Alors que plusieurs propositions de réformes dans l’Église catholique ont suscité de vives polémiques en Allemagne ces dernières semaines, le Saint-Siège met en garde contre le risque de provoquer "une blessure pour la communion ecclésiale et une menace pour l’unité de l’Église", dans un bref communiqué diffusé le 21 juillet 2022. En février dernier, les participants à l’assemblée plénière du Chemin synodal avaient majoritairement plaidé en faveur de l’ordination des femmes, du mariage des prêtres et d’une nouvelle approche doctrinale de l’homosexualité. D’autres déclarations, plus récentes, avaient également porté sur une acceptation de l’avortement.
En Allemagne, les catholiques font l’expérience de deux démarches synodales simultanées : un Chemin synodal national lancé en 2019 sur fond de crise des abus et de sécularisation, et, comme le reste du monde, le Synode sur la synodalité lancé en 2021. Ces deux démarches spirituelles et collectives visent à réfléchir sur l’avenir de l’Église.
Protéger la liberté du peuple de Dieu et l’exercice du ministère épiscopal.
Le communiqué du Saint-Siège, au format inhabituel, n’est signé ni du pape ni d’un dicastère spécifique. Cependant, le pape avait récemment brocardé l’Église d’Allemagne en évoquant "la très bonne Eglise évangélique qui existe en Allemagne" et en déclarant à son sujet : "On n’en n’a pas besoin d’une deuxième".
Plus formelle, ce communiqué indique désormais une ferme fin de non-recevoir à certaines velléités réformistes exprimées par les participants au Synode en Allemagne. Le Saint-Siège y affirme que le Chemin synodal en Allemagne "n’a pas le pouvoir d’obliger les évêques et les fidèles à adopter de nouveaux modes de gouvernance et de nouvelles approches de la doctrine et de la morale". La note justifie cette intervention par la volonté "de protéger la liberté du peuple de Dieu et l’exercice du ministère épiscopal".
Protéger l’Unité
Le communiqué explique clairement qu’il n’est "pas permis d’initier de nouvelles structures ou doctrines officielles dans les diocèses avant un accord convenu au niveau de l’Église universelle". Il demande donc que les propositions du synode national allemand "s’intègrent dans la voie synodale suivie par l’Église universelle", afin de permettre "un enrichissement mutuel et un témoignage de cette unité avec laquelle le corps de l’Église manifeste sa fidélité au Christ Seigneur".
Une source vaticane souligne cette insistance du communiqué sur l’Unité, et non sur les propositions allemandes. Un signe que c’est l’attitude et le manque de perspective universelle des Allemands qui seraient critiquées par le Saint-Siège.
Les Églises particulières vivent et s’épanouissent dans et à partir de l’Église universelle.
Dans les faits, des positions réformistes proches de celle des catholiques allemands ont en effet été recueillies dans certains rapports d’autres pays – par exemple l’Espagne ou la France – dans le cadre de la phase diocésaine du grand Chemin synodal qui s’achève le 15 août prochain. D’une certaine façon, le Saint-Siège était même resté relativement discret depuis les dernières revendications exprimées par le Chemin synodal allemand.
Cette intuition semble confirmée par le choix du communiqué de citer directement la Lettre au Peuple de Dieu en chemin en Allemagne du pape François, envoyée aux Allemands au début de leur démarche synodale nationale en 2019. "L’Église universelle vit dans et à partir des Églises particulières, de même que les Églises particulières vivent et s’épanouissent dans et à partir de l’Église universelle, et si elles se séparent de l’ensemble du corps ecclésial, elles s’affaiblissent, pourrissent et meurent", martelait déjà à l’époque le Pape. Il soulignait encore "la nécessité de maintenir toujours vivante et efficace la communion avec l’ensemble du corps de l’Église".
Des prises de positions particulièrement radicales
Le texte ne dit cependant pas ce qui menace l’Unité dans les positions progressistes allemandes, défendues officiellement au plus haut niveau depuis trois ans. Néanmoins, plusieurs prises de positions particulièrement radicales ont été portées dans l’Église en Allemagne ces derniers jours, en particulier au sein du Comité central des catholiques allemands (ZdK), une organisation qui joue un rôle moteur dans la démarche synodale.
Marc Frings, haut responsable de cette organisation a ainsi demandé, dans une contribution au blog LGBTQ catholique américain Outreach, que le synode allemand soit porteur d’une "réévaluation de l’homosexualité". Dans ce texte, il affirme que le dogme doit reconnaître urgemment que "tout être humain a été créé par Dieu avec sa sexualité et, en étant ainsi créé, il a une dignité inviolable".
Une autre position, portée cette fois-ci par la présidente même du mouvement, Irme-Stetter-Karp, a fait polémique pour ses positions sur l’avortement. Réagissant à la suppression de Roe vs Wade aux États-Unis dans un entretien au quotidien national Die Zeit, elle a demandé de "garantir que l’intervention médicale d’une interruption de grossesse soit rendue possible sur tout le territoire" allemand.
De vives protestations en et hors d’Allemagne
Au fil des mois écoulés, de nombreux évêques, notamment en Pologne, en Scandinavie, aux États-Unis ou en Afrique avaient exprimé leur inquiétude face à un processus qui risquait de détacher les diocèses d’Allemagne de la communion avec le reste du monde catholique. Un symposium sur le sacerdoce organisé en février 2022 par le cardinal Marc Ouellet pouvait toutefois être interprété comme une réponse à ces propositions remettant en cause l’identité profonde du sacerdoce, notamment sur la question du célibat.
Le mois dernier, de vives critiques avaient aussi été émises par le cardinal Walter Kasper, président émérite du Conseil pontifical pour l’Unité des chrétiens, pourtant considéré comme une figure de l’aile réformiste de l’épiscopat allemand. Le 9 juin dernier, dans la revue du diocèse de Passau, le cardinal Kasper avait déclaré que le Chemin synodal allemand souffrait d’un "grave défaut de naissance", car ses débats seraient axés à partir des sciences humaines et non à partir de l’Évangile.
Il n’y a pas d’Église catholique sans prêtres.
Le 21 juin dernier, dans le cadre d’un séminaire en ligne, ce proche du pape François avait dénoncé les propositions du Chemin synodal comme "une tentative de coup d’État", accusant les évêques allemands favorables à ces propositions de s’engager dans une "démission collective".
Le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich-Freising, pourtant très favorable à une grande réforme structurelle de l’Église, a récemment déploré les excès du Chemin synodal allemand. Il avait ainsi critiqué une "proposition complètement ratée" qui pouvait être perçue comme une remise en question du sacerdoce en tant que tel. "Il n’y a pas d’Église catholique sans prêtres", s’était-il senti obligé de rappeler, en chaire.
Par ce message, le Saint-Siège semble leur donner aujourd’hui raison. En conséquence, la position du président de l’épiscopat allemand, Mgr Georg Bätzing, fervent défenseur du Chemin synodal, va se trouver considérablement fragilisée. Dans un entretien récent accordé à la radio allemande, ce dernier avait affirmé être "déçu" par le pape François, nuançant cependant en déclarant : "Il fait ce qu’il peut".