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Deux candidats à l’élection présidentielle en Arménie

ERIC ZEMMOUR
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Louis Daufresne - published on 17/12/21
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Les candidats Valérie Pécresse et Éric Zemmour se déplacent en Arménie. Louis Daufresne décrypte le sens de ces voyages auprès des chrétiens d’Orient, où la fidélité le dispute aux symboles et aux calculs.

Il y a le papier d’Arménie et des papiers sur l’Arménie. Le premier se consume en petites lamelles dont la douce incandescence diffuse dans le foyer un apaisant parfum d’Asie. Les seconds se brûlent en séquences médiatiques propices à exciter les passions du moment et les calculs électoraux : les candidats à l’élection présidentielle Valérie Pécresse et Éric Zemmour vont se succéder sur cette terre tremblante du Caucase, à la fois paupérisée et rétrécie, où le seul espoir de jeunesse consiste à vouloir la quitter. Il y a quelque chose de bien français à se complaire dans les causes désespérées : Camerone demeure la référence du Golgotha militaire, où tout est perdu d’avance, fors l’honneur. N’est-ce pas la seule chose qu’il faut garder intacte ici-bas, nous susurre notre cœur vaillant ? 

Une part de nous-mêmes  

Cette vertu nous colle à la peau, à droite bien sûr, mais à gauche aussi. Quand Bernard Kouchner faisait sa guerre du Biafra, il agissait en missionnaire des droits nouveaux — des droits TV aussi. Comme l’athlète porte la flamme olympique, l’homme blanc devait illuminer la noirceur du tiers-monde. La générosité est notre fardeau. La gauche se le coltina auprès de guérillas révolutionnaires. Cette attention au faible, aux rejetés, aux opprimés provient du surmoi catholique et aussi colonial. Elle transpire encore par tous les pores de notre condition de nantis, y compris aux extrêmes les plus déglingués, comme le chantait la litanie Salut à toi, hurlée par le groupe punk Bérurier noir (1985). Il y a une manie à interpeller tous les damnés de la terre. 

À droite, quand l’urne approche, la machine à mythes passe en mode industriel.

À droite, quand l’urne approche, la machine à mythes passe en mode industriel. Essoré par ses successeurs falots, l’uniforme gaulliste se perd dans la mémoire d’une opinion élevée dans l’ignorance de ses monarques, de Gaulle ou Bonaparte. Pour se grandir, rehausser les statuts de bronze ne suffit pas. Il faut aller sniffer une ligne de front. En 1939, on se demandait s’il fallait mourir pour Dantzig ; en 1940, on débarqua à Narvik et plus tard à Suez puis on sauta sur Kolwezi. Notre honneur dépend de notre volonté de protéger ce qui doit l’être, une part de nous-mêmes et pas seulement un morceau de nos intérêts. 

Une réplique du choc des civilisations

L’Arménie est la tête de pont de nos peurs identitaires. On va là-bas pour ne pas devenir comme elle : une « nation chrétienne » au milieu d’un « océan islamique », dit Éric Zemmour. À ses yeux, la force du Coran fait monter les eaux et la digue menace de céder. Aller en Arménie, c’est faire comme John Kennedy à Berlin : dire que nous sommes tous arméniens. Et le dire à ceux qui votent en France. La diaspora compterait 700.000 membres, plutôt riches et diplômés, penchant massivement à droite, en particulier dans le sud. La guerre de 44 jours, déclenchée et gagnée par l’Azerbaïdjan en automne 2020, méritait une exploitation symbolique. Les médias la boudèrent, voyant trop bien que le christianisme est inséparable de l’identité arménienne. Ils sont cohérents. N’eût-il pas été contradictoire de le défendre là-bas et de le moquer ici ? Pourtant, il y aurait un récit commun. La perte du Haut-Karabakh fait un peu penser à l’Alsace-Moselle. Comme nous, l’Arménien sait ce qu’un « territoire séparé » veut dire. Il vit toute amputation sur le mode du traumatisme. Là-bas, le parti Reconquête prend un bol d’air guerrier. En Arménie, Éric Zemmour voit une réplique sismique du choc des civilisations, entre l’Orient et l’Occident, la chrétienté et l’islam. 

Mais le candidat n’est pas si clair que cela, au moins sur deux points. Le premier est soulevé dans Le Monde par un collectif d’intellectuels de gauche de la diaspora : « Zemmour, écrivent-ils, avait adopté une position résolument proturque, en assimilant la loi pénalisant la négation des génocides à une “obsession mémorielle”. » En fait, ils lui reprochent de ne pas vouloir accorder aux Arméniens ce qui est exclusivement reconnu aux juifs. Second point : Éric Zemmour feint d’oublier que Vladimir Poutine, si fantasmé par nombre de ses partisans, est le vrai vainqueur de la guerre des 44 jours. Au sud de la Russie, l’Onu siège à Moscou. Depuis toujours, les tsars, blancs ou rouge, s’emploient à diviser pour régner en fabriquant des poches : Transnistrie, Ossétie du sud, Abkhazie, Crimée, etc. Ces conflits gelés, quand ils se réchauffent, ont besoin d’un arbitre et d’un gendarme. L’équation arménienne dépend moins de l’Azerbaïdjan, l’un des pays les plus laïques du monde, que du grand frère ex-soviétique.

Appel du pied

Si Éric Zemmour et Valérie Pécresse se suivent de près en Arménie, ils ne font pas route ensemble. Pour le journaliste, ce voyage était « un élément de légitimation de la stature présidentielle », note Christian Makarian, ancien patron de L’Express. À l’inverse, pour Valérie Pécresse, ce déplacement sera « un élément de continuation ». Les deux candidats ne viennent pas y chercher le même graal. Pécresse cherche un « point de conformité électoral avec Sens commun et l’électorat de François Fillon », ajoute Makarian. C’est un appel du pied à une partie des Républicains dont Bruno Retailleau, son agent de liaison avec Erevan, est l’une des figures. « Si elle avait voulu se donner des airs de chef d’État, elle serait allée en Allemagne », poursuit-il.

L’Arménie est une mosaïque chrétienne. Trois églises cohabitent sur ce confetti : les orthodoxes (80%), les catholiques (15%) et les protestants (5%). Cette diversité n’interdit pas la résistance. Face à l’étreinte ennemie, le monastère de Khor Virap ressemble à un Fort Alamo du Caucase. Éric Zemmour y fit escale. Khor Virap signifie « puits profond ». Persécuté par le roi, saint Grégoire l’Illuminateur y passa treize ans et survécut. Ce trou regarde un géant, l’énorme face glacière du mont Ararat, si près des yeux, si près du cœur et qu’une frontière militarisée rend intouchable. Le trou ou le sommet ? Les candidats, Valérie Pécresse ou Éric Zemmour, voient tout de suite ce que cela signifie pour eux.

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