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Quel est le rapport entre la France et le christianisme ?

Tabernacle © Luis Andrade/Shutterstock

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Dominique Ponnau - publié le 15/03/21
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Pour l’historien de l’art Dominique Ponnau, directeur honoraire de l’École du Louvre, être Français c’est appartenir à une nation dont la matrice chrétienne est une évidence, y compris dans sa tradition laïque.

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Les racines de la France sont à la fois romaines, grecques, juives et chrétiennes. Cette évidence a aujourd’hui cessé de l’être parce qu’on l’a ignoré, volontairement ou non : comment peut-on parler de France ou d’Europe sans se référer au christianisme, à la voie chrétienne d’aborder le monde ? Nos racines — sans être exclusivement chrétiennes puisque nous avons des racines spirituelles, culturelles, artistiques issues de la romanité et du monde hellénique — viennent de manière au moins aussi importante du monde biblique.

Les chrétiens eux-mêmes ont un héritage romain, grec et juif. Rome et la Grèce, avec la Bible, constituent notre matrice spirituelle pour l’essentiel. C’est bien de cette matrice que vient la France, qu’elle est constituée, que nous le sachions ou non. Par exemple, beaucoup de nos expressions viennent du christianisme. Notre temps aussi est rythmé selon les références chrétiennes, même si certains essaient de le gommer, que ce soient les fêtes ou le calendrier. Si l’on s’intéresse à notre histoire ou à notre art, le constat est le même, et il est très clair.

Dès l’origine, une patrie façonnée par le christianisme

L’histoire de la France est celle d’un pays chrétien. Le nom de « France » est indissociable du monde franc. Dans la dénomination ancienne du nord de la France actuelle, les Francs ont donné leur nom à la Gaule à partir du moment où les tribus germaniques ont adopté le christianisme, et plus particulièrement, pour l’une d’entre elles, la tradition catholique romaine, sous Clovis. La France devient la France au moment du baptême du roi, en 496. La civilisation antique nous est parvenue à travers le prisme chrétien et, si nous la connaissons bien, c’est en grande partie grâce au monde monastique qui, pendant le haut Moyen Âge, a maintenu vivante la tradition antique, laquelle aurait disparu sans cela. En admirant la splendeur dont l’Histoire nous a laissé d’innombrables signes, nous voyons que le monde chrétien n’est pas en rupture avec la civilisation antique, mais que notre mémoire spirituelle, historique et culturelle, en tant qu’elle se réfère à cette dernière, se réfère par le fait même au monde chrétien, puisque c’est à travers le monde chrétien qu’elle nous a été transmise. À la Renaissance aussi, qui est une très grande époque encore fondamentalement chrétienne, on a redécouvert de manière plus générale et approfondie l’Antiquité, mais on ne l’a pas séparée de ce qu’avait pu apporter le christianisme.

L’apport des mondes musulmans et juifs

Il ne faudrait pas oublier non plus, en parlant de ce bel alliage — au sens où l’on allie l’or à l’argent — entre la civilisation antique et la civilisation chrétienne, transmise par la Bible et les Pères de l’Église, l’apport, dans certaines contrées de l’Europe, en particulier en Espagne, des mondes musulmans et juifs, ces derniers s’étant implantés en Gaule, puis en France, dès le premier siècle avant Jésus-Christ. Il faudrait avoir un regard ouvert sur ce que ces mondes ont pu nous apporter. En même temps, peut-être serait-il sage de ne pas oublier que, même dans de tels cas, le christianisme n’était pas extérieur à ces nouveaux alliages. Par exemple, en Turquie, la référence architecturale majeure de ce monde devenu majoritairement musulman est l’église Sainte-Sophie, construite sous Justinien au VIe siècle, qui, avant d’être transformée en mosquée au XVe siècle, puis en musée en 1934, [puis à nouveau en mosquée en 2020, Ndlr] a été l’église de référence de tout le monde artistique chrétien et la référence spirituelle de la chrétienté orientale et même jusqu’à un certain point occidentale. Le plus grand architecte de l’Empire ottoman, Sinân, qui a construit des chefs-d’œuvre splendides, le plus souvent inspirés des basiliques chrétiennes, est un musulman certes, mais presque forcé à l’origine puisqu’il est né chrétien, avant d’être converti comme tant d’autres enfants grecs, comme lui, enlevés à leurs parents.



