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Jour après jour depuis plus d’un mois, l’actualité égrène les médailles françaises. Les Jeux paralympiques prolongent les Jeux olympiques, au point qu’une journée sans or semble aussi triste qu’un jour sans pain. Y a-t-il continuité ou rupture entre ces deux jeux, les uns glorifiant des corps impeccables, les autres mettant à l’honneur des corps diminués ?
Plus tardifs que leurs modèles, les jeux paralympiques ont toutes les apparences d’une reconnaissance de la personne handicapée. Ils semblent humaniser la douteuse idolâtrie des dieux du stade des JO. On se demande toutefois s’ils ne servent pas avant tout de bonne conscience : une étiquette « éthique » accolée ostensiblement, de même qu’un certain bio peut servir de caution morale au marché triomphant.
Avouons-le, devant l’image d’un joueur de tennis sans jambe ou d’un sprinteur sans bras, on hésite entre l’admiration pour le dépassement de soi du sportif et la gêne face à une logique qui n’est pas sans rapport avec celle de la bête de foire. L’exhibition des corps, qu’ils soient parfaits ou amputés, est toujours guettée par l’obscénité. Une gêne plus tenace apparaît devant les lourds appareillages de bien des concurrents, qui donnent à ces hommes diminués des allures d’hommes augmentés. Gustave Thibon s’étonnait de l’admiration que le monde avait pour les athlètes : la plupart de leurs exploits, notait-il, relève de domaine où l’homme reste infiniment inférieur à l’animal. N’importe quel dauphin laisse sur place un champion du monde de nage libre, un guépard de trois ans ridiculise Usain Bolt à la course et un moineau s’élève sans perche bien au-delà de six mètres. Dans le cas des jeux paralympiques, l’impression serait plutôt que les athlètes rivalisent vainement, non avec l’animal, mais avec le robot.
Entendons-nous bien. Nous ne nions ni la grandeur possible de bien des efforts physiques, ni les bienfaits de bien des prothèses. Cela n’empêche pas, comme pour toute technique, de se demander si elle est au service de l’homme ou si l’homme se soumet à elle. Les Jeux paralympiques, sous les dehors d’une mise en valeur des personnes handicapées, ne tendent-ils pas à les faire entrer comme les autres dans l’unique logique de la performance, celle où la technologie est reine ? La méfiance fréquente du monde handisport pour le handicap mental est en cela révélatrice.
Or, c’est précisément contre la logique envahissante du « plus vite, plus haut, plus fort » que la personne handicapée peut nous mettre en garde, plus sûrement que le « ensemble » que le Comité olympique a cru bon d’ajouter cet été à la devise officielle (on doit dire désormais : « Citius, Altius, Fortius – Communiter »). Le plus lent, le plus bas et le plus faible ont aussi leurs vertus, dès qu’ils témoignent de la primauté de la relation sur le chronomètre, de l’attention sur le mesurable, du pas de côté sur la ligne droite. Si les athlètes des JO courent derrière l’animal et si les athlètes des jeux paralympiques courent derrière les machines, il est à craindre que ce ne soit jamais l’homme qui gagne.