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En ce mercredi 13 juillet 2011, les régiments auxquels j’appartiens sont en plein préparatifs des défilés marquant la fête nationale. Les véhicules sont soigneusement révisés, repeints, nettoyés, les armes sont briquées, les rangers cirées, treillis et bérets rouges posés soigneusement pour être portés demain. Nous savons bien que les temps sont incertains pour nos camarades engagés en Afghanistan, le début de l’année a déjà été marqué par plusieurs morts d’entre eux, que j’avais accompagnés, étant à ce moment-là le seul aumônier parachutiste prêtre, présent sur territoire français. Mais les cœurs, comme en chaque veille de 14 juillet sont plutôt à la joie et la fierté.
Soudain les téléphones du 1er RCP (Régiment de chasseurs parachutistes à Pamiers), du 17e RGP (Régiment du génie parachutiste à Montauban) et du SIRPA Terre (Service d’information et de relations publiques à Lyon) se mettent à sonner en tous sens. Cinq de nos camarades viennent d’être mortellement touchés par un attentat suicide à la bombe, alors qu’ils étaient en train de sécuriser une rencontre (shura) de chefs de villages, quatre sont grièvement blessés. Débute alors le terrible devoir de prévenir les familles, les camarades, et la course contre la montre pour organiser, en lien avec les plus hautes autorités de l’État, l’hommage national qui leur sera, bien évidemment, rendu au retour de leurs corps.
Dix ans après, je vois chacun d’eux, et je revois, chacun de leur proche, maman, épouse, enfants, papa, venir déposer un baiser, tenir une main désormais sans vie, caresser un visage déformé et abîmé, mais tellement aimé.
Dix ans après, les premières images qui remontent en ma mémoire sont celles de chacun de leur visage, lors de la présentation des corps aux familles, la veille de l’hommage national. Dix ans après, je vois chacun d’eux, et je revois, chacun de leur proche, maman, épouse, enfants, papa, venir déposer un baiser, tenir une main désormais sans vie, caresser un visage déformé et abîmé, mais tellement aimé. Dix ans après, l’émotion qui m’étreint en évoquant ces moments terribles de densité, d’amour et de violence, de désespoir et de fierté, reste intacte. Intacte aussi l’admiration que je porte à ces familles endeuillées et au courage digne dont elles ont su faire preuve en ces moments de déréliction.
Dix ans après, résonne encore d’une manière toute particulière cette citation que j’avais choisie pour les homélies de leurs obsèques, tirée des écrits d’un de nos grands anciens d’Indochine : « N’entends-tu pas la perfide objection : à quoi bon tous ces morts ? Il est vrai que la guerre ne nous a pas apporté la paix de ce monde. Il est vrai que nous avons perdu Dien Bien Phu. Mais en ceci tu vois cette erreur moderne qui juge la valeur d’un acte d’après le succès visible. C’est la morale du boutiquier. La valeur d’une action est celle que Dieu lui décerne. Pour Dieu, seul compte le courage et l’héroïsme mis au service de ses frères, du pays, de la charité. Quel que soit le résultat visible ! Mourir pour la communauté nationale est un acte héroïque de charité, qui hisse les êtres au-dessus des horreurs de la guerre. »
La Sagesse, elle, rendra leur témoignage éternel, car c’est devant Dieu qu’ils ont posé l’ultime acte d’amour en cette terre : donner leur vie au service d’autrui.
Sont-ils donc morts pour rien ? Les 90 soldats français qui ont laissé leur vie en Afghanistan ont-ils fait en vain le sacrifice ultime ? Avec la morale du boutiquier, la réponse sera inévitablement oui. Seule la foi (foi bien sûr, au Christ mort et ressuscité pour nous, mais aussi la foi de celui qui veut croire malgré tout à l’immense beauté des idéaux et au sens et à la dignité qu’ils confèrent à chaque vie humaine) permet de transcender l’apparente inutilité de leur sacrifice. Le monde juge fou leur engagement au service de la Patrie et de leurs frères. Le monde est fou. La Sagesse, elle, rendra leur témoignage éternel, car c’est devant Dieu qu’ils ont posé l’ultime acte d’amour en cette terre : donner leur vie au service d’autrui.
Oui, mon Dieu, donnez-moi le courage et la foi, pour rester fidèle au souvenir vivant de ces héros, dont vous m’avez confié, voilà dix ans, le soin de les accompagner, au nom de l’Église, pour leur dernier pèlerinage terrestre. Qu’ils reposent en paix et reçoivent de vos mains la récompense des bons et fidèles serviteurs. À la mémoire de Thomas Gauvin, Jean-Marc Gueniat, Laurent Marsol, Emmanuel Técher et Sébastien Vermeille, morts au champ d’honneur le 13 juillet 2011, et de tous leurs camarades morts en Afghanistan.