Ramzi Nadim Choueiri est une ancienne star de la télé qui écumait les plateaux dans les années 1990 pour y parler cuisine. Et pas n’importe laquelle : la cuisine libanaise, celle de son pays où il passé presque toute sa vie, entre de brefs passages à Lyon pour ses études, qui le font se sentir "un peu Français". "Chef Ramzi", comme on l’appelle encore aujourd’hui, est aussi le président de la Fondation Al-Kafaât. Créée en 1957 par son père, Nadim Choueiri, la fondation est spécialisée dans l’accueil des personnes porteuses de handicap et démunies. "J’ai grandi dans cette atmosphère, où mon père m’a appris à voir dans chaque personne handicapée un potentiel, une capacité immense", explique Ramzi à Aleteia. D’ailleurs, "Kafaât" signifie "capacité" en arabe.
Alors qu'il est encore étudiant au début des années 1990, en parallèle de ses études de commerce à Lyon, Ramzi entreprend de multiples stages en gastronomie. À son retour au Liban en 1992, il devient bénévole au sein de la fondation. Il y est à la fois trésorier et directeur de l’école hôtelière. Un an plus tard, le voilà contacté pour réaliser une émission télévisée de cuisine : "Je décide, avec l’appui de mon père, de me lancer dans cette aventure, mais j'ai gardé toutes mes responsabilités au sein du centre." C’est le début de l’émission "Chef Ramzi" qui, après trois ans, rencontre un succès immense dans tout le monde arabe. "Je deviens le premier chef arabe à avoir fait des émissions culinaires télévisées." Ramzi fait le tour du monde avec les équipes de télévision. Alors qu’il se trouve à Londres pour y tourner une émission sur les restaurants libanais de la capitale britannique, il décide d’entrer dans un petit restaurant sans prétention, "Chez Marcel". C'est ici, à des milliers de kilomètres de la Fondation, qu’il est servi par une cuisinière libanaise… qui n’est autre qu’une des premières jeunes filles recueillies par son père, formée au sein du centre Salima, le premier créé par Nadim.
Je suis convaincu que l’on ne peut se rapprocher de Dieu que si l’on se penche vers autrui, et surtout vers le plus démuni.
Une période de gloire qui dure jusqu’en 2010, date à laquelle le père de Ramzi tombe gravement malade. Le diagnostic tombe : il s’agit de Parkinson. La bascule s’opère lentement. Ramzi décide de passer plus de temps auprès de son père et de la Fondation. En 2017, Nadim meurt. Ramzi s’investit alors toujours davantage dans l'œuvre paternelle, jusqu’à en devenir le président, en 2018. Cette décision change le cours de sa vie. "Je vivais dans un monde fait de paillettes et de spots", sourit Ramzi. "Mais j’ai choisi de tout arrêter pour me consacrer à la Fondation : c’est un choix personnel, qui n’est pas uniquement lié à l'œuvre de mon père", souligne-t-il. "Je suis convaincu que l’on ne peut se rapprocher de Dieu que si l’on se penche vers autrui, et surtout vers le plus démuni." Un choix convaincu, mais qui n’en demeure pas moins difficile. Il faut renoncer à une vie très aisée, loin d’un pays natal en proie au chaos, pleine d’abondance. Renoncer, finalement, à la facilité. "C’est un choix qui a été dur à faire, mais je ne le regrette pas. On ne peut pas faire les deux."
Reconnue d’utilité publique, la fondation est la plus grande du monde arabe. Elle compte dix centres spécialisés, tous situés au Liban, qui viennent en aide aux personnes touchées par toutes sortes de handicaps, ainsi qu’aux jeunes en difficulté sociale et financière. L’ensemble des centres est gratuit et s’adresse à toute personne démunie ou vulnérable, toutes confessions confondues. La Fondation ne perçoit aucun revenu et doit fournir formations scolaires, universitaires et techniques, mais aussi hébergement, nourriture, soins médicaux et paramédicaux, et rémunérations pour les personnes employées.
Les difficultés imposées par la crise au Liban
Le Liban n’a aucune institution publique pour s’occuper des enfants et des personnes porteuses de handicap. Il est donc contraint de se tourner vers le secteur privé, qui reçoit des subventions publiques pour financer cette mission. Encore faut-il qu’elles soient dûment perçues. "Ces subventions n’ont jamais été ni bien calculées ni données ponctuellement", déclare encore Ramzi à Aleteia. La crise que traverse actuellement le Liban n’arrange rien. Au contraire, "c’est bien simple, cela fait deux ans que nous n’avons rien touché de la part de l'État", déplore-t-il. Poursuivre cette œuvre sans ces subventions relève donc ni plus ni moins du miracle. Tout du moins de la grâce providentielle. Sans les aides et les dons, "cela serait impossible", explique Ramzi. Tout est cher, trop cher. L'électricité est devenue un bien rare. La Fondation, comme tous les Libanais, est obligée de compter sur ses propres générateurs pour en bénéficier. "Aujourd’hui, nous n’arrivons pas à ouvrir nos centres que pour les externes, trois par semaines, il n’est pas possible d’ouvrir nos internats", glisse le président. "Et certains parents ne peuvent même pas emmener leurs enfants : l’essence est trop chère, et ils vivent parfois dans des immeubles sans ascenseurs, ce qui rend impossible les allers et venues aux centres."
Malgré cette situation chaotique, pas question de désespérer, ni d’abandonner. "En tant que croyant, je ne perds jamais espoir. Je sais que la Sainte Vierge ne me laissera jamais." Tôt ou tard, affirme Ramzi, "nous allons en sortir, de ce bourbier qui fait tant souffrir le peuple".