Pour qu'Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l'avenir d'Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l'impôt sur le revenu
La proposition de loi instituant un « droit à une fin de vie libre et choisie » débattue en avril à l’Assemblée nationale, est un bel exemple des beaux sophismes employés par les partisans de l’euthanasie qui ne veut pas dire son nom. Son auteur, le député Olivier Falorni, explique le choix de son vocabulaire à propos du mot euthanasie : « Je n’ai aucun problème avec ce mot, dit-il. Ne signifie-t-il pas “belle mort” en grec ancien ? Mais il fallait insister sur le fait qu’il devait s’agir d’un acte médical, même en cas de suicide assisté si le malade voulait réaliser lui-même le geste. »
Première confusion, le mot euthanasie a trois sens et prendre l’un pour l’autre est un sophisme. « Au sens étymologique, rappelait le cardinal Seper, le mot euthanasie signifie, dans l’Antiquité, une mort douce sans cruelles souffrances. On ne songe plus guère aujourd’hui au sens premier de ce mot, mais plutôt à une intervention de la médecine qui atténue les douleurs de la maladie et de l’agonie, parfois même au risque de supprimer prématurément la vie. Enfin le terme d’euthanasie est utilisé en un sens plus particulier. Il désigne alors le fait de « donner la mort par pitié », pour supprimer radicalement des souffrances extrêmes ou éviter aux enfants anormaux, aux incurables, aux malades mentaux, la prolongation, pendant des années peut-être, d’une vie pénible qui pourrait en outre imposer des charges trop lourdes aux familles ou à la société. Il est donc nécessaire de dire clairement en quel sens est employé ce terme » (Iura et Bona, 1980).. Confondre « mort douce sans cruelles souffrances » avec « donner la mort par pitié » est une tromperie ou, en termes savant, un sophisme, celui de l’homonymie : prendre une chose pour une autre.
Ensuite qualifier l’euthanasie, au troisième sens (« donner la mort par pitié »), d’acte médical est une pétition de principe doublée de ce que l’on appelle en logique un « sophisme de l’accident », au sens où ce qui est accidentel peut être ou ne pas être au sujet ou à l’acte dont on parle. Expliquons-nous : premièrement, on se force à nommer l’euthanasie « acte médical » (et alors on prend cela comme un principe) pour autoriser les médecins à le pratiquer ; il aurait fallu montrer sa réalité d’acte de soin, ou de cure, etc. comme preuve en conclusion de sa nature médicale, avant de l’affirmer comme telle. Deuxièmement, ce n’est pas parce que cet acte se pratiquerait à l’hôpital (lieu de l’acte), ou qu’il serait exécuté par du personnel médical (agent de l’acte), qu’il serait dans sa nature médical ! Le lieu et l’agent sont des circonstances accidentelles qui ne changent pas la nature d’un acte : donner la mort, quand on est médecin et à l’hôpital, c’est toujours donner la mort ! Mais il y a plus si on lit le texte de loi lui-même, portant sur « l’aide active à mourir ».
L’expression « aider à mourir » est plus ancienne que sa sœur, celle « d’aide active à mourir », présente dix fois dans la proposition de loi Falorni, puisqu’on ne veut pas y parler d’euthanasie. Toutes deux possèdent les qualités de l’euphémisme et c’est la raison de leur emploi. Souvenons-nous du docteur Schwartzenberg lors de sa fameuse Heure de Vérité, le 5 septembre 1988 : « Avez-vous, vous-même, euthanasié beaucoup de vos malades ? — Premièrement je n’aime pas beaucoup le mot euthanasié… — Les avez-vous aidés à mourir ? — Oui. Beaucoup, non. Quelques-uns. Ceux qui le demandaient. » Cette expression « aider à mourir » est un sophisme (homonymie encore) qui ne résiste pas à l’analyse. Aider signifie en premier assister, soulager, soutenir, accompagner quelqu’un de sa présence et jamais faire à sa place. Le dictionnaire Trésor de la langue française ajoute même cette précision prémonitoire pour le mot assister : « En parlant d’un prêtre, pour assister un malade, un condamné à mort, l’aider à mourir », et de citer Paul Ricœur : « L’agonie n’est pas la fin, mais la lutte pour la fin, vers la fin ; à cette lutte nous participons, aidant le moribond à lutter (comme dit Heidegger, nous n’assistons pas à la mort, nous assistons le mort) » (Philosophie de la volonté, 1949, p. 432).
