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Voici la saison de la vie de l’Église où certains d’entre nous disent au revoir à leurs curés appelés à de nouvelles missions. Parfois, ceux-ci ont été placés sur notre chemin au moment où nous avons traversé des épreuves ; parfois, leur ministère a revivifié notre foi. Nous avons pu être amenés à collaborer avec eux et à les aider. Certains sont devenus nos amis. Comment vivons-nous leur départ ? Une puissante intuition de Simone Weil peut nous aider à interroger la pureté de l’affection que nous engageons dans nos relations, en particulier avec nos prêtres. Pour la philosophe, le miracle de l’amitié est dans la contemplation de l’être aimé, pas dans sa captation. Si Ève avait regardé à distance le fruit de l’arbre au lieu de le consommer, explique-t-elle dans Les Formes de l’amour implicite de Dieu (1942), le mal ne serait pas entré dans le monde. « L’amour est le regard de l’âme », disait-elle encore. Cet apprentissage, cette purification constante des relations humaines est le travail d’une vie.
Du côté des prêtres, leur vie est d’avancer « de campement en campement » (Gn 12, 9). En levant le camp, ils partent porter le Christ et les sacrements à d’autres communautés, y développer l’intelligence de la foi et la vie spirituelle, chacun avec le charisme qui y est propre. Et ce tout en répondant toujours plus pleinement à l’appel de Dieu, à leur « vocation » « vers le pays » qu’il leur montrera (Gn 12, 1). Quand nos curés sont des prédicateurs dont chacune des homélies nous introduit plus profondément dans l’intelligence des Écritures, nous en explique le sens dans son contexte biblique et tel qu’il a été perpétué dans la tradition, et nous montre ainsi de manière fraîche et actualisée ce que Dieu a à nous dire aujourd’hui dans nos vies, comment ne pas entendre le silence qui suit leur dernière homélie dans notre église ? Quand ils ont été placés sur notre chemin au moment où nous traversions des épreuves, quand ils nous ont écoutés, consolés, encouragés, et nous ont non seulement dit de choisir la vie (Dt 30, 19), mais nous ont montré par leur ministère ce qu’est la vraie vie, la vitalité, dans nos relations, nos projets, l’accomplissement de notre vie chrétienne, comment ne pas ressentir l’arrachement de leur départ ? On aurait envie que cela dure toujours.
D’autres aussi ont le droit d’être nourris par nos curés, car ils ne nous appartiennent pas !
Nourriture, fortifiant ou baume, tout ce que nous avons reçu pendant leur ministère parmi nous devient une sorte de substance qui nous constitue, et pour laquelle nous avons pu développer un certain appétit. Et pourtant il faut accepter de laisser partir ceux qui nous ont nourris, et, au lieu de le consommer, contempler de plus loin le fruit dans l’arbre.
Comment faire ? En orientant notre regard. Tout d’abord vers le bien de l’Église universelle au-delà de notre paroisse. D’autres aussi ont le droit d’être nourris par nos curés, car ils ne nous appartiennent pas ! Nous pouvons voir aussi le bien de notre curé qui a aussi le droit, et même le devoir, de réaliser plus pleinement sa vocation en l’accomplissant dans d’autres environnements, en répondant à d’autres appels dans leur appel. Nous pouvons, et nous devons, porter notre regard enfin sur l’accroissement d’être que leur ministère a laissé en nous.
La nourriture qu’ils nous ont donnée reste en nous le lendemain du départ de nos curés, car elle nous est désormais consubstantielle. Le fruit peut rester dans l’arbre et la distance de la contemplation est rendue supportable parce qu’elle est en réalité abolie. Parce que le fruit est en nous. Le fruit, c’est la croissance qui s’est opérée en nous pendant leur ministère, c’est la foi qui s’est affermie, le cœur qui s’est élargi parce qu’il a appris à toujours mieux aimer et il a en en retour été dilaté de joie, c’est la vitalité qui s’est accrue dans toutes les ramifications de notre être.
Cette croissance, cette dilatation, cet élan resteront en nous pour toujours. Que cet été soit pour ceux d’entre nous qui disons au revoir à un de ces curés une occasion de relecture de tout ce que nous en avons reçu, que nous ayons la grâce de le comprendre et de savoir en vivre.