Le Garde des Sceaux, qui n’est pas le membre le moins affairé d’un gouvernement devenu expert en déconstruction de la société, vient d’avoir une nouvelle idée : désormais, chaque Français aura le droit de « choisir son nom de famille ». Tout semble cohérent : on veut nous faire rêver d’une société dans laquelle chacun choisira son sexe (pardon : son genre), ses aïeux, son identité, sa métaphysique, son visage, et maintenant son nom, bref une société dans laquelle personne ne devra rien à personne. Le ministre précise : « Nous allons donner la liberté à chaque Français de pouvoir choisir son nom de famille pour garder celui de sa mère uniquement, celui de son père, ou les deux, dans le sens que l’on souhaitera. Il suffira d’une déclaration Cerfa à votre mairie. »
Un peuple déraciné
Comme toujours, l’argument présenté semble imprégné de bon sens et de bienveillance. Et comme toujours, il est fondé sur la référence à de rarissime exceptions : « Je pense, dit le ministre, à l’enfant qui porte le nom d’un homme qui n’a pas été un père mais un géniteur qui a oublié ses devoirs. » Cette idéologie de l’exception qui fait la loi et de la fausse empathie qui déracine les hommes porte de grands dangers : elle nous conduit à une société de la solitude. Si la loi voulue par Éric Dupont-Moretti est adoptée, des frères n'auront pas le même patronyme, des enfants n’auront pas le nom de leurs parents, en attendant qu’ils n’aient plus de parents du tout, ou des parents sans nombre. Les familles étaient de plus en plus « recomposées », ce qui était une grande souffrance dans notre société, mais il faut croire que cela ne suffisait pas : on nous prépare maintenant des familles décomposées.
Les plus pauvres et les plus déshérités, que deviendront-ils, quand on aura retiré le repère de leur nom ?
On nous enlève nos racines une à une. Avons-nous mesuré ce que veut dire un peuple déraciné ? Comme si le bonheur était concevable sans être de quelque part ? Sans être une personne unique mais inscrite dans une histoire, sans porter le nom de son père ?
Les déshérités
La perte d’identité masculine est en train de tourner au désastre en Occident. Si l’on porte le nom de son père, et dans toutes les sociétés du monde, c’est justement parce que la filiation paternelle a besoin d’être affirmée : elle est toujours vulnérable au soupçon. Elle doit être mise en avant pour construire nos pauvres bonheurs individuels. La masculinisation des femmes, folie du moment, entraîne la mort des hommes. On nous fabrique une génération désespérée, privée de racine et donc d’élan : une génération démissionnaire.
« Ce texte est enthousiasmant », affirme le garde des Sceaux, en se référant à sa propre personne. Mais il ne s’agit pas ici de M. Dupont-Moretti, qui a assez de notoriété pour ne pas se soucier de savoir qui il est. Les plus pauvres et les plus déshérités, que deviendront-ils, quand on aura retiré le repère de leur nom ?