Les soins palliatifs et la fin de vie, que des associations militantes veulent parfois résumer d’un rapide "pour ou contre l’euthanasie", s'imposent comme un marqueur de la campagne présidentielle. Pourtant, loin des débats et visions réductrices, la réalité du terrain est tout autre. Si la loi garantit à tous et partout l’accès à des soins palliatifs de qualité, la réalité est que deux Français sur trois en fin de vie n’y ont pas accès et que 26 départements n’ont pas d’unité dédiée. Et c’est cette "anormalité" que souhaite faire connaître la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), en mobilisant le grand public, mais aussi les candidats à la présidentielle, avec une campagne d’affichage "Osons vivre" et un tout nouveau site internet dédié. Le docteur Claire Fourcade, médecin dans le pôle de soins palliatifs de la Polyclinique Le Languedoc à Narbonne et présidente de la Sfap, a répondu aux questions d’Aleteia.
Aleteia : Vous allez rencontrer les candidats à la présidentielle avec les membres de la Sfap. Comment vous accueillent-ils ?
Claire Fourcade : Nous avons déjà rencontré la majorité d’entre eux, ou leurs équipes, et à chaque fois, cela se passe très bien, nous restons même souvent plus longtemps que le temps imparti au départ ! Il faut dire que les soins palliatifs parlent à l’ensemble de la société car nous y avons ou y serons tous confrontés un jour, pour nous ou pour nos proches. D’ailleurs, tous les candidats rencontrés sont d’accord sur l’idée générale qu’il faut poursuivre le développement et l’accès à ces soins.
On entend souvent dire que l’euthanasie permettrait d’éviter de souffrir, mais la médecine palliative est justement là pour éviter ces souffrances !
Que leur dites vous ?
Nous présentons d'abord la Sfap qui représente tous les acteurs professionnels et bénévoles des soins palliatifs en France, soit près de 10.000 soignants et 6.000 bénévoles. La Sfap est une société savante qui développe les savoirs, les pratiques et la recherche dans les domaines de la médecine palliative des soins et de l’accompagnement de fin de vie, avec une expérience concrète, sur le terrain. Nos constats viennent de la pratique de notre métier, et non de nos opinions politiques ou personnelles. Et aujourd’hui en France, alors que la loi garantit l’accès à tous et partout, seulement un patient sur trois en soins palliatifs y a accès. La marge de progression est donc immense, et il y a un vrai projet politique à mettre en place sur ce sujet.
Au-delà de l'importance de développer les soins palliatifs, le débat revient régulièrement sur la légalisation de l’euthanasie. Qu’en pensez vous ?
Je pense que le débat est mal présenté, et que l’on mélange avec confusion deux sujets: les personnes effectivement en fin de vie et qui vont mourir et les personnes qui veulent mourir pour éviter de souffrir. Dans le premier cas, comme la loi actuelle l’indique bien, les soignants ont une obligation de soulager et d'accompagner. Dans le second cas, il s’agit d’une question de société et nous rappelons que ce n’est pas l’euthanasie qui va tout régler, bien au contraire. On entend souvent dire que l’euthanasie permettrait d’éviter de souffrir, mais la médecine palliative est justement là pour éviter ces souffrances ! C’est pourquoi la Sfap tient à exprimer clairement son opposition à la légalisation de l’euthanasie, qui obligerait demain en France les soignants à donner la mort à leurs patients ou à trouver un autre soignant pour le faire. Donner la mort n’est pas un soin.
64% des répondants s’opposent strictement à une légalisation de l' "aide active à mourir" (AAM), 20% y mettent des conditions et seuls 6% y sont favorables.
C’est ce que disent d’ailleurs les soignants sur ce sujet ?
Le 8 avril 2021, le 1er article d’une proposition de loi sur "le droit à une fin de vie libre et choisie" autorisant l’euthanasie et le suicide assisté a été voté à une large majorité à l’Assemblée Nationale sans débat préalable, et cela a provoqué un véritable choc pour l’ensemble des acteurs de soins palliatifs. Nous avons alors organisé, en juin 2021, une grande consultation auprès de ces soignants pour connaître leur avis sur la question. Nous avons reçu près de 2.000 réponses, les chiffres sont fiables et sans appel : 64% des répondants s’opposent strictement à une légalisation de l'"aide active à mourir" (AAM), 20% y mettent des conditions et seuls 6% y sont favorables. Le taux d’avis défavorables à une AAM monte à 70% chez les médecins, et si la loi devait évoluer, seuls 4% des répondants s’expriment en faveur de l’euthanasie. Par ailleurs, 70% songent à utiliser une clause de conscience, ou évoquent le fait de quitter leur poste et 80% mentionnent un impact en termes de "tension et division" ou évoquent un risque de démissions dans leur équipe. Ce sont donc ces chiffres que nous donnons aux candidats à la présidentielle, en soulignant à quel point une telle loi sociétale déstabiliserait le milieu hospitalier, déjà bien fragilisé avec l’actuelle crise du covid.
Quelles sont vos propositions concrètes ?
La première d’entre elles est de permettre à tous les Français, partout sur le territoire, un accès aux soins palliatifs, notamment à domicile. Nous avons par ailleurs d’autres propositions plus professionnelles ou plus techniques, comme par exemple la mise en place de cellules de coordination et d’animation en soins palliatifs dans chaque région et la création d’équipes supplémentaires afin d’éviter les zones blanches. Une chose est certaine, c’est toute la société qui en ressortira grandie quand on pourra proposer à chaque personne en fin de vie, partout en France, un accompagnement digne et respectueux.
Propos recueillis par Bérengère de Portzamparc