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Le jour de l’Ascension, l’Église a-t-elle perdu la tête ?

L'Ascension de Jésus-Christ (XVe), Martin Schongauer, Unterlinden Museum.

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Jean-Thomas de Beauregard, op - published on 12/05/21
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En montant au Ciel, Jésus quitte la terre, mais demeure plus présent que jamais. L’Église se transforme en ascenseur théologal… où nous ne sommes pas seuls.

Dans la nuit, au détour d’un bois, un cavalier passe au grand galop. Le cheval, comme fou, se cabre, rue à gauche, puis à droite, perdu et furieux. Le cavalier… n’a pas de tête. La tête a été arrachée du corps. Ce n’est pas Sleepy Hollow (1999), film d’horreur gothique, c’est l’Église après l’Ascension. Le corps de l’Église a vu sa tête, le Christ, lui être arrachée violemment quelques jours après la Résurrection. Jésus est monté au Ciel, l’Église a perdu la tête ! Le corps peut-il survivre longtemps à cette absence réelle ? Ne risque-t-il pas d’errer dans la nuit du péché sans plus savoir où aller ?

L’Église est « un seul corps, un seul Esprit », parce qu’elle a pour tête « un seul Seigneur », Jésus-Christ (Eph 4, 4). Mais qu’arrive-t-il à ce corps uni par « une seule foi, un seul baptême » (Eph 4, 5) dès lors que sa tête n’est plus visible, qu’elle a disparu dans les nuées ? Certes, Jésus avait prévenu : « Il vous est bon que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai » (Jn 16, 7). Jésus ne laisse pas orphelin son corps qui est l’Église, puisqu’il lui donne son Esprit-Saint comme âme de ce corps. Il laisse aussi l’Évangile et les sacrements, les ministères et les charismes.

Jésus donne son Esprit-Saint à l’Église. Comme âme du corps, l’Esprit-Saint donne la vie à ce corps qu’est l’Église. Mais l’Église reçoit-elle l’Esprit-Saint comme un héritage ? En principe, l’héritage n’est perçu par les héritiers qu’à la mort de celui qui les a choisis comme héritiers. Or Jésus ressuscité est plus vivant que jamais ! Et s’il n’est plus visible en sa chair, il est bien présent à son Église ! Ni l’Esprit-Saint ni l’Église n’ont pour mission de tenir lieu du Christ absent, de suppléer son absence. L’Esprit-Saint anime l’Église pour qu’elle proclame la présence glorieuse du Christ ressuscité.

À bien des égards, Jésus n’a même jamais été plus présent à son Église que depuis qu’il est monté au Ciel : la fin de sa présence locale en un point précis du globe lui permet d’être présent efficacement partout sur la terre. C’est tout le paradoxe. Jésus ressuscité et assis dans les cieux à la droite du Père, intercède pour nous plus efficacement que jamais. Ainsi que l’écrivait saint Maxime de Turin : « Le Seigneur a refleuri lorsqu’il est ressuscité du tombeau, mais il fructifie lorsqu’il monte au ciel. » Et dans l’Eucharistie, son absence réelle devient présence réelle, plus puissante que jamais ! Le cri du psalmiste au temps de l’Ancien Testament : « Je n’ai de pain que mes larmes, la nuit, le jour, moi qui tout le jour, entends dire : où est-il ton Dieu ? » (Ps 42) n’a plus lieu d’être. Où est-il notre Dieu ? Au Ciel, mais également au milieu de nous. Ce ne sont pas nos larmes que nous mangeons à défaut de pain : nous mangeons le pain véritable changé à la messe en corps du Christ sous l’action de l’Esprit, nous buvons le sang de l’Alliance versé pour nous sur la Croix, et c’est ainsi que le Christ est au milieu de nous. Et c’est ainsi que le corps mystique s’édifie.

