Une ancienne église clandestine
À Mgr Paolo Emilio Sfondrate, jadis disciple de Saint Philippe Néri, et neveu du pape Grégoire XIV, échut le titre de Santa Cecilia del Trastevere. L’église est l’une des plus anciennes de Rome, l’un des tituli primitifs, ces maisons privées qui, avant l’édit de Milan en 313, permettaient aux fidèles, toujours sous la menace de la persécution, de se réunir clandestinement pour célébrer leur culte. La Tradition affirme que cette demeure est celle où sainte Cécile, sa jeune propriétaire, avait, après son veuvage prématuré, subi à son tour le martyre et qu’elle avait, au prix d’un artifice juridique, réussi à soustraire aux confiscations et spoliations qui frappaient les chrétiens, la léguant à l’Église.
Bâtie au-dessus de la maison des Caecilii, vénérable par son ancienneté et sa beauté, la basilique Sainte-Cécile l’est plus encore par le tombeau de la martyre que l’on y vénère en même temps que son époux Valérien, son beau-frère Tiburce, tous deux convertis par son exemple, et le sous-officier Maxime, touché par la grâce tandis qu’il conduisait les deux frères au supplice. Il n’en avait pas toujours été ainsi. À l’origine, c’est-à-dire entre 177 et 179, époque du martyre de Cécile, la sainte et ses proches ont été enterrés dans les catacombes de la Via Appia, non loin du tombeau de sa lointaine aïeule, Caecilia Metella. Preuve de l’importance du culte qui lui était rendu, et du respect porté par l’Église à celle dont le nom figurait au canon de la messe romaine, deux souverains pontifes, Urbain et Lucius, qui ont respectivement régné de 222 à 230 et de 253 à 254, ont choisi d’être enterrés dans la même crypte que Cécile.
Deux sarcophages de marbre blanc
Cependant, en 817, le pape Pascal Ier, inquiet de l’état des catacombes, peu ou prou abandonnées depuis les invasions lombardes au VIe siècle, et redoutant leur profanation et le vol des corps saints, décide de ramener un maximum de reliques intra muros, à l’abri. Ainsi la dépouille de Cécile, et celles de ses compagnons, sont-elles ramenées en lieu sûr, dans la basilique transtibérine. On leur élève deux tombeaux de marbre blanc. Ces tombeaux se trouvent dans une crypte, survivance de la maison romaine, juste sous le maître autel. Au fil des siècles, ils sont devenus inaccessibles. Cependant, en cette année 1599, Mgr Sfondrate estime que les travaux de la basilique ne peuvent plus attendre et qu’il faut y procéder d’urgence si l’on veut vraiment la sauver. Il insiste pour que l’on recherche les deux tombes dont parlent les chroniques anciennes. Enfin, le 20 octobre, les ouvriers découvrent, à l’emplacement supposé, deux sarcophages de marbre blanc qui correspondent aux descriptions anciennes, et l’on fait appeler le cardinal. Il accourt, et demande d’ouvrir les deux sépulcres.
Dans le premier, celui où Pascal Ier a fait réunir les restes des trois hommes, comme on peut s’y attendre après quatorze cents ans, ne restent que quelques ossements et deux crânes, le troisième, celui de saint Valérien, ayant été prélevé en 817 et inhumé ailleurs. C’est avec presque de l’angoisse que le cardinal donne l’ordre d’ouvrir le tombeau de Cécile. Il craint, et il espère. En 817, à en croire les témoignages d’époque, le corps de la sainte avait été retrouvé intact, préservé de toute corruption de la chair. Se pourrait-il que ce miracle ait perduré ? Le couvercle est soulevé, et là…
Une jeune fille est étendue
Sous le somptueux drap de soie brodé dont, jadis, le pape la fit recouvrir, une jeune fille est étendue, couchée sur le côté, le visage à demi tourné vers le fond du cercueil, telle une dormeuse paisible. Aucune trace de décomposition n’altère le cadavre, pas plus que la robe blanche brodée d’or, le vêtement d’une patricienne, dont elle est revêtue, celui qu’elle portait à l’heure de son supplice, comme l’attestent les larges taches de sang qui le maculent.
À ses pieds, des linges pareillement imbibés de sang ont été soigneusement déposés, selon l’usage des fidèles qui épongeaient ainsi les plaies encore fraîches des martyrs. Sur le cou de la jeune fille, bien distinctes, se voient les traces vermeilles des trois coups qu’un bourreau à la main peu assurée porta à la suppliciée puisque celle-ci avait survécu à la peine prévue par un juge peu désireux de révéler la conversion au Christ de l’héritière de deux très grandes familles de l’aristocratie : la mort par suffocation dans le bain chaud des thermes de sa maison, façon ordinaire de châtier en toute discrétion les patriciennes coupables… Mais la vapeur brûlante n’a pas tué Cécile, rafraîchie, disait sa poétique passion, par la présence et le chant des anges qui l’encourageaient à endurer ses souffrances. Alors, conformément à la loi, ordre a été donnée de l’achever par le glaive. Seulement, les trois coups permis, mal assenés, ne l’ont pas tuée et le bourreau, n’ayant plus le droit de frapper, l’a abandonnée ainsi sur le dallage de la salle de bains, agonisante…
Les trois doigts tendus
Les trois plaies sont là, écarlates, et, Mgr Sfondrate, bouleversé, constate que le passionnaire disait vrai sur un autre détail : l’index gauche de Cécile est tendu, comme trois doigts de sa main droite ; le cardinal se souvient de l’explication de ce geste. La gorge tranchée, incapable de parler, mourante, Cécile a ainsi confessé une dernière fois le dogme trinitaire, Dieu Un en trois Personnes… Un voile entoure la tête de la martyre et son visage, tourné vers le fond du cercueil, se distingue mal. Sans doute a-t-il fallu l’ensevelir ainsi parce que sa tête, presque détachée du tronc, ne permettait pas de la coucher autrement. Pour contempler ses traits, et tous l’aimeraient, il faudrait soulever pieusement le corps, le retourner, et donc, porter la main sur la vierge martyre. Vierge car, bien que mariée, Cécile avait, par ses prières, et l’apparition d’un ange dans la chambre nuptiale le soir de ses noces, obtenu de Valérien, encore païen pourtant, qu’il respecte son vœu de n’avoir d’autre Époux que le Christ. Ni le cardinal Sfondrate, ni aucun des prélats et des prêtres présents, pas même le pape Clément VII accouru, n’ose toucher la chaste martyre et Cécile sera recouchée dans sa tombe, telle qu’ils l’y ont trouvée.
Cependant, l’on fait appeler le sculpteur Maderno, l’un des plus grands artistes de l’époque, afin qu’il réalise des esquisses du corps de la sainte témoignant du miracle de son incorruptibilité. C’est d’après ses croquis que Maderno réalise la magnifique statue que l’on peut admirer à Santa-Cecilia. Faut-il regretter qu’en 1902, lors de la campagne de fouilles archéologiques menée dans la basilique, l’on n’ait pas jugé utile de rouvrir la tombe et d’opérer des vérifications plus scientifiques ? Sans doute pas…