"Mon nom est David Michael de Penha. Mais porter un nom chrétien est un vrai problème en Birmanie". Le père Penha, Maung Maung Htun en birman, a 48 ans. Ordonné en 2004 au sein de la communauté salésienne de Don Bosco après une formation en théologie et en philosophie, il effectue ses premières années de sacerdoce à Shillong, au nord-est de l’Inde. Il passe ensuite l’essentiel de son sacerdoce en Birmanie, où il devient le témoin direct du calvaire enduré par les chrétiens. Arrivé aux États-Unis le 8 décembre 2013, il est en charge de trois paroisses, toutes situées dans l'État du Kansas (Midwest) : Saint-Jean dans la ville de Iola, Saint-Joseph dans la ville de Yates Center, et Saint-Martin dans la ville de Piqua. Il est également le directeur de la communication pour l’organisation à but non lucratif "Burmese American Catholics for Peace and Justice" (Les catholiques birmans américains pour la paix et la justice, ndlr), qui fournit une aide financière à l’Église catholique en Birmanie. La Birmanie, dictature militaire où les chrétiens sont des indésirables, est secouée par une guerre civile sans fin provoquée par le coup d'État de la junte militaire, le 1er février 2021. Outre les villages incendiés, les églises sont régulièrement profanées et détruites, les prêtres arrêtés, et les chrétiens parfois sauvagement assassinés. Plusieurs exactions ont été recensées contre cette minorité déjà victime de discriminations avant même le coup d’État.
Le père Penha témoignera de la situation des chrétiens birmans au cours de la Nuit des Témoins, organisée par l’Aide à l’Église en détresse du 21 au 27 janvier 2023. Cet événement spirituel d’ampleur mettra à l’honneur, aux côtés de la Birmanie, deux autres pays : le Tchad et Haïti. Cinq veillées sont prévues dans cinq villes différentes (Saint-Germain en Laye, Lille, Lyon, Paris et Nice). Un grand moment de communion spirituelle au cours duquel les chrétiens sont invités à prier, chanter et méditer sur les fruits du martyr grâce aux témoignages, pleins d’espérance, de ceux qui ont vu et vécu la souffrance. Cette année, douze prêtres et trois religieuses ont perdu la vie pour défendre le message du Christ. Un moyen concret de se souvenir des chrétiens persécutés pour leur foi, qui ne cesse de rassembler chaque année des milliers de fidèles.
Aleteia : Comment se manifeste la violence à l’égard des chrétiens en Birmanie ? Père David Michael de Penha : La persécution ne prend pas systématiquement la forme d'une violence physique. Initialement, il s’agit d’une politique de discrimination contre les chrétiens et de toutes les autres minorités religieuses qui s’applique depuis 1962. Cette date marque l'arrivée au pouvoir du général Ne Win et de la nationalisation des écoles catholiques. Par exemple, lorsque le célèbre film Les Dix Commandements a été projeté et que les salles de cinéma étaient bondées, le gouvernement socialiste s'est rendu compte de l'influence que la religion chrétienne pouvait exercer sur la population. Il a donc interdit les films chrétiens dans les salles de cinéma. D’autre part, l'État empêche par des lois totalement injustes l'acquisition de terrains ou la construction d’églises pour les chrétiens. Les paroisses ne disposent pas de comptes bancaires, donc les terrains, les églises ou les presbytères sont enregistrés comme des possessions de particuliers.
Les églises sont bombardées. Des enfants sont morts parce qu’ils cherchaient refuge dans une église après le bombardement de leur village. Des villages à majorité catholique sont brûlés.
Les chrétiens subissent-ils aussi ces discriminations dans leurs vies personnelles ?
Oui, les chrétiens ne sont pas considérés comme des citoyens normaux. Par exemple, dans l’armée, si votre dossier personnel atteste que vous êtes chrétien, vous n’arriverez jamais à dépasser le plafond de verre mis en place par le pouvoir qui bloquera toute possibilité pour votre carrière de progresser. Avant même le coup d'État de 2021, le gouvernement infligeait des traitements différents selon les ethnies et les minorités religieuses. Par exemple, lorsqu’il mettait en place des plans d’aide au développement, les chrétiens se retrouvaient sans aide pour l’éducation des enfants, ou encore pour avoir accès aux soins et à la santé, pour obtenir des moyens de transport adaptés… L’ensemble de ces injustices a un effet considérable sur la vie quotidienne des gens. Aujourd’hui, depuis le coup d'État de la junte, c’est l’ensemble du pays qui est concerné : dès lors que l’on est considéré comme un ennemi, on est stigmatisé.
