Nos élites n’aiment pas les élections. Elles ne cessent de discourir sur les "valeurs de la République", mais elles détestent le suffrage universel qui en est la première. Il me faut confesser que, comme beaucoup de lecteurs d’Aleteia, je continue de voter à chaque élection. Mais, fait nouveau, mes amis désormais me regardent avec un sourire amusé : "Il y croit encore, c’est beau !" Et les professionnels de l’action publique, élus ou journalistes, quand ils s’en aperçoivent, lèvent un sourcil soupçonneux : "S’il vote encore, ce ne peut être que pour les extrêmes." Voilà à quoi est arrivé, chez les sages et les savants de notre République, l’image du suffrage universel.
Tout pouvoir élu est suspect
"Élection piège à c…" disait naguère le peuple exaspéré. À présent, ce sont les élites qui le disent avec leurs mots savants. Elles expliquent que les élections laissées à elles même sont un boulevard offert au populisme. Elles détestent les référendums qu’elles appellent plébiscites. Et si par hasard les électeurs ont l’audace d’opiner contre leur projet, comme cela est arrivé en 2005 à propos de la Constitution européenne, elles s’organisent pour en en annihiler les conséquences. Ces mêmes élites commencent même à nous expliquer, avec des raisonnements limpides et bienveillants, qu’il serait temps d’en finir avec cette folie paléo-gaulliste qu’est l’élection du président de la République au suffrage universel. Nous autres, le peuple, nous votons trop, et surtout nous votons mal.
Dans l’esprit de nos élites, tout pouvoir issu de l’élection est devenu suspect. Et tout pouvoir qui ne doit rien aux urnes est présumé vertueux. On peut ainsi expliquer l’ascension irrésistible des autorités indépendantes (ainsi nommées car elles ne doivent rien aux urnes), l’essor des juridictions de toutes sortes, le triomphe des technostructures bruxelloises, la prise de pouvoir par les cabinets d’audit, et la mode des fameuses "conventions citoyennes", dernière idée à la mode de ceux qui n’ont aucune idée et se méfient du peuple. Tous les pouvoirs qui montent sont non-élus. Tous les pouvoirs qui sont élus déclinent. Les ministres sont désormais moins payés que leurs directeurs, et leurs directeurs moins payés que les auditeurs externes qui font leur travail à leur place.
S’en remettre au hasard arrangé
La politique est censée organiser deux grandes catégories d’enjeux : notre sort économique, qui est devenu l’affaire des pouvoirs européens, et notre sort sociétal, qui est devenu l’affaire des conventions citoyennes. On nous expliquera bientôt que l’étape du Parlement est du temps perdu dans la course à l’abîme. La Convention citoyenne sur la fin de vie — comme avant le fut la Convention pour le climat — est une caricature de démocratie représentative. Plutôt que de s’en remettre à des élus responsables, le chef de l’État préfère s’en remettre au hasard arrangé. Ainsi, 170 citoyens, répartis en six catégories censées représenter la diversité du peuple, seront tirés au sort. On se demande pourquoi on prend tant de peine. Il serait encore plus simple de payer McKinsey, pour rédiger les décisions. Nous y allons.
Dans son entreprise de grande standardisation de la France, le président Emmanuel Macron semble rêver d’un État dans lequel des panels de citoyens tirés au sort délibéreraient sur des propositions rédigées par des cabinets d’audit. Les bureaux de vote, le Parlement, les corps constitués, tous ces fauteurs de CO2 et de propos nauséabonds, seront renvoyés dans leurs foyers : alors la République sera bien morte.