Créé cardinal par Pie XI en 1936, à 52 ans, Eugène Tisserant mène une double vie dans sa jeunesse : officier de renseignement et serviteur de l’Église. Plus tard, il sera résistant. Élève surdoué, il brille dans les études, apprend les langues mortes, passe son bac à 16 ans. Sa vocation arrive très tôt puisqu’il commence son sacerdoce à l’âge de 23 ans. À cette époque, il se passionne pour les langues orientales en plus de ses études théologiques. Et quand, sept ans plus tard, il est mobilisé pour participer à la Grande Guerre, ses talents d’interprète le conduisent à intégrer les services secrets français de la section Afrique de l’État-Major de l’Armée. Puis, à sa demande, à se rendre au Proche-Orient pour être officier interprète au détachement de Palestine-Syrie. Si bien qu’en 1917, à la tête d’un peloton de spahis (régiment algérien et corps de cavalerie), il sert sous les ordres de Lawrence d’Arabie, le colonel britannique légendaire, lors de la prise de Gaza pendant la révolte arabe (1916-1918). Il est alors fait Croix de guerre en 1919 et Grand-croix de la Légion d’Honneur en 1957.
La longévité d’un cardinal diplomate et résistant
Grâce à son érudition, il assiste au retour de la guerre le préfet de la bibliothèque vaticane, à laquelle il contribue à la renommée qu’on lui connaît aujourd’hui. Il écrira d’ailleurs lui-même beaucoup et sera élu à l’Académie française en 1961. Sa grande connaissance du monde oriental lui permet ensuite d’être chargé de la Congrégation pour l’Église orientale par le Vatican au moment où il est créé cardinal, et ce jusqu’en 1959. Charge qui lui doit d’avoir été particulièrement sensible à la cause des pays victimes du communisme et des guerres décoloniales, et durant laquelle il refonde le diocèse antique de Porto-et-Sainte-Rufine.
Antinazi convaincu, il secourt lui-même plusieurs Juifs et comprend très vite la conséquence des lois raciales en France, en Italie.
L’homme a servi sous six papes et a œuvré durablement pour les relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège. Quand, quelques mois après l’élection de Pie XII, la guerre mondiale éclate en Europe, le cardinal Tisserant se positionne tout de suite de manière radicale. Antinazi convaincu, il secourt lui-même plusieurs Juifs et comprend très vite la conséquence des lois raciales en France, en Italie. Il a d’ailleurs déjà commencé à œuvrer contre le nazisme en permettant au professeur Aron Friedman de trouver un emploi aux États-Unis en 1938, et à Giorgio Levi Della Vida de s’y installer. L’année suivante, il rencontre le militaire Henri Navarre, des services secrets, et soutient tous les réseaux catholiques français qui défendent la vie des Juifs. Il obtient ensuite plusieurs visas d’immigration, notamment pour le rabbin Nathan Cassuto et la famille d’un directeur d’hôpital à Rome, licencié à cause de ses origines. Mais c’est pour un adolescent orphelin, Miron Lerner, qu’il prend davantage de risques.
L’Italie est aux mains d’un Mussolini pactisant avec Hitler. De Paris à la zone libre française, le jeune parvient à rejoindre Rome en 1941, puis la Sicile au monastère des Capucins où les résistants de Delasem ont leur base. Quand un prêtre écrit au cardinal Tisserant, celui-ci le rencontre et l’envoie se réfugier chez le secrétaire du représentant français au Vatican, François de Vial, avant de le transporter en voiture, couché à ses pieds, dans un monastère du Saint-Siège. En juillet 1943, Rome est bombardée pendant que Mussolini est à Feltre, en Vénétie, avec Hitler, occasionnant des milliers de morts et de blessés. Le cardinal envoie son protégé un mois plus tard se réfugier au couvent attenant à l’église Saint-Louis-des-Français début 1944, jusqu’à l’été 1944 lors de la libération de Rome. Le jeune homme se souvient alors, avec humour, que « le clergé masculin n’a pas cherché à le convertir » mais « que les nonnes étaient insupportables ». Il témoignera surtout, en 1998, des nombreux sauvetages de Juifs dus au cardinal Tisserant.