Après trente ans de vie cachée, le temps vint où Jésus inaugura sa mission de Rédempteur. Il avait quitté sa mère depuis quelques semaines et revenait du Jourdain en Galilée où Il avait rencontré Jean-Baptiste. Il y avait avec lui les premiers disciples : Jean, Pierre, André, Philippe et Nathanaël. Avec eux, il se rend à Cana, petite bourgade située à six kilomètres de Nazareth sur la route du lac de Tibériade. Marie est là, invitée à un mariage. Sans doute est-elle la proche parente de l’un des époux. L’apôtre Jean a rapporté les faits dont il a été le témoin (Jn 2 1-11) :
Le vin servi lors de ces noces provient vraisemblablement des collines autour de Cana ou du tout proche secteur du Mont-Carmel réputé pour son vignoble, Carmel signifiant "vigne de Dieu". Nous sommes dans une région viticole. Le vin est l’ornement indispensable des fêtes. Les époux des noces de Cana sont de condition modeste, tous les invités sont des personnes simples qui affrontent avec dignité les difficultés de la vie quotidienne. Cette fête qui regroupe toute la parenté et le voisinage, vient interrompre pour peu de temps, une vie de labeur et de renoncement, c’est la raison pour laquelle elle dure plusieurs jours, pas moins d’une semaine entière. Pour recevoir dignement les hôtes, veiller au bon déroulement du service lors des repas, il faut un majordome, un "maître du festin". Sa mission consiste principalement à diriger les serviteurs. Il n’a pas la main sur la préparation des plats qui concerne les femmes mais il doit prévoir la quantité suffisante de vin, compte tenu de la participation et de la durée de la noce. Évaluation difficile quand il se présente davantage d’hôtes qu’on n’en attendait.
Marie souffre pour eux et veut leur éviter une humiliation. Elle, qui vraisemblablement n’en buvait pas, sait combien le vin participe à la joie des noces.
C’est ainsi que vers la fin des noces, le cinquième ou le sixième jour, le vin manqua. Marie est la première à se rendre compte que la provision de vin est épuisée ce qui indique qu’elle prête vraisemblablement son concours à la préparation du repas. Elle va trouver discrètement son Fils et lui dit : "Ils n’ont plus de vin". Ces simples mots révèlent la délicatesse et la miséricorde du cœur de Marie. Elle est simplement émue par le désarroi de ses hôtes. Elle souffre pour eux et veut leur éviter une humiliation. Elle, qui vraisemblablement n’en buvait pas, sait combien le vin participe à la joie des noces. L’échange avec son fils se déroule à voix basse, loin des regards. Marie expose la situation en formulant un simple constat sans se perdre en considérations inutiles. Nulle explication, nulle demande.
La réponse de Jésus est déconcertante "Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue". L’appellation "Femme" qui sonne froidement à nos oreilles est d’usage courant dans la vie de famille en Orient. C’est ici une manière solennelle de désigner celle qui est la Femme par excellence, la nouvelle Eve, celle à laquelle l’Ange a dit : "Vous êtes bénie entre toutes les femmes." Les paroles qui suivent, en revanche, pourraient paraître blessantes dans la bouche d’un fils s’adressant à sa mère. Elles doivent être considérées au regard de la mission divine du Christ-Jésus. Il y a deux parts dans sa vie, comme il y a deux natures dans sa personne. En tant qu’homme, il est l’enfant obéissant et aimant de Marie ; en tant que Dieu, Il ne relève que de son Père et considère que son heure, c’est-à-dire celle de sa vie publique pour accomplir l’œuvre de la Rédemption, n’est pas encore venue. Il attend pour cela un signe de son Père. Marie, non seulement ne s’en offusque pas, mais invite au miracle avec une ferme confiance. S’adressant aux serviteurs, elle leur dit "Faites tout ce qu’Il vous dira". Pour Jésus, cette injonction est le signe attendu. Il ne peut rien refuser à cette mère choisie qui est ici la voix de son Père, la médiatrice. Il obtempère et donne ses ordres aux serviteurs.
