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[CONTE DE NOËL] La crèche de Notre-Dame de la Vallée

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Bertrand Galimard Flavigny - publié le 19/12/22
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Ce conte de Bertrand Galimard-Flavigny est l’histoire d’une nuit de Noël sans messe, dans l’obscurité d’une chapelle à l’abandon et de la campagne enneigée. La famille est au complet ou presque, quand soudain, les bougies s’éteignent…

Les portes sont fermées, mais les lumières sont restées allumées dans la cuisine, la salle à manger et le salon, afin de donner l’illusion d’une maison occupée. Typhaine, qui ne peut se déplacer, en est la gardienne cachée. Elle entend les uns et les autres s’engouffrer dans les voitures et claquer les portières. Comme autrefois des carrosses, les cinq berlines font le tour de la grande pelouse et s’enfoncent dans la nuit. La lune a beau tenter d’éclairer la scène, les branchages par-dessus les allées masquent ses rayons. La visibilité est faible sur la route, le cortège saute entre les phares des voitures venant en sens contraire. On doit tourner sur la gauche, au creux de la côte. Est-ce le second ou le troisième chemin ? Jean est péremptoire : c’est le troisième. Élisabeth doute, d’autant plus qu’il lui semble avoir raté le second. Derrière, Gwenaël suit sagement la voiture de sa mère. Ils s’engagent toujours l’un derrière l’autre. Les autres ont disparu, avalés par la nuit. La route choisie est particulièrement étroite, les bords du chemin tombent dans des fossés que l’on ne distingue pas. 

"Comment opérer un demi-tour ? se demande Élisabeth.

— Continue, recommande Jean. Tiens, des phares en face. Comment se croiser ?"

Ce sont les autres. Vitres ouvertes contre vitres ouvertes, ils échangent leurs impressions : "Nous ne l’avons pas trouvée, nous sommes arrivés dans un champ", annonce, piteux, François. "Retournez, suivez-nous." C’est la confusion. Aucune habitation, la plaine s’étend sans obstacle, depuis que toutes les haies ont été rasées pour augmenter les surfaces cultivables. Sans refuge naturel, la faune s’en est allée. Là, un carrefour en T : "Prends à droite." Encore quelques mètres, ils parviennent dans un hameau. Il fallait le savoir et se glisser entre deux haies. Dans la lumière des phares, la chapelle de Notre-Dame de la Vallée surgit en contrepied d’un remblai, bordant un ru affluent de la Mayenne.

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Une petite cloche venue de nulle part

Dans la maison, le sapin continue inlassablement de clignoter au son d’une mélodie aigrelette diffusée par la boîte de la guirlande. Les chaussures posées à ses pieds par les enfants, montent la garde. Les personnages de la crèche dressée dans l’âtre de la cheminée transformée en immense grotte s’animent comme le feraient ceux de la vie quotidienne. Une petite cloche venue de nulle part, sonne l’appel de la messe de la Nativité. Mais la maison est vide. Dans la campagne, les églises sont fermées et celles qui sont ouvertes, les plus grandes, ne peuvent accueillir qu’un nombre restreint de fidèles. Les chants en sont appauvris, malgré leur ferveur ; le froid s’insinue, humide, entre les bancs obstrués. Les adultes de la famille ont tenu un conciliabule afin de pallier la messe dite de Minuit. Est-ce Annick qui a suggéré de monter vers l’oratoire consacré à Marie, en haut de la colline ? Impossible, explique Gwenaël qui en revient. "Le chemin est boueux, les fortes pluies l’ont raviné ; les enfants vont patauger et revenir plus crottés qu’après le chemin de l’aventure organisé par François pour son fils." Élisabeth qui aime particulièrement Notre-Dame de la Vallée, ce lieu de pèlerinage qui se déroule chaque année lors de la Pentecôte et rencontre une réelle dévotion de la part des habitants de la région, suggère d’y organiser une petite cérémonie qui tiendrait lieu de soirée de la Nativité.

