Le Livre de Job évoque clairement le fait que Dieu peut s’adresser à l’homme dans le sommeil : "C’est que Dieu parle une fois, deux fois, sans que l’on y prenne garde. Dans un songe, une vision nocturne, quand tombe une torpeur sur les hommes et qu’ils sont assoupis sur leur lit, alors, il leur ouvre l’oreille et leur adresse des sommations, pour détourner l’être humain de ses œuvres, et pour prémunir le héros de l’orgueil. Ainsi il préserve son âme de la fosse, sa vie, du passage au chenal de la mort" (Jb 33, 14-18). "Écoutez bien mes paroles : quand il y a parmi vous un prophète du Seigneur, je me fais connaître à lui dans une vision, je lui parle dans un songe" peut-on aussi lire dans le Livre des Nombres (12,6).
La vie des saints regorge également de révélations de Dieu inédites qui ont souvent eu lieu dans leurs rêves. Des apparitions en songe saisissantes qu’ont vécu saint Aubert, sainte Hildegarde de Bingen, sainte Brigitte de Suède, saint Jean Bosco ou encore sainte Catherine Labouré. Saint Ignace de Loyola explique également sa conversion par la vision en songe de la Vierge Marie et de l’Enfant Jésus. C’est ce qui convainc Saint Ignace de rejeter sa vie passée. Plus récemment, Véronique Lévy, auteur de Montre-moi ton visage (Le Cerf) assure qu'un songe spirituel l’aurait poussé à demander le baptême. Dans une société parcourue par une quête spirituelle parfois débridée, il n’est pas toujours facile de savoir quelle attitude adopter face à ces témoignages ni comment interpréter ses propres rêves. Sont-ils vraiment des messagers de Dieu ?
Un rêve ou un songe ?
Tout d’abord, il convient de différencier un rêve d’un songe. Le songe est un moyen par lequel Dieu manifeste parfois sa volonté ou révèle l’avenir. Tandis que le rêve est une expression de notre inconscient, comme l’expliquent de nos jours les psychanalystes. Soit les rêves sont anodins et nous renvoient sous forme imagée un événement récent, soit ils expriment une angoisse ou un désir. Enfin, ils peuvent aussi avoir un lien surprenant avec un événement réel, mais inconnu de nous.
Un avis partagé par saint Grégoire de Nysse. Dans le treizième chapitre de son De hominis opificio (Sur la création de l'homme), il écrit que les rêves sont le produit conjoint des souvenirs de ce qui a été fait et vu dans la journée, de la digestion et du tempérament du rêveur. Même s’il n’écarte pas le fait que certains puissent aussi être un moyen par lequel Dieu choisit de communiquer avec nous. Il faut donc être très attentifs dans la manière de les "décoder".
Est-ce bien Dieu qui parle à travers un songe…
Mais avant de discerner, il convient de savoir exactement qu’est-ce qu’un signe. Comme l'explique sur Aleteia père Olivier-Marie Rousseau, le Provincial des Carmes Déchaux de la Province de Paris, "c’est une réalité visible qui renvoie à une réalité invisible". Quant à la question comment discerner l’authenticité des signes de Dieu, selon lui "la marque de Dieu se reconnaît à ses fruits (Gal 5, 22)".
De son côté, saint Jean de la Croix conseille de vérifier la conformité des signes avec la parole de Dieu, s’en remettre à un autre pour ne pas s’habituer "à la voie des sens" qui ne durera pas, et pour que "l’âme demeure dans l’humilité, la dépendance et la mortification". Le discernement ignacien peut également aider. Le tout est de peser le pour et le contre avec attention, en prenant bien le temps pour prier car c'est dans la prière que l’on trouve la confirmation de notre choix, à propos duquel le rêve aura pu être un "signe". Pour sa part, saint Augustin, affirme dans les Confessions que sa mère, sainte Monique, utilisait l'intuition pour discerner si un rêve était d'origine divine ou naturelle.
Ou bien c’est l’œuvre du Malin ?
Car le rêve que l’on pourrait prendre pour un songe et donc un message de Dieu peut en réalité s’avérer un piège spirituel redoutable. Lorsque le Démon tente Jésus au désert (Lc 4, 1-13), il Lui demande des signes afin de Le détourner de son incarnation et de sa mission. Il en est de même pour un chrétien. Lorsqu’il se traverse un "désert spirituel", par attraction de la prière ou dans une solitude subie, il n’est pas à l’abri de ces tentations.
Les auteurs chrétiens anciens ont exprimé des opinions contradictoires concernant la nature des rêves et leur interprétation. Pour le pape Grégoire le Grand, tout comme pour le père de l'Église, Giovanni Cassiano ou encore saint Athanase d'Alexandrie les rêves de ce genre sont l’œuvre du diable. La position de saint Jérôme face à la question des rêves en tant que messagers de la révélation divine est ambivalente. D'une part, il reçoit lui-même en songe la révélation de sa vocation de théologien, et d’autre part, dans sa célèbre traduction latine de la Bible, la Vulgate, il interprète à tort certains passages (en particulier Lv 19, 26 et Dt 18, 10) comme une interdiction d'interprétation des rêves. De cette erreur est d’ailleurs née l'interdiction théologique séculaire de toute forme d'interprétation des rêves.
Faut-il donc renoncer aux signes ?
Oui, mais avec prudence. Quand nous en avons la grâce, ces signes "sont une voie par où Dieu [nous] mène, il n’y a pas lieu de le dédaigner", rassure saint Jean de la Croix. "Devant Dieu, une seule action, un seul acte de volonté fait par charité, a plus de prix que toutes les visions, révélations ou communications qui peuvent venir du Ciel", précise encore le docteur de l'Église.
"Demandons la grâce de savoir rêver, en cherchant toujours la volonté de Dieu dans nos rêves", avait déclaré le pape François le 18 décembre 2018 dans sa méditation matinale en la chapelle de la Maison Sainte-Marthe. Mais attention, à se souvenir toujours que s’il serait présomptueux de dénier les rêves comme messagers de Dieu, il serait aussi dangereux de s’y attacher ou de les rechercher pour eux-mêmes.