Toutes les religions ont été confrontées au mystère de la souffrance. L’hindouisme compte sur l’accès au nirvana, à la fin des cycles de réincarnation, pour libérer l’individu du mal. Le christianisme a une approche différente : Jésus est venu prendre sur lui notre souffrance pour en soulager ses frères humains. Cependant, dans cette lutte contre toutes les sortes de mal : physique, psychologique, moral, spirituel, le Christ n’a pas voulu être le seul à accomplir cette mission. Il compte sur notre soutien pour le seconder.
"Portez les fardeaux les uns des autres" (Ga 6,2)
Dans la perspective de notre collaboration à l’œuvre du Christ, l'existence de Jésus nous questionne : peut-on soulager, pour notre part, les souffrances de notre prochain en portant une partie de son fardeau sur soi comme il le fit lui-même ? En effet, l’Évangile affirme que Jésus "a porté nos infirmités et s'est chargé de nos maladies" (Mt 8,17). De mon côté, puis-je en faire autant ? Cela suppose que je me substitue à mon prochain en prenant sa place de telle sorte que je le soulage de sa charge. Or, l'Église a toujours répondu par l'affirmative à cette question. Oui, il est possible aux hommes de souffrir pour atténuer la peine des autres.
Dans cette communion des saints, la première personne prend la place de la seconde afin de mener un combat pour lequel elle est mieux armée qu'elle.
Prenons l’exemple d’une personne qui est exposée à des tentations d'impureté, soit que ces sollicitations lui répugnent ou bien que celles-ci trouvent en elle un écho plus favorable. Contre ces tentations, notre personne soutient un combat volontaire, décidé, pénible et harassant. Or, ce qu'elle ignore, c'est que, par le moyen de cette lutte, elle soulage la peine d'une autre personne qui, elle, est prisonnière du sexe, que cette addiction soit de sa responsabilité directe ou non. Dans cette communion des saints, la première personne prend la place de la seconde afin de mener un combat pour lequel elle est mieux armée qu'elle.
Jésus, le premier, s’est substitué à nous
Un jour, saint Vincent de Paul prit sur lui les doutes (de foi) d’une chrétienne de sa connaissance : elle recouvra la foi tandis qu’il fut assailli pour un temps par des tentations d’incrédulité ! Cet exemple démontre que nous pouvons porter les fardeaux les uns des autres en prenant leur place. Dans les Dialogues des carmélites (1947), Bernanos nous décrit la terrible agonie de la prieure du carmel de Compiègne. Or, cette épreuve ultime se révèlera être la condition du courage avec lequel une jeune postulante, Blanche, très impressionnable au moment de la mort de la prieure, montera quelques années plus tard sur l’échafaud, en 1794, à la fin de la Terreur. C’est ainsi que la vieille religieuse aura pris sur elle les angoisses de la mort afin d’en délivrer par anticipation la jeune martyre.
Il est donc possible de prendre sur soi les peines de notre prochain et le meilleur moyen d’y parvenir est de se greffer sur la Croix de Jésus. Car c'est lui qui a pris sur lui, en son corps, le fardeau de nos péchés pour les enlever (1 P 2,24). Jésus est le premier à s’être substitué à toute l'humanité dans son malheur. Aussi, en nous greffant sur sa vertu de charité infinie, nous parviendrons, à notre tour, à porter certaines souffrances pour en soulager un frère ou une sœur qui en est incapable. Il est contre-indiqué de demander à Dieu de lourdes croix : celles qui nous tombent dessus à l'improviste suffisent largement à notre sanctification ! En revanche, il n'est pas interdit de solliciter de Jésus la grâce de porter les croix de nos frères. Le mystère de la substitution par lequel Jésus a porté nos peines, se continue à travers nous. Si la souffrance n'est jamais désirable en soi, en revanche connaître la raison pour laquelle on souffre constitue déjà une consolation. C'est celle qui est promise à ceux qui, unis à la Passion du Christ, aident leurs frères à porter leurs croix.