"Perdus et impuissants" : deux mots de Charles-Henri d’Andigné pour peindre les catholiques dans un monde qui se transforme sans cesse, tantôt sans eux, tantôt contre eux. Au cœur de cette disparition de tout ce qui fit la civilisation occidentale, deux tentations croissent ensemble : d’un côté, la soumission moutonnière, souvent grimée en "ouverture d’esprit" ; de l’autre, l’indignation inaudible au-delà du cercle des bons chrétiens disparus. Alternative peu stimulante entre "Chacun sa vérité" et "Vous vous rendez compte, ma brave dame", deux manières symétriques de renoncer à l’inévitable affrontement.
Ancrer la Foi dans une culture
Or, à qui veut lutter efficacement contre l’effondrement de ce qui reste d’évangélique dans notre monde, une condition préalable s’impose : comprendre. Bien sûr, les charismes sont divers et le sourire miséricordieux d’un analphabète peut annoncer le Salut mieux qu’un plaidoyer apologétique. Pourtant, le monde irait probablement mieux, si aucun catholique ne se privait d’une des deux ailes, la foi et la raison, qui permettent de s’élever vers la vérité. Il est toujours acrobatique et souvent présomptueux de prétendre voler avec une aile en moins ; le fidéisme est une amputation aussi nuisible que le rationalisme. Le christianisme aurait-il traversé les siècles sans de grands esprits capables d’ancrer la Foi dans une culture audible de leurs contemporains : saint Paul s’appuya sur l’autel du "dieu inconnu" des Athéniens pour son discours sur l’Aréopage ; saint Thomas d’Aquin n’ignorait rien de la philosophie d’Aristote ; Blaise Pascal sut montrer aux libertins par où ils avaient raison afin de mieux leur montrer ensuite par où ils avaient tort ; Claudel nourrit autant son théâtre de Rimbaud que de Charles de Foucauld.
Un grand service à ceux qui n’ont pas renoncé à l’aile de la raison pour rendre compte de leur foi.
En publiant Cent livres pour comprendre le monde (l’Artilleur), Charles-Henri d’Andigné rend un grand service à ceux qui n’ont pas renoncé à l’aile de la raison pour rendre compte de leur foi et, plus simplement, à tous ceux qui ont besoin de conseils de lecture pour l’été. Cent livres : le titre peut inquiéter, évoquant cent fiches pour avoir son bac ou cent recettes pour assaisonner les artichauts. L’inquiétude se révèle pourtant sans fondement. Rien à voir avec ce que Philippe Muray, dont L’Empire du bien figure d’ailleurs parmi les cent élus, appelait "Lacan en fiches-cuisine". Chaque mini-chapitre est une porte d’entrée dans l’œuvre et non une façade clinquante qui prétendrait suffire pour connaître l’intérieur du bâtiment. Il va donc de soi que le propos du livre n’est pas de dispenser d’aller à la source.
Pour conserver un sens critique
Au contraire, le lecteur est sans cesse invité à approfondir avec d’autres titres du même auteur. Le grand mérite du livre est son éclectisme. Des Dialogues des carmélites de Bernanos à Un catholique s’est échappé de Jean-Pierre Denis, d’Une question de taille d’Olivier Rey à Bourgogne romane de Dom Angelico Surchamp, du Bûcher des vanités de Tom Wolfe à Weygand, l’intransigeant de Max Schiavon, de La ferme africaine de Karen Blixen à Ces douze papes qui ont bouleversé le monde de Christophe Dickès, Charles-Henri d’Andigné ouvre à des angles d’approches du monde extrêmement variés.
Inévitablement, bien sûr, certains choix étonnent : on regrette des absents ou on peste contre des présents surestimés. L’auteur a la bonne idée d’assumer cette subjectivité, en s’adressant au lecteur : "Vous contestez la sélection du livre que vous avez entre les mains, et vous avez bien raison." Cela rend d’ailleurs la lecture plus vivante, de même que les réserves de détail qu’on peut avoir ici ou là sur ce qui est dit d’un des volumes. La subjectivité revendiquée permet en outre un exercice amusant, antidote à l’impression d’une simple juxtaposition de titres : trouver des éléments récurrents, voire des fils rouges souterrains. On pariera ainsi, sans crainte de perdre un centime, que l’auteur vénère Jeanne d’Arc ou qu’il est passionné de chasse. On perçoit aisément aussi qu’il est très modérément moderne, comme dirait Rémi Brague, mais c’est en l’occurrence une condition indispensable pour conserver un sens critique face aux fables et affabulations du temps.
La lumière du monde
En tout cas, la "petite bibliothèque pour un catholique d’aujourd’hui" que propose Charles-Henri d’Andigné contient largement de quoi nourrir des esprits avides de comprendre, dans les quatre rayons mis en avant : "comprendre l’homme", "atteindre Dieu", "comprendre l’Histoire", "comprendre la société". Rayons ? Sans doute n’est-ce pas un hasard si le même mot sert pour des livres mis à disposition des lecteurs et pour la lumière du soleil. Ceux qui sont appelés à être chaque jour davantage "la lumière du monde" peuvent-ils se priver de l’aide des livres qui éclairent nos ténèbres ?
Pratique :