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Burkina Faso : une tragédie sans fin

SOLDAT BURKINA FASO

Un soldat burkinabé patrouille dans un camp de réfugiés à Dori, dans le nord du pays.

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Jean-Baptiste Noé - published on 10/06/21
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Avec plus de 160 morts, l’attaque du village de Solhan est l’une des plus meurtrières connues au Burkina Faso. Elle s’inscrit dans l’instabilité générale de la zone qui voit se multiplier les attentats et dans l’extension de la zone djihadiste vers le golfe de Guinée.

La brutalité de l’attaque djihadiste est racontée par Mgr Laurent Dabiré, évêque de Dori et président de la conférence épiscopale du Burkina-Niger : « Au petit matin, jusqu’à 6h, des hommes armés ont envahi la localité. Ils ont tiré des coups en l’air, avant de passer de maison en maison parce que les gens étaient encore au lit. Ils les ont exécutés purement et simplement. Ils ont ensuite brûlé le marché, les maisons, les boutiques, des véhicules, des camions, des moyens de transport qui étaient stationnés dehors ». Le bilan s’élève à plus de 160 morts, sans que l’on sache quel groupe a perpétré ce massacre, ni pour quel motif. 

Solhan est situé dans la région dite des « Trois frontières » qui sont celles du Burkina, du Mali et du Niger. C’est dans cette zone que depuis les années 1990 se concentrent l’essentiel des actes terroristes recensés. Entre Bamako, Ouagadougou et Niamey, les trois capitales, s’étend un vaste espace d’insurrection où les acteurs sont des entités hybrides, à l’interface du djihadisme et de la criminalité. L’espace et les acteurs ont peu changé depuis les années 1990, mais l’intensité des attaques ne cesse de croître. Plusieurs motifs se mêlent, sans qu’il soit possible de dégager une cause unique ou principale : lutte de pouvoir, conflit religieux, razzia et criminalité, conflit ethnique.

L’État burkinabé a créé en 2020 les « Volontaires pour la défense de la patrie » (VDP), des milices citoyennes armées et entraînées pour protéger les villages des attaques. Leur efficacité est mitigée, comme le démontre le raid de Solhan, d’autant qu’au moins trois autres attaques ont eu lieu dans des villages de la région, occasionnant une dizaine de morts à chaque fois. En mai dernier, le gouvernement assurait avoir pacifié la zone grâce à ses actions militaires, mais ces attaques viennent démontrer qu’il s’est trompé et qu’il est plus que jamais impuissant. Les populations du nord, membres des mouvements djihadistes, sont majoritairement des Peuls, quand les VDP sont composés de Mossi. 

La confrontation ancienne des deux peuples pour le contrôle de l’espace géographique se télescope aujourd'hui avec les questions de l’islamisme, des trafics de drogue et de l’opposition au pouvoir central de Ouagadougou.

Les deux ethnies sont musulmanes, mais les Peuls, peuples de pasteurs, occupent un large archipel de l’Afrique de l’Ouest au Sahel, quand les Mossi sont sédentaires et essentiellement présents au Burkina, dont ils forment l’ethnie majoritaire. La confrontation ancienne des deux peuples pour le contrôle de l’espace géographique se télescope aujourd'hui avec les questions de l’islamisme, des trafics de drogue et de l’opposition au pouvoir central de Ouagadougou. Un islamisme qui est en train de se restructurer avec la mort récente du chef de Boko Haram. 

Le 6 juin, un communiqué de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap) annonçait la mort d’Abubakar Shekau, chef de Boko Haram ; mort qui n’a pas été confirmée, mais l’enregistrement audio de l’Iswap est estimé fiable par les spécialistes de la zone. La mort de Shekau serait survenue vers le 20 mai au cours d’affrontement entre Boko Haram et l’Iswap. Le chef aurait été débusqué dans la forêt de Sambisa, fief de Boko Haram, et poursuivi par des combattants de l’Iswap. Capturé, il se serait suicidé en actionnant sa ceinture d’explosif. Sa mort n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour le Nigéria. Depuis quelques années déjà, Boko Haram était en perte de vitesse, ce qui conduisit notamment à la scission opérée en 2016 par certains de ses membres partis fonder l’Iswap, qui s’est depuis rattaché à l’État islamique. L’Iswap est aujourd'hui la principale force djihadiste du Nigéria. Avec la mort d’Abubakar Shekau, il est possible que les combattants de Boko Haram rejoignent l’Iswap, ce qui opèrerait ainsi l’unité des groupes djihadistes. Une mauvaise nouvelle donc pour l’armée et le gouvernement du Nigéria, qui subit lui aussi attaques et attentats. 

Mais alors que Boko Haram était centré sur le Nigéria, l’Iswap cherche à s’étendre à toute l’Afrique de l’Ouest, comme l’indique son nom complet. L’Iswap a déjà enregistré en mars 2019 le ralliement de l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), actif notamment dans le nord du Burkina. À ces mouvances s’ajoute le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) fondé en 2017, lui aussi par regroupement et fusion de groupes déjà existants. Il a notamment réalisé deux attaques récentes dans le nord de la Côte d’Ivoire, à la frontière du Burkina. 

Au-delà des attaques quotidiennes et des « fusions-acquisitions » des différents groupes, une véritable logique géographique est en cours. Dans les années 1990, l’islamisme africain était essentiellement présent au Maghreb, notamment en Algérie et en Égypte. Au cours des années 2000, il est descendu vers le Sahara et le Sahel, aidé notamment par la chute de Kadhafi (2011). Aujourd'hui, le mouvement descend plus au sud, vers les « Trois frontières » et le golfe de Guinée. À cela s’ajoute une structuration djihadiste en Afrique australe, comme l’ont montré les événements récents du Mozambique. 

Si le mouvement suit son cours, l’État islamique devrait donc s’installer le long du golfe de Guinée, de la Côte d’Ivoire au Gabon. Deux facteurs pourraient s’opposer à ce déploiement : la religion et l’ethnie. Les populations de cette région sont d’ethnies différentes de celles du nord, avec des antagonismes et des oppositions séculaires qui pourraient leur faire refuser cette main mise. L’islam y est moins présent, le christianisme et l’animisme étant majoritaires. Mais si l’Iswap ne réalise pas son projet d’installer un califat en Afrique de l’Ouest, la présence djihadiste fragilise néanmoins durablement les États, comme le démontre l’attaque de Solhan et ses 160 morts.

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