C’était le samedi 3 novembre 1984, en fin de matinée. Des centaines de milliers de personnes se sont massées autour de l'église Saint-Stanislas de Varsovie, en Pologne, pour dire adieu au père Jerzy Popieluszko. Enlevé par la police politique et torturé, il est finalement battu à mort le 19 octobre 1984. Le jour de ses funérailles, ce martyr est devenu le symbole de la liberté face au totalitarisme, et de l’amour face à la violence.
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C'était il y a 38 ans. Ils sont environ 800.000 à se retrouver le samedi 3 novembre 1984 à Varsovie (Pologne), malgré les contraintes du régime communiste de l’époque : c’est le plus grand rassemblement que connaît la Pologne depuis la dernière visite du pape Jean Paul II, en juin 1983. Dès l’aube, dans le froid déjà hivernal, la foule commence à converger vers l’église Saint-Stanislas de la ville. Elle rejoint ceux qui ont prié toute la nuit auprès du cercueil du père Jerzy Popieluszko, 37 ans, prêtre assassiné cruellement par la police secrète communiste le 19 octobre 1984. Nombreux, au risque de représailles, arborent des banderoles avec l'emblème de Solidarnosc, le syndicat dissous et interdit par le régime. Au cours de la messe, diffusée par des haut-parleurs, le père Bogucki, curé de la paroisse dont le père Jerzy Popieluszko était le vicaire, déclare en voyant la foule immense : "Il semble que j'aie devant moi toute la Pologne, la vraie Pologne qui croit en Dieu, qui veut sa liberté et son identité nationale." Le prêtre assure ensuite que les messes mensuelles "pour la patrie" continueraient à être célébrées. Ces messes fameuses, dites par le père Popieluszko, celles qui ont fait sa renommée et qui ont exaspéré les autorités politiques.
"Nous n'oublierons jamais"
Les funérailles deviennent un extraordinaire témoignage d'adhésion aux valeurs défendues par le martyr. Juste après l'office, célébré par plus de 1.000 prêtres, Lech Walesa, leader de Solidarnosc, prend la parole sous les ovations. "Solidarnosc vit, parce que tu as donné ta vie. Nous ne nous soumettrons jamais à la terreur", lance-t-il d'une voix bouleversée alors que les centaines de milliers de bras se lèvent pour faire le V de la victoire — le geste devenu depuis l’état de siège du 13 décembre 1981 le symbole de résistance face au régime totalitaire. "Nous jurons sur le cercueil du père Popieluszko que nous n'oublierons jamais son sacrifice", déclare Walesa. En réponse et pendant de nombreuses minutes, la foule scande : "Nous ne l’oublierons jamais."
L'aumônier de Solidarnosc
Comment oublier ce prêtre de 37 ans, fils de paysans, originaire d’Okopy, au nord de la Pologne, que rien ne prédestinait à devenir aumônier de Solidarnosc, sauf la providence ? C’est en 1980, huit ans après son ordination sacerdotale, que des métallurgistes des aciéries de Varsovie demandent au cardinal Wyszynski d’envoyer un prêtre pour célébrer la messe sur leur lieu de travail qu’ils occupent en signe de protestation. La requête arrive jusqu’à la paroisse Saint-Stanislas. Le père Popieluszko décide de se rendre aussitôt sur les chantiers, en remplaçant au pied levé un autre prêtre. Il écrira ensuite : "Cette journée et cette messe, je ne les oublierai jamais." Pour le père Kazimierz Klepacki, son meilleur ami, Jerzy était un homme subtil et humble à la fois. "Il lui arrivait souvent de me donner le texte d'un sermon qu'il allait prêcher, me demandant ce que j’en pensais, s’il ne fallait pas ajouter quelque chose, comment l'améliorer...", raconte-il à Aleteia.
Les messes pour la patrie
L'engagement du prêtre en tant qu’aumônier de Solidarnosc, dérange les autorités. Celles-ci vont user d’imagination pour le faire taire. Des agents de la police politique le surveillent de près. Le 13 décembre 1981, l’état de guerre est instauré en Pologne et le syndicat de Lech Walesa devient illégal. Avec l’accord de son curé, le père Popieluszko décide de célébrer chaque dernier dimanche soir du mois, une messe "pour la patrie" dans sa paroisse à Varsovie.
