"Et cette année, on lira quoi ?" À deux semaines du départ de notre marche annuelle vers Compostelle, la question est reprise par les uns et les autres sur notre groupe WhatsApp. Depuis six ans nous avançons au rythme de nos pas chaque année un peu plus fatigués, vers Saint-Jacques. Un noyau d’une dizaine de laïcs et le prêtre que je suis. Chaque été pendant une semaine, nous lisons au choix un évangile, un cycle de l’Ancien Testament : Luc, Moïse, Ruth, Jonas, les Actes… Alors pour l’été 2022, quel livre ouvrir ?
Réfléchir à l’Église
J’essaye une réponse : "Cette année, je vous propose de réfléchir à l’Église, pourquoi pas en lisant Lumen Gentium ?" Je ne saurai que le dernier soir combien cette proposition les a plongés dans la perplexité : "Franchement, l’Église en ce moment on en a un peu marre !" Avant d’entendre cet aveu partagé par le plus grand nombre, nous avons parcouru, jour après jour, de la Cantabrie aux Asturies, chacun des chapitres : l’Église comme corps, l’Église avec ses membres, les clercs, les laïcs, les religieux, l’appel à la sainteté, le peuple en marche vers le Royaume… Les sujets ne manquent pas. Les discussions se font vives, parfois passionnées.
À la hauteur des espoirs et des désillusions… "Le texte est beau, il y a du souffle, il est très idéaliste…" Chacun mesure les changements que ces mots apportent dans l’histoire, l’importance pour l’Église de se penser soi-même, éclairée par l’Esprit, et d’oser affirmer que la vie nous oblige à risquer d’avancer, plutôt qu’à conserver à tout prix ce à quoi nous ne voulons pas renoncer. Qu’il nous faut suivre le Christ qui ne reste jamais immobile, plutôt que de vouloir se préoccuper d’abord de la mise en terre de nos morts. Mais il est vrai que le texte demeure profondément idéal. Il présente ce qui doit être. Toute autre est la réalité crue. Ou, pour dire les choses avec plus de doigté : l’absolu ne peut pas se dégager totalement de la réalité concrète. Et la réalité n’est pas trop brillante lorsque l’on parle de l’organisation de l’Église aujourd’hui dans notre pays, dans notre Occident, dans le monde même !
"Nous sommes de pauvres types"
C’est qu’en présentant la mission des évêques, des prêtres, des diacres, des religieux et de tous les baptisés en énonçant ce que chacun doit être, le risque est grand de mettre dans la tête de ceux qui s’y reconnaissent, que la grâce d’état leur donne d’être ce qu’ils doivent aspirer à devenir (comme par magie : "Je suis ordonné donc je peux ! Je suis baptisé donc je peux !"). Et que certains puissent, comme le disent les plus jeunes, "s’y croire"… Le père Ceyrac sj, avait l’habitude de dire ces mots si simples et si profondément vrais qu’ils peuvent se décliner aussi au féminin : "Nous sommes des pauvres types."
Le baptisé qui ne parvient pas avant toute autre chose à formuler cette vérité pour lui-même court le grand danger de devenir un "sale type". Car aucun témoignage ne pourra être audible et nulle parole de l’Évangile ne peut être proclamée par un disciple de Jésus, quel que soit son rang dans les dignités et les hiérarchies ecclésiales, s’il n’est pas sensible pour ceux qui reçoivent ces paroles, que la bouche qui les prononce se sait pécheresse et reconnaît que c’est la puissance de Dieu qui vient au secours de sa faiblesse.
L’humilité ne se mesure pas dans les concours d’éloquence, pas plus que la piété n’est affaire de génuflexions.
L’humilité ne se mesure pas dans les concours d’éloquence, pas plus que la piété n’est affaire de génuflexions. Se reconnaître pécheur ne peut se résumer à battre sa coulpe au début de chaque messe. Nous le savons tous très bien. Encore nous faut-il le vivre dans les relations dans lesquelles l’Esprit saint nous entraîne en nous incorporant au même corps, de celui seul qui nous sauve. Nos titres, nos charges, nos responsabilités ne trouveront leurs légitimités qu’à la condition que nous les recevions comme absolument et totalement imméritées, et comme prétexte à donner nos vies en les ouvrant aux autres.