Dès 6h30 du matin, ils sont là : quelques centaines de personnes attendent patiemment et silencieusement, sur la via della Conciliazione encore plongée dans la nuit, que s’ouvrent les barrières de sécurité pour accéder à la place Saint-Pierre. Parmi eux, des prêtres, des religieuses, et de nombreux Bavarois venus en costumes traditionnels, pour rendre un dernier hommage au pape né sur leur terre.
Au milieu de ceux qui sont arrivés aux aurores, un jeune diacre ordonné la veille, Fernando, originaire de Colombie. "Je vois comme un cadeau de pouvoir être à Rome en ce moment historique pour l’Église", confie-t-il. Le religieux légionnaire du Christ s’est même proposé pour distribuer la communion, heureux de pouvoir ainsi "remercier pour tout ce que le pape Benoît a fait pour nous".
"C’est le pape de l’humilité"
Tandis que les accès s’ouvrent un peu avant 7 heures, la foule s’ébranle, pressée d’arriver au plus près du parvis. Sous les colonnades où s’allongent les files devant les portiques de détection de métaux, des groupes français se croisent, échangent des salutations. Des religieuses hâtent le pas pour rejoindre au plus vite les sièges postés sur la place, des prêtres en soutane cherchent l’espace des concélébrants, orientés par les gardes suisses en faction dans les allées.
Le père Olivier Foulon, du diocèse de Nanterre, est arrivé la veille pour "prier pour le Pape" défunt et pour "rendre grâce avec toute l’Église". Il se remémore "l’exemple de tout ce qu’il a pu nous enseigner par sa vie et par ses paroles". Benoît XVI, explique-t-il, "c’est le Pape que j’ai nommé dans ma première messe quand j’ai été ordonné. C’est aussi le Pape qui a institué l’Année du sacerdoce et tous ses enseignements sont pour moi un fondement". Enfin, "c’est le Pape de l’humilité, je trouve très beau qu’il soit mort au dernier jour de l’année".
Déjà installés sur les sièges aux couleurs délavées par le temps, chaudement emmitouflés, un groupe de quatre Italiens a fait la route depuis Rimini – sur la côte adriatique à 400 kilomètres de Rome. Bernardo exprime son "affection pour le Saint-Père" auquel il est venu dire adieu. "C’est un guide spirituel pour moi, une personne importante." Valentina, à ses côtés, se dit "liée au pape Ratzinger", ayant participé à la première Journée mondiale de la jeunesse de son pontificat, à Cologne, en 2005, et étant née le même jour que le pape allemand, un 16 avril. "Pour moi c’est un chapitre qui se referme. Je sentais que je devais être ici aujourd’hui pour le saluer simplement."
Carlo a lui aussi senti l’impératif de "venir en personne". À la nouvelle de la mort du pape émérite, ce jeune trentenaire s’est rendu compte qu’il avait "sous-évalué" cette figure de pape au pontificat fugitif. "J’ai lu sur lui, et en réalité il a été un excellent pape et un excellent exemple, donc je suis là parce que j’ai trouvé que ce n’était pas suffisant de lire un livre."
Dans l’allée pavée, sœur Rita, de la congrégation des soeurs carmélites du Divin Cœur de Jésus, cherche une place. Cette religieuse du Cameroun, qui vit à Rome depuis mars dernier, fait mémoire de Benoît XVI comme d’un homme qui savait "garder le silence". "C’était une personne pleine d’amour et de patience, cela se sent dans ses textes."
Je ne le connaissais pas beaucoup, mais il était le Pape.”
Une petite heure avant la célébration, tandis que se referment les espaces fournis de chaises, relativement remplis, les quelques derniers pèlerins isolés se positionnent au fond de la place Saint-Pierre, qui reste vide et calme. Debout près des barrières où stationnent les forces de l’ordre, Kraus est venu de Ratisbonne en Bavière, où Benoît XVI fut enseignant. "Il était l’un des théologiens les plus importants, mais en plus d’être théologien, c’était aussi un homme bon", se souvient l’Allemand sexagénaire qui a connu "personnellement" le pape émérite alors que son frère était directeur du chœur de Ratisbonne. "C’est très important pour moi d’être là, insiste-t-il. J’ai pris mes billets immédiatement quand j’ai su la date."
Les minutes s’égrènent et aux alentours de 8h50, le cercueil du 265e pape est conduit en lente procession, salué par les applaudissements respectueux de la foule. Fionnbharr, jeune Irlandais originaire de Belfast, réalise que si sa présence à Rome est un hasard – ses vacances étaient prévues de longue date – il est en train de vivre "un moment historique". "C’est la première fois qu’un pape préside les funérailles de son prédécesseur ; et ce n’est pas si souvent qu’on assiste à des funérailles de pape", note ce catholique, qui admet : "Je ne le connaissais pas beaucoup, mais il était le Pape."
"François doit maintenant sentir une certaine solitude"
Après le chapelet, la messe débute, sobre, sous la présidence du pape François. Dans une homélie non moins sobre, le pontife argentin salue la "sagesse", la "douceur" et le "dévouement" de son prédécesseur. Avant de s’incliner plus tard, au terme de la messe, devant le cercueil de Benoît XVI, dans un moment poignant. Silencieux, digne, le pontife argentin pose alors une main sur le coffre de bois, exprimant l’adieu d’un pape à un autre pape. "François doit maintenant sentir une certaine solitude, de ne plus avoir un autre pape comme conseil", note le père Olivier en levant les yeux sur les fenêtres du palais apostolique.
Bientôt, concluant une heure et quart de célébration, le cercueil s’éloigne, emmené par douze hommes dans les grottes vaticanes. Une bannière “Santo subito” est déployée et quelques voix dans la foule scandent cet appel à une canonisation rapide. “Danke Papst Benedikt”, voit-on aussi parmi les délégations bavaroises, qui entonnent l’hymne Gott mit dir, du Land der Bayern.
Benoît XVI sera enterré loin du champ des caméras, à l’emplacement de ce qui fut la tombe de Jean Paul II de 2005 à 2011. Les derniers applaudissements s’éteignent alors que le cercueil disparaît.
Dans la foule qui commence à quitter la place, Alejandra, de Bolivie, étudiante à Rome, est émue d’avoir assisté aux funérailles de celui "qui a su être fidèle à ce qu’il croyait jusqu’à la fin". Benoît XVI, ajoute-elle, "a été un grand exemple d’une personne qui a su se mettre à l’écart et laisser la place à une autre personne, quand l’Église en avait besoin. Il a mis le bien commun avant ses propres désirs".