En 355, sur la foi d’un rêve, Martin quitte la ville de Poitiers et son évêque Hilaire pour retourner dans sa ville natale de Sabaria, dans la Hongrie actuelle. Le temps est venu, lui a-t-il été révélé en songe, d’aller porter l’évangile à ses parents demeurés païens. Il part donc, à pied, en direction de l’Italie, avec l’intention de franchir les cols alpins et de continuer vers Turin et Milan. Tant qu’il voyage le long des voies romaines, surveillées par l’armée et très passantes, tout se passe bien, mais, voilà que dans la montagne, il commet l’erreur de quitter la grand-route et de monter par des chemins de traverse.
C’est alors des endroits dangereux où le voyageur imprudent risque à chaque instant de tomber sur des bandes de brigands. Tel fut précisément ce qui arrive à Martin et un groupe de bandits l’arrête, le fouille, et constate, dépité, qu’il n’a pas un sesterce sur lui. Alors comme il semble bien éduqué, ces hommes décident de le retenir en otage, dans l’intention de réclamer une rançon à ses proches.
« Je suis chrétien »
Le chef de la bande le confie donc à l’un de ses lieutenants, à charge de le conduire dans l’une de leurs caches et d’essayer de lui extorquer les adresses d’une famille qu’à tort, il suppose riche, mais, à toutes ses questions, Martin oppose, tranquille, cette unique réponse qui, à ses yeux, explique sa pauvreté et son dépouillement : « Je suis chrétien. » Cela ne signifie pas grand-chose pour son geôlier païen mais quelque chose étonne cet homme : d’ordinaire, ses prisonniers tremblent d’effroi de se retrouver au pouvoir de sa bande. Pourquoi n’est-ce pas le cas de celui-là ? « Tu n’as pas peur ? » lui demande-t-il, étonné. Martin, toujours calme et indifférent, répond en souriant : « Jamais je ne me suis senti aussi rassuré car je sais que la miséricorde du Seigneur viendra tout spécialement m’assister dans mes épreuves. Mais toi, par contre, je te plains beaucoup car ton métier te rend indigne de la miséricorde du Christ. »
Martin, imperturbable, le catéchise, et avec tant d’ardeur que le malheureux, en larmes, lui demande s’il n’existe pas un moyen quelconque d’échapper à l’enfer qui l’attend.
Touché par la grâce
Ce n’est pas un mauvais homme que ce bandit. L’époque est dure ; pressurés par le fisc, de braves fermiers, des commerçants, à bout de ressources, privés de leurs biens confisqués par l’État, n’ont, pour survivre, plus d’autres recours que de se faire voleurs. C’est sans doute le cas de celui-là qui possède encore un fond d’honnêteté. Il demande à son prisonnier de lui expliquer pourquoi il encourt pareille condamnation. Martin, imperturbable, le catéchise, et avec tant d’ardeur que le malheureux, en larmes, lui demande s’il n’existe pas un moyen quelconque d’échapper à l’enfer qui l’attend. Martin lui répond qu’il suffit de changer de vie car Jésus pardonne facilement au pécheur repentant et, pour exemple, il lui parle de Madeleine, la fille perdue, et du bon larron attaché à la croix qui s’est vu promettre, de la bouche même du Maître, le paradis.
Le bandit, touché par la grâce, libère son prisonnier et le conduit lui-même, par ces routes qu’il connait bien, vers l’Italie, puis, arrivé à Milan et certain que son protégé est en sécurité, il demande le baptême et se fait moine. Bien des années plus tard, quand la renommée de Martin courra le monde, l’ancien brigand aimerait à raconter comment, s’étant mutuellement remis sur le bon chemin, l’évêque de Tours l’avait arraché à la perdition.