La question scolaire, entrefilet quinquennal des professions de foi des candidats à l’élection présidentielle, se limite souvent à la traditionnelle opposition idéologique entre les tenants de l’autorité à restaurer, des savoirs fondamentaux contre ceux de l’innovation pédagogique et de la hausse des salaires. Or l’accord est général sur ces points entre les Français et les partis politiques. D’autres problématiques sont apparues en deux années de crise sanitaire.
Premièrement les décisions centralisées, au gré des réponses à la pandémie, n’ont pas permis de reconnaître la réactivité de ses personnels, d’anticiper l’organisation, de protéger les enfants contre les effets de l’isolement, de la suppression des activités… Car l’établissement scolaire est la base. L’Éducation nationale pourrait voir dans le professeur un acteur plus qu’un agent, dans le chef d’établissement un chef d’orchestre et non un régisseur, dans l’élève une liberté capable d’entendre un discours de recherche de la vérité plutôt qu’un langage neutre.
Quel est le niveau qui permet la meilleure adaptation à son public ?
Quel est en effet le niveau qui permet la meilleure adaptation à son public ? Des équipes qui ajoutent des cours mathématiques ou d’anglais si nécessaire ! Un chef d’établissement qui recrute, dans le respect des personnes, en fonction des besoins locaux des élèves et pas seulement selon une logique d’ancienneté ou de confort ! Un discours sur l’autonomie est certes tenu, mais un système corsète le corps enseignant. Il faut des cours de technologie… mais pas de poste au CAFEP (Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement privé) de cette discipline, des titulaires et des suppléants très rares, un programme hésitant entre l’éducation manuelle et l’initiation à l’informatique ! Il faut simplifier le bac… mais on ajoute plutôt des épreuves en février ! au lieu d’envisager un référentiel pour des examens préparés par chaque établissement selon sa méthode.
L’évaluation des établissements est-il un moyen supplémentaire pour vérifier que les techniques pédagogiques voire un discours d’État sur la laïcité, le gender… sont bien appliqués ? L’État doit s’occuper de la cohérence nationale des programmes mais sur 50% des horaires hebdomadaires, cela suffirait, laissant les établissements ajouter ce dont leur population a besoin. Après un Grenelle de la santé et de l’environnement, la rue éponyme serait avisée de réformer son grand ministère en faisant confiance, en donnant les moyens de leur autonomie aux équipes de terrain tout en faisant l’économie de fonctionnaires vérificateurs.
L’illusion du numérique
Dévoilée par la crise, une deuxième difficulté quotidienne des enseignants, que les envolées politiques sur le déclin français ou la panne de l’ascenseur social n’évoquent guère : l’informatique et les envahissantes sciences de l’éducation ont bien peu amélioré les résultats du système scolaire depuis plus de quarante ans qu’ils sont présentés comme la solution à toute pédagogie. Le besoin d’être sevré de ses écouteurs et de son portable va plutôt de pair pour l’élève avec son sentiment d’abandon et de solitude derrière les obstacles que constituent les écrans, et pendant des mois, les masques.
ParcoursSup devait, par un algorithme subtil, mettre toutes les familles devant l’ensemble des possibles et leur faciliter l’orientation. La numérisation des procédures administratives portait la promesse d’une attention plus grande aux personnels. Et pourtant, comment enseigner à des oreilles bouchées, des têtes farcies par les réseaux sociaux ? Comment ne pas décourager des lycéens, et leurs parents, devant l’agenda des procédures et la longueur des listes d’attente de ParcoursSup ? Comment reconnaître le travail de chaque professeur alors que les inspecteurs pédagogiques les voient dans un mélange de conseil et de sanction lors de trois pauvres visites obligatoires en quarante-deux ans de carrière sans presque aucune promotion possible ! L’école a besoin de temps et le numérique ne donne que l’illusion d’en gagner, que le mirage de l’égalité des chances dans le maquis des inscriptions, que le sentiment aux fonctionnaires d’être très loin de leur employeur, d’être devenu un prolétariat selon les comparaisons internationales des salaires. Moins d’injonctions didactiques libérerait, moins de matières, plus d’heures dans chacune, permettraient à l’État de tirer une hiérarchie entre elles et de fixer en conséquence des horaires.
Une uniformité inégalitaire
Car la crise a enfin montré l’incapacité de nombre de familles à suivre la scolarité de leurs enfants sans l’école. Or cette inégalité sociale n’est corrigée ni par l’affectation des professeurs les moins expérimentés dans les établissements de banlieue, ni par le refus de nourrir les enfants du privé, qui explique en grande partie la sociologie privilégiée de certains de ces établissements, ni par la carte scolaire, même la plus complexe. Rien qu’en déplaçant les populations défavorisées ou favorisées dans un établissement supposément équilibré en termes de CSP, on crée fatigue et suspicion, et on ne donne pas à chaque élève ce dont il a besoin.
Le plus favorisé qui entend un français châtié à la maison dominera sans doute une classe hétérogène, perdra son temps et perturbera la classe. Le plus défavorisé n’aura pas le temps nécessaire au rattrapage, en particulier du niveau d’expression et de compréhension de l’oral et, pire encore, de l’écrit. Quand de plus, un jeune entend jusqu’en seconde que le seul parcours possible est celui de l’enseignement général, comment lui vanter subitement vers quinze ans l’orientation professionnelle ou technologique et une séparation cruelle des camarades ?
Ne faut-il pas, pour plus de liberté, des écoles plus autonomes ; pour plus de fraternité, moins de technique et plus de sens entre élèves et enseignants ; pour plus d’égalité, penser des classes et un collège moins uniformes ?