Bien des facteurs peuvent expliquer la disparition de l’URSS, mais celle-ci fut aussi provoquée par le duel entre le soviétique Mikhail Gorbatchev et le russe Boris Eltsine. À Gorbatchev le contrôle de l’URSS, à Eltsine celui de la Russie. En 1990, ce dernier parvient à se faire élire président du Soviet suprême de la Fédération de Russie, contre le candidat soutenu par Gorbatchev. En novembre 1990, Eltsine signe un traité reconnaissant la souveraineté de l’Ukraine et du Kazakhstan, contre la volonté de Gorbatchev. Déjà, le pouvoir de la Russie échappait au dirigeant de l’URSS. Le 12 janvier 1991, l’armée soviétique prenait d’assaut la tour de la télévision à Vilnius (Lituanie) où s’étaient réfugiés des opposants, faisant une quinzaine de morts et près de 150 blessés. Le lendemain, Eltsine reconnaissait l’indépendance des trois pays baltes, mettant un grand coup de canif au maintien de l’Union soviétique. Le coup d’État d’août tenta de revenir sur les réformes des dernières années. Resté à Moscou alors que Gorbatchev était en vacances, Eltsine fit arrêter les putschistes et rétablit la stabilité, prenant ainsi aux yeux de beaucoup de Russes le timon du gouvernement.
Ainsi prenait fin, ce 25 décembre 1991, la période historique ouverte avec la révolution de février 1917.
Les mois qui suivirent ne furent qu’une lente dissolution de l’URSS, avec notamment la reconnaissance de l’indépendance de la Biélorussie et de l’Ukraine et, le 8 décembre, la disparition de fait de l’URSS avec la création de la Communauté des États indépendants (CEI). Cette disparition devient officielle le 21 décembre quand les présidents des anciennes républiques adhérèrent à la CEI et que le poste de président de l’URSS, occupé par Gorbatchev, fut abrogé. Resta ensuite à aller au bout du processus, chose faite le 25 décembre 1991 quand Gorbatchev annonça sa démission, laissant le pouvoir à Boris Eltsine. Ainsi prenait fin, ce 25 décembre 1991, la période historique ouverte avec la révolution de février 1917.
De la dépression au renouveau
Président de la Russie de 1991 à 1999, Eltsine dut assurer la transition de l’économie et de la politique vers un système de liberté et de respect des règles de droit. Cette décennie fut un mélange d’espérances et de dépressions, avec des difficultés économiques, sanitaires et criminelles nombreuses. L’objectif politique de Vladimir Poutine, arrivé à la tête du pays en 2000, fut de retrouver la gloire perdue de l’URSS et de mettre un terme aux dépressions nombreuses qui touchaient la Russie. Vingt ans plus tard, la situation est des plus contrastées. Si la Russie a retrouvé sa puissance à l’extérieur, sur le plan intérieur elle demeure encore fragile.
Sur le plan international, une nette distinction s’opère entre l’Asie centrale et l’Europe. Les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale ont pris leur autonomie et leur indépendance et vivent désormais leur vie propre, sans inféodation à Moscou. Les pays en « stan » (Turkménistan, Ouzbékistan…) se déploient dans une région eurasiatique qui joue sa partition dans le choc des empires, entre la Chine, la Russie et les États-Unis. Ils sont trop souvent qualifiés « d’anciennes républiques soviétiques » alors que depuis trente ans leur chemin s’est bien éloigné de l’ancienne URSS.
Cette ambivalence et cette lecture contrastée de l’histoire rendent difficile, si ce n’est impossible, l’entente de la Russie et de ses voisins.
C’est la partie européenne de l’ancien empire soviétique qui connaît les tensions les plus fortes, notamment l’Ukraine et les pays baltes. Dans les autres pays du bloc de l’Est, la présence russe est résiduelle. Pologne, Hongrie, Slovaquie et République tchèque ont pris leur indépendance et ont retrouvé leur autonomie politique et culturelle. La chose est très différente avec l’Ukraine, du fait des liens complexes qui l’unissent à la Russie. L’intégration de la Crimée à la Russie témoigne de cette ambivalence. Pour les Russes, c’est le retour légitime d’un territoire russe, pour les Ukrainiens et les Occidentaux, c’est l’annexion forcée d’une terre ukrainienne. Cette ambivalence et cette lecture contrastée de l’histoire rendent difficile, si ce n’est impossible, l’entente de la Russie et de ses voisins.
La guerre au Donbass sévit depuis plusieurs années, sans qu’une issue positive ne soit pour l’instant perçue. Difficile aussi de sonder les intentions de Moscou lorsque des troupes sont massées à la frontière ukrainienne. Est-ce pour préparer l’invasion de l’est du pays, voire du pays tout entier ? Ou est-ce seulement pour faire pression sur les Occidentaux et témoigner du retour de la Russie trente ans après la disparition de l’URSS ? Poutine et ses conseillers le savent-ils eux-mêmes ?
La Russie dans les marches soviétiques
C’est en dehors de l’Europe et de l’étranger proche russe que Moscou a le plus repris la politique étrangère soviétique. En Syrie d’abord, où la partition fut jouée avec brio pour venir défendre l’allié traditionnel syrien et empêcher ainsi le départ d’Assad et la mainmise américaine. De même en Libye, même si la Turquie a pour l’instant pris le dessus. Dans la guerre du Karabagh, on a vu la Russie se faire seule l’arbitre des élégances et imposer un cessez-le-feu aux belligérants, anciens membres de son Empire déchu, rappelant ainsi la permanence soviétique dans les marches du Caucase.
En revanche, en Afrique et en Amérique latine la diplomatie russe est en rupture avec l’époque soviétique. L’Afrique fut en effet un lieu d’échec pour la présence soviétique. Une première implantation est ratée dans les années 1950-1960, en dépit de la vague de décolonisation et de l’affiliation des chefs d’État à l’idéologie marxiste. Une seconde tentative d’intrusion est menée dans les années 1970-1980, avec des résultats assez faibles. Aujourd'hui, la Russie s’implante en Centrafrique, au Mali et en Afrique de l’Ouest, notamment via ses mercenaires de Wagner. Mais pour quoi faire et dans quel but ? Est-ce uniquement une volonté de puissance pour se donner l’impression de peser toujours, ou bien cela répond-il à un véritable projet géopolitique ? La chose n’est pas évidente.
En Amérique latine, la Russie est absente des débats et des influences, en dépit de la permanence de l’idée marxiste dans ces pays, et de la victoire de nombreux candidats de gauche aux élections présidentielles au cours de l’année 2021. Il y a certes un soutien au Venezuela de Chavez et à la Bolivie de Morales, mais cela demeure anecdotique. Cet effacement d’Amérique latine montre que la comparaison entre l’URSS et la Russie a ses limites. Certes, la Russie d’aujourd'hui retrouve ses anciens alliés d’hier et veut intervenir dans ce qui fut son espace géographique légitime. Mais elle le fait au nom de la Russie et non plus au nom de l’idéologie marxiste. La nation l’a emportée sur l’idéologie et sur l’empire soviétique. D’autant que la Russie demeure un pays fragile, à l’économie faible et à l’espérance de vie basse. Minée par la corruption et la violence politique, Moscou n’a pas les moyens de ses ambitions géopolitiques.