L’exercice de la vertu de justice est complexe car elle est toujours liée à un autre que soi, selon sa situation particulière. Elle consiste à rendre à chacun, personne, communauté ou société, le bien qui lui est dû. Elle est naturellement, presque instinctivement, celle qui tient le plus à cœur à l’être humain. Elle est pourtant aussi souvent dévoyée et mal ajustée. "Dans tout délit, il y a une partie lésée et deux liens abîmés : le lien de la personne responsable du fait délictuel avec sa victime et le lien de cette même personne avec la société", explique le pape François dans le livre Vices et vertus. "Il existe une asymétrie entre la peine et le délit, et l’accomplissement d’un mal ne justifie pas de répondre par un autre mal. Il s’agit de rendre justice à la victime, non pas d’exécuter l’agresseur".
Dans la vision chrétienne du monde, "le modèle de la justice trouve une incarnation parfaite dans la vie de Jésus qui, après avoir été traité avec mépris, et même avec une violence qui l’a conduit à la mort, apporte en dernier recours, dans sa Résurrection, un message de paix, de pardon et de réconciliation", reprend le Pape. Ce sont des valeurs difficiles à atteindre, mais nécessaires pour le bien de tous. Si la loi et son application sont nécessaires, il est tout aussi essentiel de réfléchir, chacun à son niveau, sur la manière de concilier la justice avec la paix et la réconciliation. Dans le milieu carcéral, cela passe par exemple par une réflexion plus aboutie sur la réinsertion des prisonniers.
Que l’on soit pécheur ou pas pécheur, c’est l’amour de Dieu qui fait justice.
Une autre forme d’injustice se cache dans la transformation d’adjectifs qualificatifs en substantifs. On dit ainsi souvent "les chômeurs", "les détenus", "les étrangers"… S’exprimer ainsi revient à enfermer une personne qui vit une situation temporaire, d’urgence ou d’erreur, de manière définitive allant ainsi jusqu’à "crucifier la personne et sa dignité". Pourtant, "ce n’est pas l’adjectif qualifiant la personne que le Seigneur aime, c’est bien la personne elle-même", rappelle avec justesse le pape François. "Que l’on soit pécheur ou pas pécheur, c’est l’amour de Dieu qui fait justice. La proximité de Dieu nous a justifiés, saint Paul le dit continuellement dans ses Lettres. C’est l’amour qui nous justifie, l’amour avec lequel le juge regarde cette personne, sans se laisser troubler par les adjectifs". Est-ce un criminel ? "C’est un enfant de Dieu, c’est mon frère, c’est une personne", reprend le souverain pontife.
Vices et vertus. Entretiens avec Marco Pozza, pape François, Edb, juin 2021.