La porte grince

La façade toute simple luit étrangement dans la nuit, sans doute des restes de lueurs des phares de voitures. Celles-ci sont éparpillées dans le champ à l’arrière. Les membres de la famille, grands-parents, oncles et tantes et enfants, des moins jeunes aux plus jeunes, trébuchent dans les herbes mouillées et les ornières remplies d’eau. Ils progressent en désordre avec des exclamations joyeuses. Élisabeth songe aux intentions de prière qu’elle a souvent déposées ici, mais ne dit mot. "Qui a la clef de la porte de la chapelle ? Ah, c’est Beaudoin." La porte grince, évidemment, ce qui fait dire à Côme que toutes les histoires d’horreur débutent dans les chapelles. Les plus jeunes n’en n’ont cure et se précipitent dans la petite église, plongée dans l’obscurité. On allume bougies et cierges dont les flammes se reflètent dans les vitraux colorés. L’assistance, du moins celle qui découvre l’endroit, est surprise par les plaques de marbre tapissant les murs. Ces nombreux ex-voto témoignent des bienfaits de Notre-Dame de la Vallée. Des statuettes à l’effigie de plusieurs saints sont disposées sur l’autel, et de part et d’autre de la table de communion. 

C’est la première fois que l’on célèbre ici la Nativité. Rien n’a été préparé pour ; pas de crèche, pas de sapin dont les boules blanches ou rouges reflètent les visages pâles ou rosis

Chacune de leur côté, Élisabeth et ses sœurs et surtout Granny, qui ont connu la chapelle dans une autre splendeur, se souviennent des offices célébrés ici. Elles tentent de retrouver les parfums d’encens et les chants lancinants des rites d’avant le concile. C’est la première fois que l’on célèbre ici la Nativité. Rien n’a été préparé pour ; pas de crèche, pas de sapin dont les boules blanches ou rouges reflètent les visages pâles ou rosis, pas d’enfants de chœurs, presque endormis, pas de prêtre dont les ornements blancs et or donnent une certaine solennité. La famille pourtant s’apprête à fêter Noël. 

Une silhouette surgit dans la faible lumière

Jean, tournant le dos à l’autel, dit qu’il va réciter le plus beau des contes de Noël, celui écrit par saint Luc. Éclairé par une bougie, il lit le passage de son Évangile ; à peine achevé, éclate Il est né le divin enfant. Chacun s’égosille afin de donner plus d’ampleur au chant. Côme, Philippine et Raphaël, les plus grands des petits disent des intentions. Les flammes des bougies que chacun tient plus ou moins droites promènent sur les visages des couleurs variant de l’ocre au rouge. Soudain, sans que le portail soit ouvert, sans qu’un souffle balaie la petite nef, les bougies s’éteignent, sauf une. Celle-là toute tremblotante éclaire à peine un point précis devant l’autel.

Ils ont la mine ravie, comme s’ils avaient joué un bon tour aux adultes.

Chacun est saisi devant ce phénomène. Le silence s’installe. Il ne dure pas, une voix cristalline s’élève tandis qu’une silhouette surgit dans la faible lumière. À mesure que le chant monte, deux autres silhouettes viennent entourer la première, joignant leur voix à la sienne. Depuis la voûte du chœur, une étoile jette l’un de ses rayons dorés sur la scène et l’on voit apparaître une crèche vivante : Philippine, Raphaël et Victoria, Armel et le petit Oscar en sont les acteurs. Ils ont la mine ravie, comme s’ils avaient joué un bon tour aux adultes. Non, car Notre-Dame de la Vallée a quitté le piédestal sur lequel elle a été figée depuis trois siècles afin de protéger ces enfants de son vaste manteau bleu. Alors, Solène, la mère de trois d’entre eux, entonne l’Ave Maria de Gounod…

Dehors, la pluie s’est elle aussi transformée ; quelques timides flocons de neige viennent éclairer le paysage. Dans la maison, la crèche s’anime à nouveau, Typhaine qui a pu se lever sans qu’elle sache comment, se penche vers elle et distingue cinq nouveaux santons autour de l’Enfant Jésus. 

Pratique :

Contes de Noël et autres contes des familles
IBAcom, 2022, 285 pages, 20 €
Par Bertrand Galimard Flavigny
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