« Ils sont venus, ils sont tous là, dès qu’ils ont entendu ce cri... » Va-t-elle mourir la Pachamamma ? Ou plutôt va-t-elle cesser de nous permettre de vivre ? Ce genre de chanson pourrait accompagner la COP26, cette nouvelle Conférence sur le changement climatique qui réunit en Écosse, du 31 octobre au 12 novembre 2021, les représentants de 197 pays membres de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Tous sont au chevet d’une planète fiévreuse, ou plutôt de l’humanité qui partage sa « maison commune » avec le reste du vivant.
Un théâtre convenu
Les faits sont là, tous liés, qui imposent un état d’inquiétude générale : bouleversements climatiques, effondrement de la biodiversité, déforestation, pollution, accumulation des déchets... Enjeux inchangés, au point de sembler imparables, au sens complet du mot. L’assemblée des copropriétaires ne peut ignorer que l’immeuble menace ruine. Dans son opuscule Agir ensemble pour sauvegarder la Terre, sous-titré « Les propositions révolutionnaires du pape François » (Téqui), Gilles Hériard-Dubreuil compare ces conférences rituelles à « une sorte de gigantesque réunion de copropriété mondiale, avec son cortège de plaintes, de dissension, entre ceux qui pensent qu’il est urgent d’agir, ceux qui pensent qu’il sera toujours temps de s’en occuper plus tard, ceux qui ont les pieds dans l’eau, ceux qui dénient leur responsabilité ou même l’existence d’un problème, ceux qui considèrent que c’est la faute des autres, ceux qui ne veulent rien payer de toute façon, ceux qui sont dominés par leurs inimitiés à l’égard de tel ou tel voisin ». Peut-on prétendre réparer l’immeuble quand chacun des participants à l’assemblée générale s’y rend avec comme seule préoccupation de défendre ses intérêts en dissuadant les autres de faire de même ? S’ensuit un théâtre convenu, après que les instances ad hoc (ONU, GIEC) ont sonné à la trompette l’aggravation de la situation.
Chacun pour soi
Hélas, chaque occupant d’un appartement tient à son mode de vie et à ses avantages acquis. Que ceux du rez-de-chaussée (par exemple les Maldives qui culminent à seulement cinq-cents-dix centimètres !) pataugent déjà dans l’humidité et s’angoissent de la montée des eaux ne semble pas concerner les riches détenteurs des étages supérieurs. Ils ont d’autres soucis. Quant aux occupants des « chambres de bonne », ces pauvres locataires qui cuisent au soleil sous les toits mal isolés, ils sont sans voix ou presque.
À force de lois, d’obligations, d’interdits, de sanctions et même de récompenses, c’est le goût de la vie qui se perd.
Parmi les pays riches, les grands extracteurs et consommateurs de combustible fossile, comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne, n’entendent pas changer de système, qui induit l’émission massive de CO2. Ils préfèrent détourner l’attention sur la déforestation et l’émission de méthane, plus facile à endiguer. On se rassure donc avec deux déclarations de principe sur ces sujets. D’autant que la lutte contre la déforestation pointe des pays lointains, surtout le Brésil qui a mauvaise presse. Et ce pays signera la déclaration, malgré son incurie, les engagements des États à la COP ne les engageant pas. Bref, on risque encore de cacher l’impuissance générale derrière des écrans de fumée.
Pas de place à la confiance
N’est-ce pas en raison du refus de reconnaître les « racines » de la crise, que ne cesse de pointer le pape François ? L’idéologie libérale-libertaire porte une conception erronée de l’être humain. Elle glorifie comme critères du bonheur l’assouvissement des désirs individuels et la consommation, régulés par la magie de la « main invisible » du marché. Elle nous considère comme des électrons autonomes, guidés par notre seul intérêt égoïste. D’où les « solutions » préconisées, qui allient la carotte et le bâton (notamment fiscaux) pour mieux téléguider un citoyen et des entreprises déresponsabilisés. Ce système individualo-collectiviste, ne laisse pas de place à la confiance et au sacrifice consenti. À force de tout « verrouiller » d’en haut par la contrainte et l’incitation, l’existence devient calcul d’opportunité, optimisation sous la menace légale, judiciaire voire policière. À force de lois, d’obligations, d’interdits, de sanctions et même de récompenses, c’est le goût de la vie qui se perd. Car la vie restreinte et rabougrie imposée « pour notre bien » ne fait pas rêver. Des deux côtés de l’échiquier politique — qu’on affiche ou pas une priorité verte — la tendance est à réclamer davantage d’État, plus d’autorité pour réguler, sécuriser, arbitrer, trancher, punir.
L’autre voie de l’écologie humaine
L’écologie humaine préconise une autre voie, fondée non plus sur la défiance généralisée, mais sur la confiance en l’humanité, et surtout sur ses « communs ». À rebours de la logique descendante, qui tend à tout uniformiser, elle compte sur les communautés humaines intermédiaires pour déterminer ensemble les règles qui permettront de relever les défis. Cette voie nécessite le progrès des « compétences démocratiques » car les problèmes complexes exigent une approche pluridisciplinaire. Comme modèle de communs, l’exemple des prudhommies de pêcheurs méditerranéens est bien connu : pour protéger la ressource halieutique, les chefs de familles déterminaient ensemble les autolimitations à consentir (périodes de sorties, mailles des filets, nombre de bateaux par famille etc.).
C’est moins l’incitation extérieure que l’expérience choisie qui peut nous aider à changer de mode de vie, à renoncer à la démesure, à découvrir que « moins est plus » selon l’expression reprise par le pape François dans Laudato si’ (n. 222) sous le titre « Joie et paix ». Des citadins qui s’installent en milieu rural, à la suite des confinements, expérimentent qu’on peut vivre autrement. Des entrepreneurs suivent la même démarche... Et l’innovation sociale prospère aux marges de la loi.
Aux antipodes de l’individualisme
Les gouvernements devraient donc avoir comme souci d’aider ces initiatives sans les étouffer par un abus de normes. Il leur faudrait renoncer à la tentation tentaculaire et à la fascination pour le court terme.
Absente de la COP26 en raison de sa convalescence, une honorable vieille dame a délivré à ses participants un message en ce sens : la reine d’Angleterre s’est en effet exprimée aux antipodes de l’individualisme. Âgée de 95 ans Elizabeth II a d’abord rappelé qu’« aucun de nous ne vivra éternellement » avant d’enjoindre les dirigeants de la planète à travailler pour les futures générations. Son appel tranche presque avec la réserve que lui impose son statut : « Pendant plus de soixante-dix ans, j'ai eu la chance de rencontrer et de connaître de nombreux leaders du monde. Et j'ai peut-être fini par comprendre un peu ce qui les rendait particuliers. On note parfois que ce qu’ils font aujourd'hui pour leur peuple relève du gouvernement et de la politique. Mais ce qu'ils font pour les peuples de demain exprime leur stature d’hommes d’État. »