Vous la connaissez peut-être en tant qu’auteur de Louis et Aimée, deux émouvants livres pour enfant sur le handicap, ou bien sous le pseudo d’extra.ordinary.mum sur Instagram. Un pseudonyme qu’elle porte à merveille ! Car Florence est bien cette femme au courage extraordinaire qui, après s’être battue pour faire accepter, aux yeux de la société, la différence de leur petit Louis, porteur de handicap, s’est battue l’année dernière contre un cancer bilatéral du sein. Une épreuve pour elle, son mari et leurs cinq enfants âgés de 4 à 13 ans - Victor, Camille, Blanche, Louis et Georges - qui n’a cependant pas affecté son immense amour pour le Christ et l’entière confiance qu’elle place en lui.
Aleteia : Comment avez-vous réagi à l’annonce de la maladie ?
Florence Givelet-de Lespinay : Au moment de la naissance de Louis, il y a six ans, j’ai appris que j’étais porteuse d’un gène BRCA1, un gène qui donne de grandes dispositions pour les cancers du sein et des ovaires. Ça a été un coup de massue, mais sur lequel je ne me suis pas focalisée. Louis est atteint d’un syndrome rare et je me concentrais davantage sur lui. Tous les ans, j’effectuais des rendez-vous de contrôle, avec IRM et scanner, selon le protocole mis en place pour les personnes porteuses de ce gène.
J’avais confiance dans le Seigneur mais l’annonce a été très violente. On ne reste pas indemne face à l’annonce de ce genre de maladie.
Le 8 décembre 2020, j’ai ressenti une douleur très forte dans la poitrine. Dix jours plus tard, dans le cabinet de la gynécologue, je lui ai posé deux fois la question : "Est-ce que je dois m’inquiéter ?". Elle a répondu en m’envoyant passer une mammographie en urgence. Ce week-end-là, j’ai ressenti une peur profonde et une tristesse abyssale. J’ai perdu ma mère d’un cancer à l’âge de 13 ans. Je venais de perdre ma belle-mère, la seconde épouse de mon père, de la même maladie.
Je me suis dit : "C’est possible que je meurs moi aussi !". Puis j’ai eu la chance de pouvoir réaliser des examens très rapidement, qui ont confirmé le diagnostic. Le 24 décembre, je savais que je souffrais d’un cancer du sein, triple négatif, avec deux tumeurs et envahissement de la chaine ganglionnaire. J’avais confiance dans le Seigneur mais l’annonce a été très violente. On ne reste pas indemne face à l’annonce de ce genre de maladie. Dès le 15 janvier 2021, j’ai commencé les traitements, tout a été assez vite : quatre grosses chimiothérapies, puis douze autres supplémentaires. Je me suis faite opérée. Puis j’ai eu de la radiothérapie en septembre.
En avez-vous parlé tout de suite à votre mari, vos enfants, vos proches ?
Le moment de l’annonce est très difficile. On ne veut pas briser la joie des autres ! Mon mari était au courant des examens, et nous l’avons annoncé assez rapidement aux enfants, le 26 décembre, jour de la Sainte Famille. J’ai toujours dit que je n’avais pas peur de la mort, je le dis aujourd’hui encore.
On est dans un monde où on essaie de l’oublier mais la mort fait partie de nos vies. Ce qui est très dur, c’est cette peur de faire vivre cela à mon mari, à mes enfants. Peur d’être responsable de leur peine, de la tristesse qui pouvait arriver. Je savais que je serais aidée par le Seigneur, nos familles, nos amis mais on se sent tellement coupable de faire vivre cela à ses enfants. Au moment de l’annonce, je me souviens de leur regard, de leur force. Ils n’ont pas posé beaucoup de questions, ils ont sûrement voulu me préserver.
Il fallait que je me mette tout de suite entre les mains du Seigneur car sinon je n’y arriverai pas.
Très vite, vous avez demandé le sacrement des malades…
J’avais reçu cette phrase de la Bible : "Parfume-toi la tête" (Mt 6, 17) et je l’ai comprise immédiatement. Malgré les épreuves, les efforts ou les sacrifices, Jésus nous demande de montrer un visage joyeux. J’avais envie de montrer une joie profonde. Pour cela, j’ai compris que je devais demander le sacrement des malades, que j’ai reçu le 26 décembre. Il fallait que je me mette tout de suite entre les mains du Seigneur car sinon je n’y arriverai pas. J’ai reçu ce psaume comme un cadeau : "Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte ?" (Ps 26) J’avais le Seigneur dans mon camp. Ce n’est pas maintenant que j’allais trembler devant le cancer ! La bataille pouvait commencer !
Qu’est-ce qui a été le plus dur, durant ces longs mois de maladie ?
La souffrance physique. Car elle était telle qu’elle ne permettait plus rien. Ni de réfléchir correctement, ni d’aimer mes enfants ! Etre dépossédé de son corps nous dépossède un peu de notre esprit. J’ai supplié le ciel pour que les souffrances physiques s’arrêtent. Tout mon corps était tendu vers la recherche d’une solution pour souffrir moins.
