Concession faite au féminisme ou fidélité au texte latin ? La nouvelle traduction du Missel romain remplace à plusieurs reprises le mot "frères" par la formule "frères et sœurs", et "serviteurs" par "serviteurs et servantes". C’est le cas dans l’introduction du rite pénitentiel : "Frères et sœurs, préparons-nous à célébrer le mystère de l’eucharistie, en reconnaissant que nous avons péché" et à deux reprises dans le Je confesse à Dieu : "Je confesse à Dieu tout-puissant, Je reconnais devant vous, frères et sœurs, que j’ai péché en pensée, [....] C’est pourquoi je supplie la bienheureuse Vierge Marie, les anges et tous les saints, et vous aussi, frères et sœurs, de prier pour moi le Seigneur notre Dieu."
La nouvelle prière sur les offrandes inclut également cette nouvelle adresse : "Priez, frères et sœurs : que mon sacrifice, qui est aussi le vôtre, soit agréable à Dieu le Père tout puissant." Enfin, la prière eucharistique I mentionne les serviteurs et les servantes : "Souviens-toi Seigneur, de tes serviteurs et de tes servantes… ". "Ce n'est pas une concession faite au féminisme mais un retour à la richesse du texte latin", explique Bernadette Mélois, directrice du Service national pour la pastorale liturgique et sacramentelle : ""Frères et sœurs" renvoie à la fraternité tant significative de l’Église du premier millénaire. En incluant les "sœurs" dans le discours, le Missel reprend l’antique manière des chrétiens de s’adresser les uns aux autres, comme "frères et sœurs", égaux dans le Christ-frère".
Une très ancienne formulation
Inclure explicitement les femmes dans les prières de l’assemblée n’est pas une nouveauté. Depuis des siècles, le canon romain latin utilise la formule "Memento, Domine, famulorum famularumque tuarum" ("Souviens-toi, Seigneur, de tes serviteurs et de tes servantes") dans la prière eucharistique I. "L’expression "serviteurs et servantes" était déjà présente dans la prière eucharistique I du Missale romanum. Ce n’est qu’en 1970 que, curieusement, les traducteurs ont fait disparaître le mot "servantes"", explique le père Henri Delhougne, docteur en théologie, moine bénédictin à l'Abbaye Saint-Maurice de Clervaux (Luxembourg) et coordinateur de la Commission du Missel romain.
"Famularum" reste la seule occurrence du féminin dans le canon romain. "Les autres adresses ne font mention que de "fratres" ("frères")", précise père Henri Delhougne. Cependant, reprendre l’ancienne formulation évoquant le féminin et l’étendre aux autres prières est une manière de s’adapter à l’évolution de la langue et de la société. "La situation culturelle a évolué, et à des rythmes différents selon les pays", constate le père Henri Delhougne.
"La mention de "frères et sœurs" est une forme spécifique au Missel francophone, demandé avec insistance par les évêques canadiens pour qui le langage inclusif est plus ancré qu’en France", abonde le père Samuel Berry, délégué épiscopal pour la pastorale liturgique et sacramentelle dans le diocèse de Pontoise. Une formule qui selon lui permet d’inclure plus largement, et qui a du sens par rapport à la manière de s’exprimer aujourd’hui. "Le mot "frère" n’est pas un terme générique. S’il est évident que le mot "homme" est un terme générique qui comprend les hommes et les femmes, cela est moins évident avec le mot "frère". "Frères et sœurs" permet ainsi de s’adresser à toute l’assemblée". Une manière de favoriser un esprit de fraternité qui n’a pas échappé au Pape : "Le Pape François débute toutes ses catéchèses par "Frères et sœurs, bonjour", souligne le père Henri Delhougne. Le bon exemple vient de haut !".