Notons qu’il n’est pas indifférent que le miracle se soit opéré dans des urnes destinées aux ablutions, c’est-à-dire à un rite de purification. Celles-ci, en effet, étaient maintenues dans un état de parfaite propreté ce qui exclut de penser - comme ceux qui nient le miracle - que l’eau ait pu prendre le goût du vin en se mélangeant avec de la lie que ces contenants auraient conservée. La "mesure" dont il est question dans cette péricope évangélique est une unité de volume qui correspond à quarante litres. Chaque urne avait donc une contenance de quatre-vingts ou cent vingt litres ; le Seigneur se manifeste généreusement dans ses bienfaits, distribuant en quantité ses largesses : pas moins de six cents litres de vin pour que les invités de la noce puissent continuer à profiter de la fête. Il faut souligner la docilité et l’obéissance des serviteurs qui font confiance à Jésus et suivent à la lettre les étranges instructions qu’Il leur transmet. Ils nous donnent une leçon de foi.
Quel était le goût du vin du miracle ? La question n’est pas aussi futile qu’il n’y paraît et il n’est pas interdit de tenter d’y répondre. Il s’agit d’évidence, d’un très grand vin. Il y a au moins deux bonnes raisons de l’affirmer. La première se trouve dans l’Évangile lui-même. Les convives dont les sens sont nettement affaiblis par les nombreuses libations qui ont précédé, ont pourtant été frappés par la qualité du vin qui leur était servi. Ils ont ressenti une vive émotion. Ils n’en avaient jamais dégusté d’aussi bon de toute leur vie. La seconde qui peut sembler pure spéculation, est une évidence pour l’homme de foi. Ce vin était l’œuvre de Dieu lui-même. Il ne pouvait pas s’agir d’un vin quelconque, ni même d’un simple bon vin. Ce ne pouvait être qu’une pure merveille, un nectar, un "grand cru" hors classe qui annonce le vin de l’Eucharistie et qui anticipe celui qui sera servi pour l’Éternité au banquet céleste. Son style, ses saveurs, sa texture, sa consistance sublimaient certainement les qualités des grands vins produits dans l’Empire romain. Les vins étaient alors, principalement élaborés à partir de raisins noirs. Ces raisins produisent naturellement un jus blanc. Le foulage qui s’effectuait avec les pieds prenait du temps et favorisait plus ou moins la libération des pigments colorants contenus dans les peaux. La robe du vin pouvait prendre une teinte allant d’une couleur très pâle proche du blanc au rouge très léger, que l’on peut comparer au vin clairet. Le vin rouge issu de longues macérations tel que nous le connaissons aujourd’hui n’existait pas.
Compte tenu de la façon dont il est vinifié et élevé avec l’adjonction de nombreux ingrédients pour le stabiliser et le parfumer, il prend une couleur ambrée et cuivrée. C’est un vin épais et chaleureux combinant un goût oxydatif, une douceur sucrée et des notes épicées. Les Romains utilisent un mot grec pour définir cette saveur : "drimutès", qui correspond à la douce amertume des vins madérisés. Le vin de Cana dérouterait nos palais modernes. Il correspond aux canons de son époque. N’oublions pas que ces vins très consistants, imbuvables purs, étaient consommés, additionnés d’eau.
Le maître du festin agissant en qualité d’échanson était chargé de mettre plus ou moins d’eau dans le vin, selon sa force. C’est en procédant à cette opération que le maître du festin de Cana dira à l’Époux : "Tout le monde sert d’abord le bon vin, et, quand les gens sont enivrés, le moins bon ; mais toi tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant !" C’était contraire à tous les usages et sans doute faut-il voir dans cette remarque une certaine ironie empreinte d’humour et d’incompréhension ; l’homme ayant été touché dans son amour propre de ne pas avoir été mis dans la confidence. Seuls Marie et les serviteurs qui ont suivi les consignes de Jésus connaissaient l’origine miraculeuse de ce vin qui a fait couler beaucoup d’encre depuis deux mille ans, don de la bonté toute-puissante de Jésus et de la prévenante charité de sa mère.