J’étais dépossédée de mon rôle d’épouse et de mère, et ça, c’est très difficile à accepter.
Pendant tous ces mois, une partie de moi n’existait plus. J’étais dépossédée de mon rôle d’épouse et de mère, je n’en avais plus la force physique et ça, c’est très difficile à accepter. L’idée que quelqu’un d’autre s’occupe de mes enfants sur une si longue période m’était insupportable. Le manque de contacts physiques avec eux aussi. A certains moments, je pensais que notre famille était comme morte, car je n’étais plus capable d’y apporter de la joie.
Dans ces moments de douleur physique et morale, je me tournais vers le Christ souffrant et lui demandais : "Mais comment as-tu fait pour souffrir autant pour nous ?" J’ai compris un point central de l’amour du Christ pour nous : il est d’une puissance infinie. A hauteur d’homme, on n’est pas capable d’aimer autant. Avoir expérimenté ces moments de souffrance me rend consciente aujourd’hui de combien je suis aimée par le Seigneur.
Qu’est-ce qui vous a soutenu, vous a apporté du réconfort ?
Nous avons eu la chance d’être très entourés. J’ai été particulièrement touchée par les personnes qui ont cuisiné pour nous. Parfois même des personnes que je ne connaissais pas ! Qui en toute discrétion déposait un plat chaud devant notre porte. Il y a eu aussi une chaine de prière. Je savais que d’une manière ou d’une autre, ces prières toucheraient notre famille, porteraient leurs fruits et protégeraient nos enfants.
Mon mari s’est senti soutenu par un groupe de prière formé de quelques amis qui se réunissaient le matin une fois par semaine. Mes enfants ont été accueillis par des proches, des amis le temps d’un week-end ou pendant les vacances. Quand une personne est malade, on ne pense pas toujours à son entourage. Aujourd’hui, lorsqu’on me confie une intention pour une personne malade, je prie aussi pour son conjoint, ses enfants, qui font corps avec la personne malade et que l’on oublie trop souvent. Une autre source de réconfort a été d’écouter des chants de louange en boucle, Glorious notamment, pendant mes séances de chimio. Cela apaisait mon cœur.
Comment savoir quoi faire pour réconforter une personne malade ?
Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas rester les bras ballants ! Il faut pouvoir répondre avec ce que l’on est : certains vont cuisiner, passer un coup de fil, d’autres vont envoyer une carte, ou un cadeau. L’essentiel est de répondre avec ce que nous sommes et avec l’amour que nous portons à la personne malade. Notre réponse sera parfois imparfaite. On ne répond pas forcément à l’attente de la personne mais ce n’est pas grave ! Tout ce que l’on peut entreprendre pour soulager le cœur d’une personne qui souffre sera de toute façon bienvenu. L’être humain est essentiellement en quête de l’amour. Les personnes malades, plus que toutes autres, doivent se sentir aimées. Absolument. Sinon c’est trop difficile de faire face à la maladie sans amour. Elles ont besoin d’être regardées avec beaucoup de tendresse, même dans leur petitesse.
Toux ceux qui nous ont aidés ont pris un petit morceau de notre croix.
Une phrase de Jésus m’a particulièrement ébranlée : "Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive" (Mt 16, 24). Au début, je voulais bien suivre le Christ mais sans ma croix ! Et puis j’ai réfléchi et me suis dit que je ne pouvais pas suivre le Christ si je n’étais pas capable de porter ma croix. Ma croix, personne ne peut la porter à ma place. En revanche, toutes les petites attentions reçues sur ce chemin de cancer nous ont aidés à la porter. Toux ceux qui nous ont aidés en gardant nos enfants, en cuisinant, en envoyant des petits paquets… ont pris un petit morceau de notre croix. C’est bien l’amour qui permet de porter sa croix correctement.
Le cancer est désormais derrière vous. Etes-vous sereine face à l’avenir ?
Aujourd’hui je suis en rémission d’un cancer triple négatif. Un cancer virulent qui - je le sais - peut réapparaitre, son taux de récidive étant assez élevé. Mais je suis une femme avec une grande espérance et un grand amour de la vie donc j’essaie de ne pas me focaliser sur cet aspect-là. Cela m’empêcherait de vivre. Je ressens un tel appel à être dans la vie ! Néanmoins, cela me fait poser des gestes forts, sans pour autant les justifier devant les miens. Je pense à une séance de photos par exemple que l’on a faite récemment avec les enfants. Je tenais à ce qu’il y ait une photo de chaque enfant avec ses parents. Non pas parce que je pense à la mort, mais parce que c’est une façon de montrer l’amour profond que j’ai pour mon mari et pour chacun de mes enfants.
J’ai des contrôles médicaux réguliers mais je suis assez sereine. Je sais qu’il y a un chemin tracé pour moi. Je suis consciente que le Seigneur m’aime, que ma vie, comme celle du voisin, a tout autant de prix. Il connait les désirs de mon cœur, mes craintes, mes suppliques. Et clairement je lui dis : "Je t’en supplie Seigneur, fais que ça ne revienne pas !"