Mais Aider possède ensuite un deuxième sens, plus large et qui change la nature de l’action. Chez les parachutistes par exemple, le largueur aide à sauter mais c’est en poussant violemment dans les airs le soldat hésitant : en fait, il le force à sauter (avec un parachute, attention ! là s’arrête la comparaison). Aider à mourir devient alors forcer à mourir, pousser dans la mort, provoquer la mort. C’est en ce sens qu’un vétérinaire aide à mourir un cheval blessé, c’est-à-dire qu’il l’achève ! On voit donc que « aider à mourir » est une expression double et dont l’usage est glissant. Assister un malade au seuil de la mort : oui répond le bon sens ; provoquer sa mort : non répondent encore de nombreux médecins, conseils, assemblées, etc. Depuis Hippocrate, c’est un consensus universel qui traverse les siècles. Pour l’Association médicale mondiale sur l’euthanasie, « l’euthanasie, c’est-à-dire mettre fin à la vie d’un patient par un acte délibéré, même à sa demande ou à celle de ses proches, est contraire à l’éthique. Cela n’empêche pas le médecin de respecter la volonté du patient de laisser le processus naturel de la mort suivre son cours dans la phase terminale de la maladie » (39e assemblée, Madrid 1987, et Marbella 2002).
La vérité est donc que l’usage de cette dénomination « d’aide à mourir » est trompeuse, c’est-à-dire qu’avec un même mot elle désigne une chose (l’euthanasie) tout en en laissant penser une autre (l’assistance au mourant). C’est une acrobatie de langage qui ne réussit pas à faire exister un tertium quid entre : être présent auprès de celui qui meurt en l’aidant de mille façons (soins palliatifs, anti douleurs, etc.) ou attenter directement à sa vie en la supprimant (euthanasie). Et si les inventeurs de cette formule ne sont pas dupes, le grand public, voire les personnes réputées éclairées s’y laissent tromper plus ou moins consciemment : les conseillers du CCNE n’ont-ils pas dit un jour que « pourtant, l’euthanasie active resterait une infraction. Mais dans certaines circonstances, il serait admis des dérogations et des exonérations quant à la culpabilité de celui qui aide à mourir » (avis du 27 janvier 2000). Car le but d’un sophisme est de désarmer notre jugement en floutant le langage. En Suisse, en Belgique et aux Pays-Bas, pays d’ailleurs invoqués en exemple dans la même proposition de loi, il n’y a pas de sophisme : chez eux, on ne se voile pas la face. Les mots y sont clairs et sans ambiguïté : la loi parle d’« interruption de la vie » ou d’« acte pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne, à la demande de celle-ci » (Pays-Bas, loi du 12 avril 2001 ; Belgique, loi du 20 septembre 2002).
Le professeur Barnard, il y a quarante ans déjà, jouait habilement sur cette « aide » : « Depuis des siècles, écrit-il dans Choisir sa vie, choisir sa mort (Belfond, 1981), la société fait confiance à la profession médicale quand il s’agit d’aider activement le malade à guérir. Permettre au médecin d’aider activement le patient à mourir n’est qu’une extension de cette confiance. » À nouveau ici, la même expression « aider activement » ne doit pas nous tromper sur ce scandaleux raisonnement : en quoi la confiance accordée depuis des siècles à l’aide médicale devrait-elle s’étendre à l’homicide, pour la simple raison que ce sont deux aides actives ? Plus loin, l’ambiguïté du professeur est cyniquement levée, alors que son frère Marius et lui-même restent impuissants devant les souffrances d’un malade : « Il n’était plus en mesure de parler mais, dans ses yeux caverneux, on lisait un appel à l’aide. Il n’existait qu’une forme d’aide efficace ; et cette forme était interdite par la loi. Quand nous nous éloignâmes, Marius et moi, horrifiés par notre impuissance, nous échangeâmes un serment : celui de nous deux qui se retrouverait dans une telle condition pourrait compter sur l’aide de l’autre pour l’en tirer. Nous nous mîmes d’accord sur une double procédure : si le malade était devenu incapable de mouvement, il faudrait lui administrer la dose fatale, si au contraire il restait capable de bouger, il suffirait d’abandonner à son chevet suffisamment de comprimés pour qu’il puisse se suicider. »
Or le sophisme de cette nouvelle expression (aide active…) est augmenté ici d’une redondance coupable, car une aide est déjà une sorte d’action, alors pourquoi parler d’une « aide active » puisqu’une aide passive, cela n’existe pas ?
