ? Si l’homme est "constamment traversé par de multiples désirs, son grand désir fondamental est une soif de plénitude sans fin, même s’il ne sait pas nommer cet attrait irrésistible", répond à sa manière Benoît XVI lors de l’audience générale du 7 novembre 2012 à l'occasion de l'Année de la foi.
Il ne s’agit donc pas de renoncer à ses désirs, mais de comprendre que dans chaque désir, il y a en réalité le désir de Dieu. "Cherchez d’abord le règne de Dieu, et tout le reste vous sera donné par surcroît" (Mt, 6, 33). Désirer Dieu, c’est accéder à l’abondance et à la grâce. C’est recevoir son amour infini.
"Que ton règne vienne", une école de désir
Le passage "Que ton règne vienne" de la prière Notre Père est une affirmation du désir de Dieu et de son règne en soi, à l’exclusion de tout autre pouvoir. "Vouloir le règne de Dieu, c’est renoncer à toute forme de pouvoir autre que celui de Dieu", reprend Denis Marquet. Désirer Dieu, c’est alors être toujours prêt à un cœur à cœur de plus en plus profond avec Lui. Saint Augustin le décrit admirablement :
"Dieu, en faisant attendre, élargit le désir ; en faisant désirer, il élargit l’âme ; en l’élargissant, il augmente sa capacité de recevoir. (...) Suppose que Dieu veuille te remplir de miel : si tu es rempli de vinaigre, où mettras-tu ce miel ? Il faut répandre le contenu du vase, il faut nettoyer le vase lui-même, il faut le nettoyer à force de travailler, à force de frotter, pour qu’il soit capable de recevoir autre chose. Dieu a fait de toi un être de désir et ton désir, c’est lui, Dieu." (Sermon de saint Augustin sur la 1ère lettre de Jean)
Ainsi le désir de Dieu, ce repos en Dieu permet alors une plénitude, celle aux deux éclats essentiels : la grâce et l’amour.