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"Dies irae, dies illa ! Jour de colère que ce jour-là où nous avons appris la stupéfiante nouvelle. Elle venait des gendarmes : "On a trouvé la voiture de M. de Foucauld, abandonnée en pleine forêt". Puis, "on a trouvé son corps, pendu". C’était la semaine dernière. C’est immonde, ce n’est pas possible ; c’est d’une cruauté inouïe. La colère a vite monté parce que le Père, avec ses qualités et malgré ses défauts, compte beaucoup d’amis. Certes il avait du caractère – et en avoir aujourd’hui, c’est presque un défaut –, il a fait de belles choses. Moi, qui le connaît, pas comme ses parents mais presque, depuis sa naissance, ne puis m’empêcher de penser qu’il était aimé même si, grand affectif, il recherchait à l’être et surtout à être reconnu.
C’est pourquoi je m’incline profondément devant la douleur de ses parents. Cher Jacques, chère Isabelle, dans mon amitié pour vous, je souffre pour vous ; je souffre avec vous. Je me tourne tout autant vers sa sœur, Hélène, et ses frères Bertrand et Dominique et leurs épouses : votre fratrie est ébréchée mais faites bloc. Aimé des siens, François-Armand est aussi aimé de Dieu qui l’a appelé à devenir son enfant en portant le prénom d’un aïeul, prêtre, martyr des Carmes, béatifié, Foucauld tout comme lui et comme le père Charles de Foucauld tout juste canonisé. Dans son amour, Dieu l’a appelé au sacerdoce de son Fils comme François-Armand, comme Charles et, comme Charles, non sans difficultés. Et l’Eglise, qui a reconnu sa vocation, l’a aimé et choyé. Je suis témoin de tout ce qu’a fait pour lui Mgr Éric Aumonier, son évêque jusqu’à une date récente. Et beaucoup d’autres peuvent le dire avec moi. Et quoi qu’on ait dit, Mgr Crépy se trouve être dans les mêmes dispositions.
Sortons de la noirceur du mal qui l’a emporté, considérons sa vie – il aurait eu aujourd’hui 50 ans. Sa vie porte aussi de beaux fruits et tenons-nous dans la communion de l’Eglise afin que, solidaires dans le deuil, nous le devenions, s’il plaît à Dieu, davantage dans la paix et l’espérance.
Il avait l’intelligence exercée, aiguisée, pour chercher l’action pastorale innovante et missionnaire.
De Houilles à Bois-d’Arcy, le Père de Foucauld a exercé le ministère que lui a confié son évêque en diverses paroisses. Il avait l’intelligence exercée, aiguisée, pour chercher l’action pastorale innovante et missionnaire. Il en est ici qui se souviennent de sa passion pour le bateau qu’il mettait au service des jeunes avant même qu’il fût ordonné. Il a aimé et servi les jeunes. Il cherchait comment rejoindre les plus éloignés. Sa « messe pour les curieux » est un bel exemple de sa pédagogie pastorale. Il n’aimait pas ce qui ronronne, d’où ses innovations dans les préparations au baptême ou au mariage. Il réfléchissait aussi au renouveau de la catéchèse avec le lancement de la catéchèse du Bon Pasteur qui emprunte à la méthode Montessori. Cette soif de renouveau l’a fait songer à partir au Canada, à Halifax, pour voir la pastorale de transformation initiée par le Père James Mallon. Parmi les tweets et les messages des réseaux sociaux, il en est qui attestent de son attention aux personnes en difficulté. Comme se doit de l’être tout prêtre, il était fidèle en amitié et à ceux avec qui il avait tissé des liens à la suite d’une relation pastorale forte.
Je dois à la vérité de dire que le père François-Armand avait des difficultés avec l’autorité quelle qu’elle soit. C’est un trait de sa personnalité. On croyait y trouver quelque chose du P. Charles de Foucauld qui a eu maille à partir avec l’autorité militaire quand il était officier, et qui en a fait voir de toutes les couleurs à l’Abbé Huvelin, son père spirituel. Charles s’est poli dans la découverte de l’obéissance qui rend libre. François avait à sa décharge une
faiblesse psychologique qui pouvait le crisper, le rendre autoritaire, l’éloigner
des autres de sorte qu’il supportait très mal les contradictions et de plus en plus mal les difficultés inhérentes à la vie tout simplement.
C’est bon, aussi, que la communion des vivants porte ceux qui sont morts et les confie à la miséricorde divine.
Bref, la messe que nous célébrons est une aide précieuse pour nous. Elle est un moment de communion autant que de souvenir. C’est bon, aussi, que la communion des vivants porte ceux qui sont morts et les confie à la miséricorde divine. Il s’agit alors de bien autre chose que du souvenir. Certes le souvenir est un moyen de rester uni à ceux qui ne sont plus ici-bas. Le souvenir est bien vivant, parfois paisible, parfois douloureux. Il est hélas souvent incommunicable. A qui confier son chagrin, avec qui évoquer telle chose vécue avec le défunt ? Bien souvent, et heureux sommes-nous alors si nous trouvons notre consolation dans le Seigneur. Que le Seigneur vienne donc à notre secours. Et qu’il vienne au secours de notre foi. Dans le deuil, elle peut vaciller.
