En ce quatrième dimanche de carême, prenons le temps de regarder ce père que Jésus offre à notre contemplation. Non seulement il nous fait goûter l’amour miséricordieux du Seigneur, mais il nous fait comprendre la relation filiale à laquelle nous sommes tous appelés. Voyez en effet la générosité de ce père de l’Évangile qui donne ses biens à ses deux fils, son pain en abondance à ses serviteurs, et qui ne compte pas à la dépense pour fêter le retour de son petit dernier qui s’était perdu (Lc 15, 1-3, 11-32). Comme l’écrit saint Augustin, la mesure de l’amour est d’aimer sans mesure. Telle est la bonté du Seigneur pour ses enfants que nous sommes. L’amour de Dieu n’a pas de limite. Dieu aime passionnément, profondément, éperdument donnant sans compter à ceux qui s
e tournent vers lui. C’est même lui qui semble mendier notre amour en retour comme cela se manifeste encore dans l’attitude de ce père de l’évangile. Il s’est fatigué et épuisé à attendre le retour de son fils, scrutant l’horizon et près à courir vers lui pour le prendre dans ses bras et le couvrir de baisers.
Il est bouleversant ce père qui ne fait aucun reproche ni au plus jeune, ni à l’aîné pourtant en colère face à l’attitude de son père. Lui, au contraire, il a les paroles et les gestes qui apaisent, qui consolent et qui relèvent. « Il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout » (1 Co 13, 5-7). Dieu aime, il ne cesse pas d’aimer. « Voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu — et nous le sommes » écrit saint Jean (1 Jn 3, 1).
Ni libres, ni responsables
Et justement, le projet de Dieu, c’est que nous devenions ses enfants, nous épanouissant dans cette relation d’amour, avançant alors en toute confiance sur le chemin de la vie poussés par l’amour de Dieu notre Père. Son désir c’est que nous devenions des êtres libres et responsables. Mais ce n’est pas ce qui se passe pour les deux fils de l’Évangile.
Le fils aîné est en effet ni libre ni responsable de sa vie. Il vit comme un serviteur et non comme un fils. « Il y a tant d’années que je suis à ton service sans transgresser tes ordres » (Lc 15, 30). Sa relation avec son père se réduit à obéir à ses ordres en effectuant le travail qui lui est assigné. Il ne s’est jamais autorisé à demander quelque chose à son père, à jouir de tous ses biens pourtant à disposition. Pourtant « mon enfant, tout ce qui est à moi est à toi » (v. 31). Et nous percevons bien que cette manière d’être et de vivre n’apporte pas au fils aîné la joie, mais juste de la tristesse, de la colère, de la jalousie et de l’aigreur.
Le plus jeune fils a pensé lui qu’il serait libre en se coupant de cette relation filiale. Il a cru qu’il pourrait y arriver par lui-même et profiter ainsi de la vie. Mais le rêve s’est vite transformé en cauchemar puisqu’il fera bien vite l’expérience du dénuement, de la désolation, prêt même à devenir un ouvrier de son Père plutôt que de rester un fils. Pour reprendre une expression de Maurice Zundel, nous pouvons dire que ces deux fils ne sont pas encore nés à leur humanité. L’un n’a pas compris qu’il était aimé pour lui-même pleinement et gratuitement et l’autre qu’il l’était d’une manière inconditionnelle.
Une créature nouvelle
Mais il y a un troisième fils qui se cache dans cette parabole, c’est le Fils unique de Dieu, Jésus Christ, le premier né d’une multitude de frères. Lui, au contraire vit pleinement cette relation avec son Père, dans une écoute confiante de son Père. Il reçoit tout de lui. Le Père et lui ne font qu’un. « Amen, amen, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire de lui-même, il fait seulement ce qu’il voit faire par le Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement. Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait » (Jn 5, 19-20). Le Christ demeure dans l’amour de son Père. Et dans cette relation d’amour, le Christ peut ainsi donner et se donner librement jusqu’au bout. De cette communion d’amour et de confiance du Père pour son Fils et du Fils pour son Père jaillit une fécondité et une générosité plus grande encore. Telle est ainsi le chemin d’une vie épanouie, libre et responsable que nous propose le Christ. La vie à laquelle nous sommes appelés jaillira et grandira de cette vie d’intimité entre un père et son fils, de cette relation d’amour entre Dieu notre Père et ses enfants que nous sommes.
Saint Paul nous l’écrit dans sa lettre aux Corinthiens : « Si quelqu’un est dans le Christ, c’est une créature nouvelle » (2Co 5, 17). « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15, 15). Pour naître ainsi à notre pleine humanité il nous faut suivre le Christ et nous réconcilier avec Dieu notre Père. Il nous faut toujours revenir vers ce Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour. Il nous faut sans cesse nous tenir en lui puisque, selon le psalmiste, « qui regarde vers lui resplendira sans ombre ni trouble au visage » (Ps 33).