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Le réalisme de l’art gothique, une nouvelle conception de l’homme

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Détails du portail nord de la cathédrale de Chartres.

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Philippe-Emmanuel Krautter - publié le 13/12/22
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Curieusement, ce que nous nommons aujourd’hui "art gothique" était naguère, à la période de la Renaissance, une manière péjorative de désigner un art considéré comme barbare. Et pourtant le flamboiement des ogives des cathédrales européennes allait offrir un majestueux démenti à cette critique injuste…

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Au-delà des prouesses technologiques autorisées par  les inventions architecturales de la croisée d’ogives sur arcs brisés dès le début du XIIe siècle, c’est aussi et surtout une nouvelle conception de l’homme qui s’affirme dès cette époque. Ainsi, gagnant l’Europe entière après un gothique primitif, le gothique dit classique au XIIIe siècle, puis le gothique rayonnant et flamboyant jusqu’au XVe siècle, viseront non seulement l’architecture, mais aussi la peinture, sans oublier la sculpture. Avec l’art gothique, les différents arts vont s’attacher à considérer la réalité de l’homme bien plus que ne l’avait fait auparavant l’art roman avec son aspect linéaire et rigide.

Loin du hiératisme figé du roman, le gothique introduit souplesse et délicatesse dans nombre de ses détails

Dans cette conception nouvelle, l’allongement des formes et des visages gagnent en intensité et en relief, les détails foisonnent tout autant dans les plis des vêtements que dans les courbes ainsi que l’illustre par exemple le tympan du portail central de la façade nord de la célèbre cathédrale de Chartres. Les plis de la tunique de la Vierge, ses épaules penchées vers le Sauveur en majesté révèlent une nouvelle sensibilité, un maniérisme qui illumine ces bibles de pierre que sont les cathédrales de cette époque.

Une lecture adoucie

Loin du hiératisme figé du roman, le gothique introduit souplesse et délicatesse dans nombre de ses détails ainsi qu’en témoigne également le fameux Ange au sourire de la non moins célèbre cathédrale de Reims. Décapitée par l’incendie de l’édifice lors de la Première Guerre mondiale, cette tête inoubliable fut reconstituée à partir de ses débris et d’un moulage conservé, témoignant ainsi de l’éternité indestructible de son sourire légendaire. Ce que l’on nomme le nouveau style parisien à partir de 1230 traduit cette nouvelle lecture de la Bible opérée par les artistes et artisans de l’art gothique de cette époque. Les anges de l’Ancien et du Nouveau Testament affichent un sourire radieux, témoins silencieux et pourtant éloquents du message d’espérance délivré par les Écritures, message bien éloigné des grandes peurs de l’an Mil…

Une Bible de pierre

Les textes bibliques s’échappent alors de leurs précieux manuscrits enluminés pour gagner en altitude les sculptures érigées dans les églises et les plus grandes cathédrales européennes. Cette Bible minérale spécifique de l’art gothique cherche à démontrer combien le message délivré par l’Ancien Testament annonce l’avènement du Sauveur telle la sculpture de Moïse représenté avec deux cornes sur le front et sa longue barbe tenant majestueusement les tables de la Loi. Le texte latin inscrit rapporte ce passage en effet déterminant du livre de l’Exode annonçant la Passion du Christ : "Immolabit agnum multitudo filiorum Israhel ad vesperam" : "Au soir, la multitude des fils d'Israël immolera l'Agneau" (Ex, 12, 6)… 

Cette Bible de pierre gothique traduit ainsi pour l’immense majorité des fidèles illettrés le message d’amour et de fidélité délivré par les Écritures et ce, souvent, de manière éloquente ainsi qu’en témoigne également le fameux Puits de Moïse abrité par la Chartreuse de Champmol de Dijon. Cette œuvre majestueuse illustre l’aboutissement du gothique atteint à la fin du XIVe siècle par l’artiste hollandais Claus Sluter au service de Philippe II le Hardi, duc de Bourgogne. Cette sculpture impressionnante qui fut peinte par l’artiste Jean Malouel et endommagée au XVIIIe siècle présente les statues des grands prophètes de l’Ancien Testament en lien avec le Nouveau Testament. Son réalisme et sa puissance évocatrice ne cessent d’étonner encore ses visiteurs et anticipe sur la Renaissance déjà toute proche… 

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