La junte qui est à l’origine du coup de 2021 vise-t-elle spécialement les chrétiens ?
Aujourd’hui, les chrétiens sont directement attaqués par les militaires. Certains diocèses sont particulièrement visés, comme le diocèse de Loikaw, l'archidiocèse de Mandalay et les diocèses de Kalay et Harkha, situés au nord du pays. Les églises sont bombardées. Des enfants sont morts parce qu’ils cherchaient refuge dans une église après le bombardement de leur village. Des villages à majorité catholique sont brûlés. Les militaires de la junte cumulent les crimes de guerre, dont un particulièrement terrible qui consiste à brûler vifs les enfants, les femmes et les hommes. J’ai appris un jour que le frère d’un de mes amis était mort brûlé vif dans sa voiture. Il s’était marié seulement un mois avant ce drame. Les villages de mes grands-parents ont aussi été attaqués, et de nombreuses personnes de ma connaissance ont perdu tout ce qu’ils possédaient, à commencer par leur maison. Ma propre mère abrite dans sa maison trois familles dont cinq enfants.
Nos prêtres parviennent à aider les gens tant bien que mal, parfois au péril de leur vie. Beaucoup donnent les sacrements aux Forces de défense du peuple.
Les diocèses parviennent-ils à se mobiliser pour aider les personnes concernées par ces drames ?
Oui, notamment l’archidiocèse de Mandalay qui apporte une aide considérable aux familles en détresse. Certaines de ses paroisses prennent en charge des familles entières pour les loger et leur apporter un minimum de confort. Près de 500 personnes sont déplacées de leur domicile. Elles vivent dans des tentes depuis des mois, et parviennent à se nourrir avec deux repas par jour grâce aux volontaires du diocèse. Nos prêtres parviennent à aider les gens tant bien que mal, parfois au péril de leur vie. Beaucoup donnent les sacrements aux Forces de défense du peuple (groupes d’autodéfense contre la junte birmane, ndlr). Les dirigeants de l'Église, de leur côté, essaient de ne pas prendre parti. Ils craignent d’aggraver l’inimitié avec l’armée.
Les chrétiens perdent-ils espoir ? Parviennent-ils à garder la foi malgré les souffrances endurées ?
Les chrétiens, notamment les catholiques, se sentent abandonnés par le clergé à la tête de l'Église birmane. Mais ils ne se sentent pas abandonnés par Dieu. Je n’ai eu, jusqu’à présent, connaissance d’aucune personne qui a perdu espoir au point de renier sa foi. Malgré tout, il est évident que les cris du peuple chrétien de Birmanie ne sont pas assez entendus. Ni des médias, ni du monde, ni de l'Église catholique. C’est pourtant toute l'Église qui devrait réaliser ce qui arrive en ce moment à l'Église de Birmanie, qui est l’une des plus souffrantes et des plus oubliées du monde. Depuis que je réside aux États-Unis, les choses évoluent progressivement. Je constate que les gens organisent des événements pour parler de ce conflit et des persécutions subies, ou encore des collectes de fonds. Je suis stupéfait de cette générosité, qui nous aide à lutter. Témoigner grâce à l’Aide à l'Église en détresse est aussi un moyen extraordinaire de faire entendre nos voix, et de crier de ne pas nous oublier.
Pratique
Saint-Germain-en-Laye : Église Saint-Germain, samedi 21 janvier 2023 de 20h à 22h
Lyon : Basilique Saint-Bonaventure, dimanche 22 janvier 2023 de 19h30 à 21h30
Nice : Basilique Notre-Dame de l’Assomption, lundi 23 janvier 2023 de 19h à 21h
Lille : Cathédrale Notre-Dame de la Treille, jeudi 26 janvier 2023 de 19h à 21h
Paris : Église Saint-Sulpice, vendredi 27 janvier 2023, de 20h à 22h