J’étais encore petit lorsque mon grand-père parla du pays d’Ombre. Nous étions à quelques jours de Noël. Dehors, une tempête de neige tourbillonnait dans l’air depuis le matin. Sous les flocons, les bancs des jardins publics, les routes, les voitures semblaient ne jamais avoir
existé. Tenu de rester à la maison, je devenais insupportable. Jusqu’au moment où grand-père, sans paraître s’apercevoir de ma mauvaise humeur, me prit par la main en m’entraînant dans son bureau.
C’était un instant insolite, personne n’entrait dans sa pièce. Mon regard était happé par l’univers encombré de livres, certains très volumineux et très vieux. Une série de peintures étaient posées sur le bureau. Il me fit asseoir en disant: "Tu regardes mes icônes. Elles veillent sur moi lorsque je travaille. Je dialogue avec elles, nos conversations sont très
intéressantes!
‒ Grand-père, une peinture ne parle pas!
‒ Détrompe-toi. Certaines œuvres d’art sont douées de vie et transforment celui qui les regarde. Jules, il y a un monde invisible que tu ne soupçonnes pas. Mais tu possèdes un atout que les adultes ont perdu car tu es un enfant. Tu connais encore le chemin des songes. Les rêves transportent les messages du ciel, jadis tout le monde le savait. Moïse en a parlé le premier. Jeune, j’ai eu un songe que je n’ai jamais oublié. Ma nuit était agitée, je vivais une sorte de cauchemar. J’étais dans une ville grise, au milieu de nappes de brouillard. Au loin, les cheminées d’usines crachaient leurs fumées noirâtres. Je ne savais si c’était le jour ou la nuit. J’ai marché au hasard. Je voyais des hommes qui se hâtaient seuls vers des maisons délabrées. Je me sentais démuni. Un froid intense me glaçait jusqu’aux os. J’essayais d’interroger les passants mais leurs regards étaient vides, ils ne répondaient pas. Le froid commençait à m’engourdir, je savais que la mort m’attendait.
J’ai levé la tête et j’ai vu une étoile immense qui brillait intensément. Elle scintillait pour me faire signe. Je l’ai suivie, elle m’a mené loin de la ville dans un paysage de roches noires, sans un arbre ni un brin d’herbe. L’étoile s’est arrêtée devant une roche creuse et a disparu dans la pierre noire. Alors j’ai vu un enfant plus brillant que l’étoile, il me souriait. J’ai crié : "Jésus Christ!" Je me suis réveillé. Dans ma main, il y avait cette étoile. Je l’ai toujours sur moi et je la regarde lorsque je désespère. Elle est à toi à présent.
‒ Je la garderai toujours, grand-père !"
Conte de Noël écrit par Paule Amblard et publié initialement sous le titre : "Pays d'ombre" dans le Compagnon de l’Avent 2021 (Magnificat).