Contrairement à l’ascenseur social trop souvent bloqué dans nos sociétés contemporaines, l’ascenseur théologal ne tombe jamais en panne.

Pour autant, il reste contre-nature que la tête soit séparée du corps, fût-ce seulement quant à la visibilité charnelle. Si Jésus est présent au milieu de nous sur la terre, alors même qu’il est remonté au Ciel, il reste que cette situation n’est pas normale, ou plutôt qu’elle est provisoire. Là où la tête — le Christ — est entré — le Ciel —, le corps — l’Église — doit entrer tout entière. Jésus est le premier de cordée, la locomotive qui doit tirer les wagons jusqu’en gare de la Jérusalem céleste sous le regard médusé des vaches. La liturgie du jour nous en instruit dans la collecte : « Il nous a précédés dans la gloire auprès de toi [Père], et c’est là que nous vivons en espérance » et dans la préface : « Il [Jésus] ne s’évade pas de notre condition humaine, mais en entrant le premier dans le Royaume, il donne aux membres de son corps l’espérance de le rejoindre un jour. »

Aujourd’hui, en fêtant l’Ascension, nous sommes dans la situation d’Étienne au jour de son martyre : « Je vois les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu » (Ac 7, 56). Ce qui est important, c’est l’ouverture de la route du Ciel, c’est de voir Jésus dans sa gloire, bien sûr, mais c’est surtout que nous allons l’y rejoindre un jour. Aujourd’hui, en fêtant l’Ascension, nous disons avec la petite Thérèse de Lisieux : « L’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au Ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! » 

Et contrairement à l’ascenseur social trop souvent bloqué dans nos sociétés contemporaines, l’ascenseur théologal ne tombe jamais en panne. Il suffit d’appuyer sur le bouton, c’est-à-dire d’appeler Jésus à l’aide. En réalité, il y a bien quelque chose qui provoque la panne de l’ascenseur théologal. Quiconque s’est retrouvé un jour dans un ascenseur grimpant les étages d’un immeuble de type gratte-ciel — c’est bien ce dont il s’agit ! — se souvient d’avoir été incommodé par la présence d’autres personnes dans le même ascenseur : les raclements de gorge de ce monsieur moustachu qui transpire gras, le parfum de cette femme qui empeste toute la cabine, le rire bête de cet adolescent qui se gondole en regardant une vidéo sur son téléphone, les pleurs de ce bébé qui braille sous le regard désespéré de sa maman…

L’ascenseur théologal tombe en panne lorsque nous voulons le prendre seul plutôt que d’avoir à supporter la médiocre compagnie de notre prochain.

Or c’est cela, l’Église ! C’est un ascenseur qui nous emmène vers le Ciel, mais nous n’y sommes pas seuls ! Il nous faut supporter des voisins bien encombrants, et non pas seulement les supporter mais les aimer ! L’ascenseur théologal tombe en panne lorsque la charité qui doit animer le corps du Christ s’affadit, se corrode, jusqu’à disparaître. L’ascenseur théologal tombe en panne lorsque nous voulons le prendre seul plutôt que d’avoir à supporter la médiocre compagnie de notre prochain. L’ascenseur théologal a besoin de l’huile de la charité pour ne pas rouiller et rester bloqué.

C’est pour cela que la solennité de l’Ascension doit nous faire désirer la Pentecôte. Nous avons absolument besoin que l’Esprit-Saint vienne renouveler nos cœurs pour que nous sachions plus et mieux aimer chacun des membres du corps du Christ. Nous avons absolument besoin que l’Esprit-Saint vienne nous communiquer la vie du Christ pour que nous ne soyons pas un cavalier sans tête chevauchant une monture folle dans l’obscurité du péché. Nous avons absolument besoin que l’Esprit-Saint vienne nous aider à pousser les parois de la cabine de l’ascenseur pour que tous les hommes puissent s’y engouffrer et rejoindre le Ciel. Viens Esprit-Saint !

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