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À Solan, la sanctification par le travail des vignes

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Cave du monastère orthodoxe de Solan.

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Marc Paitier - publié le 10/12/21
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Bâtisseurs de la civilisation du vin, les moines et moniales n’ont eu de cesse, au fil des siècles, de travailler la vigne pour la gloire du Seigneur. Tout au long de la semaine, le général Marc Paitier nous invite à remonter le temps afin de comprendre l’évolution de la viticulture monastique et la manière dont elle s’incarne encore aujourd’hui dans certains monastères et abbayes de France. Découvrez aujourd’hui le monastère de Solan. (5/6)

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Le monastère de Solan est un établissement féminin orthodoxe de fondation récente. Le père Placide Deseille, moine français du monastère de Simonos Petra, un des vingt monastères du Mont Athos est envoyé en France avec le père Séraphin Pyotte pour y fonder une dépendance de cet établissement. C’est ainsi que verra le jour, en 1978, le monastère Saint Antoine le Grand à Laurent-en-Royans dans le Vercors. Trois femmes viennent frapper à la porte du père Placide pour lui faire part de leur désir de mener une vie monastique sous sa conduite. Après un temps de formation, les premières professions ont lieu en 1984. En 1985, cinq sœurs s’installent dans une maison à proximité de celle des Pères. Ainsi, est né le monastère de la Protection de la Mère de Dieu. 

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De nouvelles candidates venues du monde entier vinrent très vite renforcer les effectifs. Trop à l’étroit dans leur demeure, les sœurs, après bien des recherches, finissent par trouver, en 1991, un lieu idéal, une ancienne ferme agricole et viticole, à Solan dans le Gard, qui fut jusqu’au XVIIIe siècle une dépendance du prieuré clunisien de Pont-Saint-Esprit. Voilà ce que dira le père Placide lors de la bénédiction de la maison :

Les sœurs se retrouvent à la tête d’un important domaine de 40 hectares de forêt et de 12 hectares en culture. Le choix de l’agrobiologie, commandé par l’amour du Créateur, et son corollaire, le respect de la création, a été posé dès qu’elles ont fait l’acquisition du domaine, et mis en pratique à partir de 1992, à leur installation. Il s’est imposé naturellement car il est en phase avec la sensibilité de la théologie orthodoxe pour l’aspect cosmique du salut, la participation de tout le créé à l’œuvre de la sanctification ce qui est très tangible dans la liturgie byzantine. Tout ceci est formulé dans les appels à la sauvegarde de la création posés par le Patriarche de Constantinople dès 1989. Ceux-ci avaient trouvé un très fort écho auprès des membres de la communauté, à cette époque. Certaines personnes leur conseillent de ne pas relever ce défi, car la situation de l’activité viticole dans le Gard à cette époque était très critique et les études de faisabilité montraient qu’une exploitation de petite taille n’avait pas d’avenir. D’autres sont persuadées que ces sœurs principalement citadines n’auront jamais la fibre paysanne. Elles vont leur donner tort. 

Le domaine n’est pas en bon état, malmené par des années de culture intensive. Les sœurs, enthousiasmées par l’idée de travailler la vigne, qui joue un rôle si fort dans l’Évangile, décident non seulement de se lancer dans l’aventure mais aussi d’adopter d’emblée la culture biologique, bien que cette exigence rende encore plus difficile la prise en main du domaine. Au bout d’une année, la situation économique et sanitaire du vignoble est très délicate Les conseils de changement de métier se font de plus en plus pressants. Les sœurs persévèrent envers et contre tout. Elles ne veulent pas se résigner à abandonner le travail de la terre. C’est à ce moment-là que se situe une rencontre déterminante, celle du paysan-philosophe Pierre Rabhi. Il va encourager les sœurs et les soutenir dans les choix qu’elles ont faits. Il leur fait découvrir l’agroécologie, les confirmant dans leurs intuitions. Il va les accompagner fidèlement et les épauler pendant de longues années dans leur démarche de vivre avec la terre. 

Quand on aime le Créateur, on respecte Sa création.

L’agroécologie est une approche globale qui réconcilie agriculture et écologie mais aussi l’humain et l’éthique et qui replace la paysannerie au cœur des territoires pour y promouvoir un système de production alimentaire sûr et durable, respectueux de la vie. Cette vision exigeante s’adapte parfaitement à la règle de Saint Basile qui inspire le mode de vie des moniales de Solan et qui donne la première place aux activités agricoles dans le travail. Sœur Iossifia explique simplement ce choix : "Pour nous c’était une évidence. Quand on aime le Créateur, on respecte Sa création." Mère Hypandia, supérieure de la communauté ajoute : "Le salut que nous offre le Christ est un salut pour tout l’univers, pour tout le vivant. Prince de la Création, l’homme a pour mission d’en prendre soin. Il doit en être le jardinier, non le destructeur."

