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Exposée dans le Trésor de la cathédrale d’Amiens, la relique de saint Jean-Baptiste est assurément la pièce maîtresse du sanctuaire. Rapportée en 1206 à Amiens par les croisés revenus de Constantinople, la relique n’a pas quitté la cathédrale, qui a veillé sur elle précieusement, la préservant des saccages de la Révolution et des guerres. Si Notre-Dame d’Amiens n’a pas été construite en l’honneur de la relique, la dévotion à saint Jean-Baptiste est ancienne. Dès 1392, une chapelle lui est dédiée dans le déambulatoire et en 1668, alors que la peste ravage la Picardie, l’évêque d’Amiens fait le vœu, pour conjurer le fléau, d’élever une nouvelle chapelle en l’honneur du saint. Quarante ans plus tard, son successeur exauce ce vœu et, à défaut de construire une nouvelle chapelle, transforme celle dédiée à saint Pierre à l’entrée du chœur. Au-dessus de l’autel, une niche est aménagée pour abriter la relique et une grille, rappelant la prison de saint Jean Baptiste, vient la protéger.
"Ces orbites, ce sont les yeux qui ont vu le Christ. Cette bouche, c’est celle qui a parlé avec le Christ"
Au fil des siècles, la dévotion portée à la relique décline. Déplacée dans le Trésor de la sacristie — où elle se trouve toujours — elle est exposée de temps en temps à la vénération des fidèles, notamment le 24 juin en l'honneur de la fête de la Saint-Jean et le 29 août en mémoire de son martyre. Mais depuis quelques années, émerge un regain d'intérêt pour la relique. Consciente de l’inestimable trésor spirituel que représente cette relique, la communauté Saint-Martin, qui a pris les rênes de la vie liturgique de la cathédrale depuis trois ans, a décidé de remettre la relique au cœur de la dévotion des fidèles. "Cette relique est d’une importance capitale pour notre société. Elle est un appel à la foi. Elle rappelle le cri de saint Jean-Baptiste dans le désert : “Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche”", explique Don Édouard de Vregille, recteur de la cathédrale. "Ces orbites, ce sont les yeux qui ont vu le Christ. Cette bouche, c’est celle qui a parlé avec le Christ", confie encore avec exaltation le recteur, qui refuse que le visage de Jean-Baptiste devienne une simple pièce de musée.
Et pour remettre à l’honneur cette relique, rien n’est trop beau. La chapelle Saint-Jean-du-Voeu a ainsi fait l’objet d’une importante restauration l’année dernière. Grâce à cet écrin la relique va pouvoir être présentée dignement et de manière beaucoup plus visible. Une grande tenture rouge va être aménagée afin d’attirer l'œil du visiteur. "Nous voulons conduire les touristes et les fidèles près de saint Jean-Baptiste pour qu’ils deviennent des pèlerins. Que le Baptiste les conduise au Christ", explique le père de Vregille. À ce nouvel aménagement s’ajoutent deux grandes ostentions inédites qui auront lieu deux fois par an, calées sur les grands événements liés à saint Jean-Baptiste. Elles auront lieu du 24 juin au 25 septembre et du 17 décembre au 2 février. La première ostension, qui commence avec la fête de la Saint-Jean, sera ouverte par l’évêque d’Amiens, Mgr Gérard Le Stang, et s'accompagnera de quatre grands concerts de musique sacrée ou le patrimoine musical d’Amiens sera mis à l’honneur.
"Nous ne pourrons jamais affirmer scientifiquement qu’il s’agit bien d’une relique ayant appartenu à saint Jean-Baptiste", explique le professeur Devauchelle, fondateur de l’Institut Faire Faces à Amiens, et initiateur d’une étude pluridisciplinaire sur la relique. À l’occasion des 800 ans de la cathédrale, le chirurgien du service chirurgie maxillo-faciale du CHU d’Amiens a, en effet, proposé de dater avec précision la relique mais aussi de réaliser des comparaisons génétiques avec d’autres reliques du saint notamment la mandibule conservée à Verdun. Interrogé par Aleteia, il raconte la genèse de ce projet : "C’est l’une des plus belles pièces du trésor de la cathédrale. J’ai fait de nombreuses recherches historiques sur cette relique. L’objectif, aujourd’hui, est de réaliser une nouvelle étude scientifique car la dernière date de 1952."