Il invite des acteurs, ses paroissiens ou des personnalités engagées dans l’opposition à y participer. "Quand il m’a demandé de lire pendant les messes “pour la patrie” des lectures et des prières, c’était pour moi une sorte d'honneur spécial, le sentiment que mon travail d’actrice prend alors tout son sens", se souvient la comédienne Katarzyna Łaniewska dans un livre biographie consacré au prêtre.
Ses messes "pour la patrie", appelées par les autorités communistes "des séances de haine" rassemblent jusqu’à 15.000 personnes réunies autour de l’église.
Par la voix discrète d’un prêtre ami, Jean Paul II l’encourage. Rapidement, les autorités communistes prennent conscience de l’influence grandissante du prêtre. Commencent alors les rumeurs, les fausses accusations, les convocations et les interrogatoires à répétition… Les menaces de mort et les tentatives d’assassinat se répètent. L’évêque qui a la charge de cette église propose au père Popieluszko de quitter la Pologne pour aller étudier à Rome. Une proposition qu’il décline aussitôt, alors qu’il sent que l'ultime épreuve approche.
"Ne te laisse pas vaincre par le mal. Sois vainqueur du mal par le bien", telle est sa devise qu’il appliquera jusqu’au 19 octobre 1984.
"Il se sentait menacé. Il savait que la mort l'attendait au tournant et qu'il devait faire attention. Il a reçu beaucoup de lettres et d’appels anonymes. Cela l’angoissait. Je le vivais avec lui, je suppose que c'était tout ce que je pouvais faire", confie encore son ami, le père Klepacki. "Quelques semaines avant sa mort, je lui ai rendu visite. Nous avons parlé, pris un thé... C'était comme d'habitude. Mais au moment de partir, il a décroché du mur un tableau représentant Jésus couronné d'épines, et il me l'a donné. Ni lui ni moi ne savions que c'était notre dernière rencontre."
"Ne te laisse pas vaincre par le mal. Sois vainqueur du mal par le bien", telle est sa devise tirée de l’épitre de saint Paul aux Romains qu’il appliquera jusqu’au 19 octobre 1984. Cette nuit, au retour d’une messe célébrée dans une paroisse de Bydgoszcz, au nord de la Pologne, trois officiers de la police politique arrêtent sa voiture. Le père Jerzy est tout de suite menotté, enlevé puis torturé et battu à mort avant que son corps ne soit jeté dans la Vistule.
Le 30 octobre sa mère, Marianna part identifier le corps de son fils... "En le voyant, j’ai pensé à la douleur de Marie au pied de la Croix", confiera-t-elle plus tard.
Le 30 octobre 1984, dix jours plus tard, sa mère Marianna apprend la mort de son fils. Elle part identifier son corps… Tout le long du trajet, son mari crie de désespoir, mais elle se tait. "J’étais tétanisée, immobile, je ne pouvais pas pleurer. C’est seulement en voyant le corps de mon fils que les larmes ont coulé sur mon visage. J’ai pensé à la douleur de Marie au pied de la Croix", confiera-t-elle quelques années plus tard dans son livre autobiographique.
Teresa, la sœur aînée du prêtre, racontera dans un témoignage en 2021 sa dernière rencontre avec le père Jerzy : "Je lui ai demandé comment il allait. Il m’a répondu : “Même si je meurs, sache-le, ce ne sera pour aucun acte de violence ou de hooliganisme. Cela sera seulement pour la foi.” Ce sont ses derniers mots que j'ai entendus… Deux mois plus tard il a été assassiné au nom de la foi."
Le testament spirituel
Quelques heures avant qu’il soit assassiné, le père Jerzy Popieluszko a récité le rosaire dans la même église de Bydgoszcz où il avait célébré sa dernière messe. Et il a prononcé ces quelques phrases qui résonnent comme son testament spirituel :
En 2010, lors de la messe de béatification du père Popieluszko, en présence de ses parents, le cardinal Amato a rapporté ces propos du pape Benoît XVI :
"Ce nouveau bienheureux fut prêtre et martyr, témoin assidu et inlassable du Christ, il a vaincu le mal par le bien jusqu’à reverser son sang."
Aujourd’hui, le bienheureux Jerzy Popieluszko fait toujours l’objet d’une dévotion très forte en Pologne, juste aux côtés des autres grands saints polonais qui ont profondément marqué le christianisme du XXe siècle : saint Jean Paul II et sainte Faustine.