L’expression « d’aide active » était déjà présente dans des propositions de loi antérieures. Le 4 mars 2009 (Yves Cochet et alii) ; le 8 juillet 2009 (G. Peiro) ; le 7 octobre 2009 (J.-M. Ayrault et alii) ; au Sénat enfin (Jean-Pierre Godefroy) en juillet 2010. Mais curieusement, chacune de ces propositions de loi contenait au moins une fois, comme en une sorte de butte témoin, une expression claire sur la nature de l’acte qui serait autorisé, comme par exemple l’expression : mettre fin à la vie. Mais la désignation autorisée et inlassablement répétée dans ces textes, parce qu’elle est celle qui doit devenir courante, est celle-ci : aide active à mourir ! Maquillée sous cette ambiguïté, une loi a plus de chance d’être acceptée dans l’opinion.
Or le sophisme de cette nouvelle expression (aide active…) est augmenté ici d’une redondance coupable, car une aide est déjà une sorte d’action, alors pourquoi parler d’une « aide active » puisqu’une aide passive, cela n’existe pas ? L’expression équivaut alors à un « acte actif d’aide à mourir » redondance qui fait souffrir la langue autant que la pensée. Mais surtout, on camoufle la nature spécifique de l’action de « donner la mort », en lui conservant son nom générique d’action : « active ». Des soins d’accompagnement ne sont-ils pas également une sorte d’action visant à aider le mourant, une « aide active à mourir » eux aussi ? Prendre un terme générique à la place d’un terme spécifique est un sophisme qui techniquement s’appelle sophisme de la conséquence (« tout chien est animal » n’a pas pour conséquence « tout animal est un chien ») : « toute euthanasie est une action d’aide » n’a pas pour conséquence : « toute action d’aide ou “aide active” est une euthanasie » ! On peut vouloir aider activement un mourant sans agir pour le faire mourir.
Or aujourd’hui encore on veut aller au-delà de la loi Léonetti qui encadre la fin de vie, pour instaurer « une aide active à mourir » strictement encadrée… Encadrée ou non, strictement ou non, cette aide ne change pourtant pas la nature homicide de l’acte. On peut d’ailleurs remarquer les précautions prises par les rédacteurs de la proposition de loi pour, disent-ils dans le préambule, « définir l’aide active à mourir ». Voyons cette définition : « L’aide active à mourir telle que définie dans le présent article signifie la prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de celle-ci, d’un produit létal et l’assistance à l’administration de ce produit par un médecin, dans un établissement de santé public ou privé, à domicile accompagné d’une équipe de soignants spécialisés, ou dans un établissement d’une association agréée par la loi. » Résumons : prescription d’un produit létal et assistance à l’administration de ce produit. Sous ce langage aseptisé, techniciste et fonctionnel, cette loi vise à autoriser le médecin, fait pour soigner, à prescrire et administrer un produit fait pour tuer !
La situation est analogue à celle de la loi sur le « mariage pour tous » où il ne s’agissait pas d’étendre le mariage aux personnes de même sexe, mais de changer la définition du mariage, ou d’utiliser la loi pour créer un nouveau sens, artificiel et transgressif, au mot mariage. Ici il ne s’agit pas d’autoriser les médecins à pratiquer l’euthanasie, mais à utiliser la loi pour élargir le domaine des actes médicaux jusqu’à cet acte de donner la mort, c’est-à-dire à transgresser les limites de la médecine et à en changer la nature. Il est absurde de demander cela à des législateurs, à moins de considérer qu’il appartient à la loi de changer la nature des choses.