Historien et écrivain, Jean-Christian Petitfils, auteur de plus d’une trentaine d’ouvrages, s’intéresse de près depuis sa discipline au personnage de Jésus. Il a écrit notamment un récit biographique, Jésus (Fayard), et le Dictionnaire amoureux de Jésus (Plon). Le mystère du Linceul de Turin ne pouvait le laissait indifférent : il suit depuis de nombreuses années les travaux des chercheurs français, italiens et américains qui tentent d’expliquer l’inexplicable. Son enquête montre que les dernières expérimentations scientifiques convergent toutes vers l’authenticité, mais que le mystère reste entier. Aleteia lui a demandé pourquoi.
Aleteia : Vous consacrez une grande partie de votre livre à l’histoire du Linceul : pour l’historien, cette incroyable pérégrination à travers le temps a-t-elle un message ?
Jean-Christian Petitfils : Il n’appartient évidemment pas à l’historien de se prononcer sur la protection que la Providence divine a pu accorder à ce témoin unique de la Résurrection du Christ, "témoin muet, comme disait saint Jean Paul II, mais étonnement éloquent". Il reste qu’objectivement il a échappé à de multiples reprises et de façon vraiment extraordinaire à la destruction. Les coïncidences sont troublantes. Découvert au matin de Pâques à plat, gisant sur la banquette de pierre du sépulcre, par Simon-Pierre et Jean l’évangéliste, comme si le corps de Jésus avait disparu de l’intérieur, il fut d’abord conservé à Jérusalem par les disciples, puis emporté, probablement à Pella ou à Antioche, au début de la guerre des Juifs, vers l’an 66, lorsque les premiers chrétiens avertis par une prophétie quittèrent la Ville Sainte. Le Linceul et les autres reliques de la Passion échappèrent ainsi à la destruction par les armées de Titus en 70. Malheureusement, on ignore ce qu’ils devinrent durant plusieurs siècles.
Le Linceul échappe de justesse à deux grands incendies, l’un en 1532 à Chambéry, où il est endommagé sur les bords, l’autre en 1997, dans la cathédrale Saint-Jean Baptiste de Turin.
Vers 387-388, le Linceul réapparaît à Edesse (aujourd’hui Urfa, en Turquie). De nombreux pèlerins viennent vénérer cette image acheiropoïète, c’est-à-dire "non faite de main d’homme". En 944, acheté par les Byzantins, il arrive à Constantinople. Il est alors précieusement conservé dans la chapelle impériale du Pharos. En 1204, il échappe par miracle au sac de Constantinople par les croisés. Il est transféré en France en 1241 avec le deuxième lot de reliques ayant suivi la cession de la Sainte Couronne à saint Louis par le dernier empereur latin Baudouin II de Courtenay et qui est conservé dans le trésor de la Sainte-Chapelle. Un siècle plus tard, en septembre 1347, Philippe VI de Valois le cède à son porte-étendard Geoffroy de Charny, sans se rendre compte de la valeur immense du cadeau qu’il faisait. À partir de 1354, le chevalier de Charny commence à présenter la relique aux pèlerins dans sa petite collégiale en bois de Lirey, en Champagne. À court d’argent, sa petite-fille, Marguerite, la cède à la maison de Savoie en 1453. D’abord installée à Genève, puis à Chambéry, elle gagne Turin en 1578. Faut-il encore y voir un signe extraordinaire ? Le Linceul échappe de justesse à deux grands incendies, l’un en 1532 à Chambéry, où il est endommagé sur les bords, l’autre en 1997, dans la cathédrale Saint-Jean Baptiste de Turin, sauvé par un pompier professionnel animé d’un courage inouï, Mario Trematore, qui, poussé par une puissante voix intérieure — il le reconnaîtra lui-même —, se jette dans la fournaise au péril de sa vie.
Que nous disent les dernières découvertes sur le linceul de Turin à propos de l’événement de la Résurrection ?
Cette pièce archéologique unique nous donne des renseignements essentiels sur la Passion, sur la flagellation ou la crucifixion. Elle va même au-delà, puisqu’elle nous introduit au mystère de la Résurrection. On ne s’explique pas, en effet, comment le cadavre ne présente aucune trace de décomposition, ni comment celui-ci a pu sortir de son linge sépulcral sans laisser sur le modelé des nombreux caillots la moindre trace d’arrachement. Comment ne pas penser à Jean l’Évangéliste qui, le premier, contemplant le linceul affaissé sur lui-même, comprit d’emblée que Jésus venait de ressusciter d’entre les morts. "Il vit et il crut" (Jn 20, 8).
Le grand mystère sur lequel butent les recherches depuis le début de l’analyse scientifique reste celui de la formation de l’image.
L’image imprimée sur le Linceul reste une énigme. Que reste-t-il à découvrir ?
Le grand mystère sur lequel butent les recherches depuis le début de l’analyse scientifique reste celui de la formation de l’image. Au début du XXe siècle, on a pensé à un processus naturel d’ordre chimique : l’image serait due au brunissement de l’aloès répandu sur la toile par les vapeurs d’ammoniac provenant de la décomposition de l’urée sudorale et sanguine du corps. Pour Jean Volckringer, pharmacien en chef de l’hôpital Saint-Joseph à Paris, la cellulose du lin aurait été dégradée par un mélange de sueurs et d’émanations aromatiques, de sorte que l’empreinte serait apparue quelques années plus tard, un peu comme celles visibles sur de vieux herbiers.
Ces deux hypothèses ayant été rapidement écartées, d’autres scientifiques ont pensé au rôle qu’aurait joué dans la formation de l’image une sueur agonique acide, combinée à l’aloès et à la myrrhe, voire à la lavande présente, a-t-on dit, dans l’huile parfumée répandue sur le corps. C’est loin d’être établi. Tout ce que l’on sait, c’est que l’empreinte s’est formée par une oxydation acide et déshydratante de la cellulose du lin sur une faible épaisseur de 25 à 40 microns. L’image s’est inscrite, semble-t-il, par une projection orthogonale venant du corps et faisant disparaître tout aspect latéral. C’est inexplicable. Le mystère reste entier. Un phénomène surnaturel n’est pas à exclure. D’aucuns ont parlé du "flash de la Résurrection". Il convient cependant de rester prudent. En l’état actuel de la question, il n’y a pas de certitude à cet égard.
Les scientifiques favorables ou opposés à l’authenticité du Saint Suaire semblent d’accord sur un point : la science n’explique pas le Linceul. Pourtant, même si "l’évidence s’impose", vous écrivez vous-même que "l’authenticité du Linceul n’est pas un article de foi". Est-il raisonnable de penser que l’incarnation de Jésus et sa Résurrection aient pu laisser des traces dans l’histoire, par conséquent des indices ?
N’en déplaise à Michel Onfray et autres "mythistes", Jésus n’est pas un personnage imaginaire. Pour nous chrétiens, il est à la fois "vrai homme et vrai Dieu", selon les définitions des premiers conciles. Il a vécu une vie d’homme normal, excepté le péché. Rien ne s’oppose par conséquent à ce qu’il ait pu laisser des traces matérielles de son passage sur terre.
Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.
Pratique :
Jean-Christian Petitfils, Le Saint Suaire de Turin, témoin de la passion de Jésus Christ, Tallandier, 2022, 464 pages, 26 €