Benoît XVI repose désormais dans la paix de Dieu. Et lui qui fut à la fois un grand penseur et un fin défenseur de la tradition de l’Église, suffisamment pour poser, avec sa renonciation, un acte ayant abasourdi les plus libéraux des commentateurs, nous offre en ces jours, dans le silence de son dernier sommeil, une dernière et capitale leçon. Alors que le monde occidental n’a de cesse de rejeter les moribonds et les morts dans ses confins les plus reculés, alors qu’il tend à réduire le mystère de la mort à un problème technique, pour les transhumanistes, ou législatif, pour les tenants de l’euthanasie — comme si le droit de "choisir sa mort" allait magiquement la délester de son poids d’interrogations métaphysiques —, alors qu’il met en œuvre une ingéniosité sans limite pour faire disparaître au plus vite les cadavres (en fumée, en compost, en diamant), depuis quelques jours se multiplient dans la presse les images de la dépouille du pape émérite.
Dans son ultime abandon
Le voici donc, cet homme si bon, cet intellectuel si brillant, ce pape si timide saisi dans la posture des gisants, les mains agrippées à son chapelet noir, avec à ses pieds des souliers étonnamment vernis et à son visage méconnaissable le teint cireux des trépassés. Le voici donc qui, avec une simplicité désarmante, avec une humilité bouleversante, s’offre aux regards de l’Église et du monde dans la dernière nudité de sa condition. Ecce homo. Voici l’homme. L’homme dans son ultime faiblesse. Son extrême abandon.
Mais Benoît XVI, avec toute la force de son intelligence, avec toute la vigueur de sa foi, avait mis ses pas dans ceux d’un Maître qui avait déclaré : "Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie." Et, si l’on y regarde à deux fois, ce corps à la fois si frêle et si lourd ne semble pas témoigner que de lui-même, c’est-à-dire de sa prochaine dissolution : le buste légèrement surélevé, la tête délicatement penchée de côté, le menton relevé vers le ciel, et comme avec un ineffable sourire qui flotte sur ses traits, il attend. Il espère. Alors qu’il se tient aux frontières du néant, ce n’est pas du néant qu’il nous parle, mais de son amoureuse apothéose.
L’éminente dignité de l’être humain
Figé dans sa dernière attitude, Benoît XVI nous aide à saisir la portée immense du christianisme : la réalité est sauvée. La mort est là, toujours, le cadavre est froid, les larmes sont chaudes, mais tout cela est désormais traversé, déchiré, d’une espérance qui sans rien nier de la souffrance l’ouvre sur une joie sans limite. Paradoxe rédempteur qui nous donne la force d’aimer véritablement le monde — peut-être notre seul, mais ô combien magnifique devoir.
Je songe à tous ceux que l’on convainc peu à peu que leur décrépitude physique est synonyme de vie absurde et inhumaine.
Dans une récente tribune publiée dans le Figaro, Raphaël Enthoven et Pierre Juston écrivent, entre autres raisons pour lesquelles ils se déclarent favorables à l’euthanasie : "On ne guérit pas à coup de bienveillance le désespoir d’être aphasique ou impotent. Aucune lumière venue d’un autre ne rend l’envie de vivre à celui qui est l’ombre de lui-même." Je songe, en lisant ces lignes, à ces milliers de malheureux que ces bons apôtres du progrès enferment cyniquement dans leur désespoir. Je songe à tous ceux que l’on convainc peu à peu que leur décrépitude physique est synonyme de vie absurde et inhumaine. Je songe à la souffrance des proches qui devront faire semblant d’accepter sans ciller la violence du suicide assisté. Je songe à la dépouille de Benoît XVI qui, avant de glisser dans l’ombre du tombeau, manifeste l’éminente dignité de l’être humain, jusqu’à l’ultime étape de son parcours terrestre.