A n’en pas douter, la mort – peut-être moins la nôtre que celle de proches – est une épreuve dans les affections mais aussi pour la foi. Il est normal que la foi s’interroge et que nous nous demandions s’il est raisonnable de croire vivants ceux qui, à l’évidence, sont morts. La foi chrétienne n’évacue rien des réalités. Ce qu’il y a de plus réel la touche. Jésus lui-même est mort. Il a maintes fois affronté la mort dans sa vie. Elle provoquait chez lui une grande compassion et même le faisait pleurer. Il faut s’en souvenir quand, dans un débordement de douleur, on s’en prend à Dieu. "Si le bon Dieu existait, il ne permettrait pas cela". Mais approfondissons davantage ce que disent l’expérience chrétienne et la foi. Elles disent ceci : chacun de nous, chacun de ceux que nous pleurons, nous sommes faits pour Dieu, pour vivre en relation avec Dieu. Comme le dit saint Paul : "Aucun ne vit pour soi-même… nous appartenons au Seigneur".
La mort devient pour nous passage vers Dieu.
Si nous sortons de l’alliance que Dieu a voulu nouer avec nous, nous nous retrouvons pratiquement dans la situation d’Adam après la chute. Coupé de Dieu, Adam ne peut que mourir. Si, au contraire, nous tenons la main que Dieu nous tend, alors nous acquérons une certitude. Cette main, c’est Jésus-Christ, et nous passons avec lui de la mort à la vie. La mort devient pour nous passage vers Dieu, comme pour Jésus. En un mot notre vie est pascale. C’est évidemment la solidité de l’amour de Dieu qui nous donne cette assurance.
Si rien des réalités de cette vie n’est occulté, Jésus invite donc à se lier à lui par un acte de foi et d’amour : "Celui qui croit en moi obtient la vie éternelle". La force de l’Alliance va jusque-là, à savoir que le Seigneur s’est lié à nous de telle façon que l’imperfection de notre foi, l’imperfection de notre vie ne peuvent faire obstacle à la volonté de salut de Dieu. Certes, comme le dit encore saint Paul, chacun est responsable de ce qu’il fait. Mais chacun peut lier sa prière à la puissance d’intercession du Christ pour le salut. Nous ne pouvons pas, en vérité, juger la vie de ceux qui nous précèdent et certainement pas celle du Père de Foucauld. Même si nous pensons que leur vie chrétienne est insuffisante, même si nous regrettons amèrement les atteintes graves ou légères à la charité, voire à la justice, les disputes et les conflits que nous avons eus, nous pouvons faire fond sur la solidarité qui nous vient du Christ. C’est donc à bon droit que nous prions pour le salut éternel de nos défunts et donc pour le Père de Foucauld.
Nous ne pouvons pas, en vérité, juger la vie de ceux qui nous précèdent et certainement pas celle du Père de Foucauld.
Autrefois, en raison des circonstances de sa mort, nous n’aurions pas pu célébrer la messe qui consiste à appliquer les mérites du mystère pascal au Père de Foucauld. Aujourd’hui nous pensons, avec les progrès de la réflexion sur les drames psychologiques sans qu’on sache les soigner, qu’il y a eu quelque chose de compulsif dans le comportement d’un homme de foi comme le P. de Foucauld qui l’a mené à cette horrible extrémité. Nous ne pouvons que le remettre à Dieu pour qu’il le prenne en pitié.
Que la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, nous aide. Elle a assisté son Fils mourant sur la croix. Elle a éprouvé la compassion d’une mère pour son fils avec toute la tendresse qu’on imagine. Elle a vécu la compassion au sens fort parce qu’elle a été associée dans la foi à la Passion. A cette compassion, nous sommes tous appelés pour faire l’offrande de nos vies associées à celle du Christ mais aussi pour offrir la vie de notre frère François-Armand que nous accompagnons jusque dans la mort.
Cependant, rappelons-nous, parce que chacun de nous à cette heure pense à sa propre mort : quand un homme meurt, il naît à la vie éternelle dans la logique de son baptême. Au baptême, nous avons déjà renoncé à cette vie qui ne tient qu’à elle-même pour recevoir toute celle qui vient de Dieu. Et cette vie éternelle est déjà commencée. Lorsque nous mourrons, nous acquiescerons à notre baptême. En abandonnant tout, nous recevrons tout de Dieu, tout son amour, toute sa vie. Saint-Paul ajouterait : "Retenez ce que je viens de vous dire et réconfortez-vous les uns les autres".
Prions pour que François-Armand de Foucauld et tous les défunts reposent en paix."