L’histoire des reliques de saint Jean-Baptiste est digne d’une véritable épopée. Pour la comprendre, il faut retourner au cœur du récit biblique. Après la mort du saint, "les disciples de Jean arrivèrent pour prendre son corps, qu’ils ensevelirent", relate l’évangile de saint Mathieu (14, 12). Que faut-il comprendre dans "prendre son corps" ? Le corps et la tête décapitée de saint Jean-Baptiste ont-ils été ensevelis en même temps ou séparément ? S’il est impossible de répondre à cette question, le sort des restes de saint Jean-Baptiste a pourtant fait l’objet de multiples interprétations.
La Tradition rapporte que c’est la femme de l’intentant du roi Hérode qui aurait déterré la tête de Jean-Baptiste pour l’emporter sur le Mont des Oliviers où elle aurait été retrouvée plus tard par un moine. L’histoire médiévale raconte également que le Chef du saint aurait été transféré au palais d’Hérode à Jérusalem par deux moines venus d’Orient puis enfoui dans une grotte jusqu’à ce qu’elle soit à nouveau retrouvée et placée dans l'église de la ville d’Emèse (Syrie). Au IXe siècle, le Chef aurait été transporté à Comanes, petit évêché en Asie mineure, puis enfoui sous terre pendant la crise iconoclaste et finalement retrouvé dans un vase d’argent, enterré sur ordre de saint Ignace de Constantinople. La relique aurait été ensuite transférée à Constantinople, dans la chapelle impériale, sous le règne de l’empereur Michel III (842-867).
Ce n’est qu’en 1204 que la France entre en scène. À cette époque, la partie faciale du Chef, qui se trouvait, on ne sait comment, dans le monastère Saint-Georges des Mangane de Constantinople, est dérobée par les croisées lors du pillage de la ville. La relique est alors rapportée en France et le 17 décembre 1206, Walon de Sarton, chanoine de Picquigny, la remet officiellement à l’évêque d’Amiens, Richard de Gerberoy. Depuis cette date, la précieuse relique est conservée dans le Trésor de la cathédrale. Au XIIIe siècle, la fête de la Réception de la face de saint Jean est officiellement instituée. Supprimée en 1853, elle sera finalement rétablie en 1873 par la Congrégation des rites. Rome reconnaissait de cette manière l’authenticité de la relique amiénoise.
Des reliques attribuées à saint Jean-Baptiste, il en existe de nombreuses. Un des trois doigts du saint serait conservé à Saint-Jean de Maurienne en Savoie, un autre dans la petite église bretonne de Traoun-Meriadec dans le Finistère ou encore à Malte. À Verdun, l’église Saint-Jean possèderait, quant à elle, la mandibule du saint. L’analyse comparée de la relique d’Amiens avec la mandibule permettra, peut-être, d’établir un lien génétique "si et seulement si demeurent au sein de la trame osseuse quelques traces cellulaires", indique le professeur. Outre cette étude comparative, une datation au carbone 14 et par résonance magnétique permettra de dater avec certitude l’âge de la relique.
Si les recherches au laboratoire n’ont pas encore commencé, retardées par la crise sanitaire, le professeur a bon espoir que les premières investigations commencent à l’automne prochain. Les autorisations de déplacement de la relique ont déjà été accordées par l’episcopat mais aussi par la Direction régionale des affaires culturelles en charge de la conservation du reliquaire. Lui aussi va faire l’objet d’une étude plus approfondie en raison de son intérêt historique. En 1204, lorsque le chanoine découvre la relique, celle-ci se présente sur un plat d’argent rond doté d’un couvercle. Le chanoine se débarrase du plat mais conserve la tôle qui entoure la tête. Peu après son arrivée à Amiens, un nouveau reliquaire en or est fabriqué et un bloc de cristal taillé sur mesure vient encercler la tête. À la Révolution, le plat en or est dérobé, remplacé au XIXe siècle par un plat en argent doré, mais le cristal a, quant à lui, traversé le temps. Bien que légèrement brisé pendant la période révolutionnaire, il est parvenu jusqu’à nous plus de 800 ans après.
Impatient, en tant que chirurgien, de pouvoir s’approcher au plus de cette relique pour en dévoiler tous les secrets, le professeur Devauchelle met tout de même en garde contre la tentation des scientifiques à vouloir trop révéler, jusqu’à imaginer recréer le visage de saint Jean-Baptiste. "Laissons donc aux reliques le pouvoir que leur confèrent les autorités ecclésiastiques et la foi de ceux qui les vénèrent".