Aux yeux des Européens, les mesures arrêtées par Traditionis custodes peuvent sembler dures ou injustes. Or les catholiques qui suivent le missel de 1962 sont les plus nombreux aux États-Unis. D’après le témoignage d’Hugolin Bergier, la plupart d’entre eux sont très critiques à l’égard de l’enseignement de l’Église et de son autorité.
Aleteia : Que représentent les paroisses américaines pratiquant la forme extraordinaire du rite romain ?
Hugolin Bergier : D’après le Latin Mass Directory, un site basé à Londres recensant les lieux et horaires de messe traditionnelle dans l’Église catholique, 43% des paroisses offrant cette forme de la liturgie dans le monde sont concentrées aux États-Unis (qui ne comporte pourtant que 20% de catholiques). C’est dire le poids qu’elles représentent et le rôle qu’elles ont joué dans les décisions qui ont été prises autour de Traditionis custodes. Mon épouse (américaine) et moi avons eu plusieurs bonnes expériences autour de paroisses traditionnelles dans deux grandes métropoles américaines. Dans les deux cas, nous avons pu trouver un des rare lieux d’accueil et de soutien pour les familles nombreuses (nous venons d’accueillir notre sixième enfant) dans ce pays. Nous avons aussi été marqués par l’amitié du clergé d’une paroisse pratiquant la "forme extraordinaire" avec les habitants du quartier noir, pauvre et protestant.
Alors que nous avons toujours particulièrement apprécié la beauté de la liturgie traditionnelle, nous avons pourtant pu constater un délitement de la communion ecclésiale autour de ces communautés aux États-Unis.
S’agit-il de paroisses bien intégrées dans leur diocèse ?
Alors que nous avons toujours particulièrement apprécié la beauté de la liturgie traditionnelle, nous avons pourtant pu constater un délitement de la communion ecclésiale autour de ces communautés aux États-Unis. J’ai le souvenir d’une discussion avec un jeune américain, aîné d’une famille amie et pilier de la paroisse locale. Ce jeune homme affirmait avec conviction que tous les papes depuis Jean XXIII sont essentiellement dans l’erreur. Il y avait chez ce garçon brillant et d’une grande bonté, une profonde difficulté dans son rapport à l’autorité magistérielle. L’argument, pour lui comme pour beaucoup d’Américains dans ce cas, est de considérer que le concile et les textes pontificaux récents sont de nature pastorale et non dogmatique, donc n'imposent aucune obligation d’adhésion pour les catholiques. En poussant la discussion un peu plus loin, je me suis rendu compte qu’il était incapable, en dépit de sa grande érudition, de me donner le nom d’un théologien, vivant ou récent, qu’il considérait comme réellement fiable. Pour lui, la seule autorité, c’est la tradition telle que son entourage l'interprète.
Un cas isolé, peut-être ?
C’est un exemple, mais révélateur d’une attitude générale. Prenez le phénomène systématique de l'école à la maison : sauf quelques très rares exceptions, toutes les familles des paroisses traditionnelles aux États-Unis font l’école à la maison. La raison donnée est que les écoles, même catholiques, sont perverties. Pourtant nos enfants sont dans une école catholique du diocèse où tous les enseignants sont pratiquants, la catéchèse solide, la messe hebdomadaire obligatoire et où ils prient en classe cinq fois par jour. Mais en discutant avec ces familles, on se rend compte que l’école à la maison (qui peut être un excellent mode d’éducation) est plutôt un prétexte pour éviter de risquer la rencontre avec le monde moderne qui a tout perverti, jusqu’aux écoles catholiques Novus ordo.
Traditionis custodes reproche à certains fidèles du missel de 1962 de se servir de la liturgie pour rejeter le concile Vatican II : l’avez-vous constaté ?
Je me souviens au cours d’une messe selon la forme extraordinaire d’une homélie ouvertement critique au concile. C’est ce qui nous choque le plus. Cette homélie s’attaquait directement à la déclaration du concile Vatican II Nostra Aetate, qui affirme la place particulière des juifs aujourd’hui, reprise et développée dans une lettre de Benoît XVI en 2005. « Les juifs et les mahométans n’ont aujourd’hui aucune place particulière, assénait le prêcheur, ils sont des païens parmi d’autres. » Ces exemples sont problématiques et non de simples accidents isolés, ils représentent un schéma de pensée et un raisonnement qui se retrouve chez de nombreuses personnalités influentes et qui est soutenu ou entretenu par des médias catholiques américains importants. À l’inverse, les opinions plus nuancées et plus loyales à l’autorité ne bénéficient malheureusement pas d’une telle couverture médiatique. Comme le dit Mgr Barron, évêque auxiliaire de Los Angeles, "il y a deux signes qui nous indiquent que le débat catholique est devenue dysfonctionnelle : le dénigrement du pape, successeur de Pierre, et la remise en cause de la légitimité d'un concile œcuménique".