Les vignes sont cultivées selon les préceptes de l’agroécologie, sans aucun intrant chimique dans le respect de la diversité de l’environnement. Pierre Rabhi avait dit aux sœurs de partir de l’existant et de le valoriser : "Allez à la rencontre de votre terre". C’est ce que les sœurs ont fait au prix de très gros efforts. Au début, elles se sont dirigées vers la biodynamie mais elles ont renoncé à cette pratique dont la mise en œuvre est contraignante et dont les fondements philosophiques ne correspondent pas à leur vision du monde. Elles en sont donc restées à la certification en agriculture biologique avec une approche "bourguignonne" privilégiant la notion de terroir par la connaissance des parcelles. 

Une grande diversité de sols

Le vignoble prend pied sur le contrefort oriental du massif cristallin des Cévennes et se déploie sur une grande diversité de sols : marnes plus ou moins calcaires pour les vins amples et puissants ; sols sableux sur des types de grès variés, pour des vins plus féminins. Les maladies sont prévenues avec l’emploi de préparations à base de plantes comme les décoctions de prêle contre le mildiou, par exemple. À partir de 2001, un programme d’arrachage et de plantation est mis en œuvre pour amener la superficie cultivée à 5-6 hectares ce qui correspond à la charge de travail que les moniales peuvent assurer raisonnablement et aux volumes qu’elles peuvent vendre à un prix correct. Les cépages sont sélectionnés pour obtenir la meilleure expression du terroir. Les précieuses vieilles vignes sont régénérées : drainage des parcelles, curetage pour préserver le bois sain et assurer la bonne circulation de la sève. À partir de 2013, les vignes sont enherbées pour lutter contre l’assèchement. En concurrence avec l’herbe, la vigne va plonger ses racines plus profondément dans le sol à la recherche de l’eau. La connexion avec le sous-sol s’établit ainsi pour le plus grand profit des raisins.

Dans les années 90, les raisins étaient vendus à la coopérative mais à partir de 1999, les sœurs décident de vinifier la totalité de la production au monastère. Sœur Nicodimi qui fut ingénieur chimiste s’engage dans cette aventure avec l’aide d’un œnologue et d’un vigneron. La cave aux lignes contemporaines, a été construite avec des pierres locales pour s’adapter harmonieusement au mas cévenol qui l’entoure. Les sœurs sont aussi de bonnes commerçantes. Elles vendent elles-mêmes les 25.000 bouteilles produites annuellement, dans la boutique du monastère, dans les magasins de produits monastiques et biologiques, sans oublier la vente par correspondance à partir de leur site. Le vin représente leur principale source de revenus. Le jardin potager, les vergers, l’oliveraie assurent l’autonomie alimentaire de la communauté et de ses visiteurs mais aussi l’approvisionnement de la boutique : huiles, confitures, pâtes de fruits, conserves, condiments, sirops, vinaigres. La forêt inextricable qui n’était plus entretenue est aujourd’hui une futaie jardinée. Elle garantit la protection des sols et l’équilibre de la biomasse. On y récolte des châtaignes et on y exploite du bois de chauffage. Plusieurs espèces rares de la faune et de la flore y sont répertoriées. Le monastère fait partie du réseau Natura 2000.

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Le monastère propose huit cuvées différentes dans tous les styles et les couleurs. Quatre vins rouges : Saint Martin, assemblage de syrah, grenache et cinsault, frais et tendre. Saint Ambroise, cabernet franc, pinot noir, syrah, souple et structuré. Saint Simon, syrah, grenache, vinifiés sans sulfite ajouté, rond et soyeux. Saint Porphyre, le plus ambitieux, cabernet franc, pinot noir, syrah. Rendements très faibles de l’ordre de 25 hl/ha. Élevé en fûts de chêne neufs pendant douze mois, vin de garde élégant et puissant. Un vin rosé de haute expression "Mon bien aimé avait une vigne sur un coteau fertile" (Is, 5), carignan, cinsault, syrah, vermentino, très belle fraîcheur sur les fruits rouges, la groseille et la pêche. Sainte Catherine, un vin blanc sec 100% vermentino aux notes d’agrumes et de fruits exotiques. Sainte Sophie, un vin effervescent élaboré selon la méthode champenoise, clairette majoritaire, vermentino, floral. Saint Jean bouche d’or, vin liquoreux élaboré avec des raisins de clairette passerillés (desséchés) sur claies pendant plusieurs mois après la récolte avant d’être vinifié (méthode utilisée pour les vins de paille du Jura ou les "vino santo" italiens). Élevage d’un à trois ans en barriques. 

La cuvée de trois ans d’élevage présente une robe ambrée, des arômes confits de figues sèches et de raisins secs, une bouche grasse. Tous ces vins portent la mention "IGP Cévennes" à l’exception du vin effervescent et du vin passerillé qui ne rentrent pas dans le cahier des charges de l’appellation. Ils expriment tous selon une sœur "la vivacité étincelante de la Provence alliée à la gravité généreuse des Cévennes."

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