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Il ne faut revendiquer aucune exclusivité pour le christianisme, ni oublier que le christianisme lui-même s’est reçu du monde juif. Le dialogue interreligieux, si important, ne peut être un mélange de tout et n’importe quoi. En philosophie également, des hommes comme Rémi Brague nous ont beaucoup aidés à en percevoir l’importance. Le judaïsme et l’islam sont essentiels ; on sait ce qu’un génie comme saint Thomas d’Aquin leur doit. Tout cela fait partie de l’Europe et il est heureux d’être attentif à reconnaître ce que l’on doit au judaïsme et à l’islam. Il n’en demeure pas moins que notre patrimoine fondamental est chrétien.

Il est préférable de parler de civilisation chrétienne, ce qui ne diminue en rien l’importance vitale pour elle de l’héritage biblique, hébraïque, et donc juif.

On parle de « civilisation judéo-chrétienne ». A-t-on vraiment raison ? Il est préférable de parler de civilisation chrétienne, ce qui ne diminue en rien l’importance vitale pour elle de l’héritage biblique, hébraïque, et donc juif. Dans le Pentateuque, on parle d’Hébreux puisque sont juifs à l’origine les membres de la tribu de Juda, les Judéens, les gens de la Judée. À l’origine, si tous les juifs sont Hébreux, tous les Hébreux ne sont pas juifs. Si nous sommes chrétiens, nous avons notre première origine spirituelle dans la Parole de Dieu, dans ce que la Bible nous apporte. Mais en demeurant très attentifs à reconnaître les dettes qui sont les nôtres envers le judaïsme et à un moindre degré l’islam, interrogeons-nous peut-être aussi sur l’éventualité que les uns et les autres, qui sont nos créanciers, puissent être parfois également nos débiteurs.

Même les ruptures n’échappent pas au christianisme

À partir de certaines époques, certains aspects de la Renaissance, et surtout le siècle des Lumières, des distances parfois grandes sont prises par rapport à la religion ; une hostilité parfois vive se fait jour. Cependant, même les auteurs les plus antichrétiens, tels que Voltaire, se réfèrent en permanence au christianisme ; ils ne peuvent absolument pas s’en distraire, et ils n’y songent même pas. À la Renaissance, les plus grands humanistes sont chrétiens. Érasme est fondamentalement inspiré par le christianisme. Avec lui, un autre humaniste, l’un des plus grands, et qui était un de ses amis, Thomas More, est l’exemple même de l’humanisme chrétien, en l’occurrence catholique. Toutes les ruptures qui se sont opérées, toutes les déchirures de l’Histoire dans ce qui aurait dû demeurer la tunique sans couture du Christ, sont incompréhensibles en dehors d’une référence au christianisme. Au moment de la Réforme protestante, il y a une opposition à l’Église catholique, mais tout le monde s’affirme chrétien. Ceux-là mêmes qui deviennent hostiles à ce qui est chrétien s’y réfèrent en permanence. J’ai cité Voltaire, mais il y en a beaucoup d’autres.

Les reniements

Il y a eu dans notre Histoire des moments où l’on a voulu renier l’appartenance au christianisme. Le premier de ces moments est la Révolution française — non pas celle de 1789, avec la Déclaration des droits de l’homme et l’établissement des principes qui depuis lors régissent la société française et ont inspiré peu à peu l’Europe entière, car ces principes sont foncièrement chrétiens. La rupture véritable se produit un peu plus tard, à partir de 1792 et surtout 1793, quand on décide de supprimer dans le calendrier la référence traditionnelle, pour nous tous, au christianisme : on parle de l’an I de la République ; on abandonne les siècles ; on abandonne les mois, on abandonne les jours — antiques avant d’être chrétiens, mais qui sont devenus chrétiens. On remplace les fêtes chrétiennes par des fêtes assez ridicules qui font artificiellement référence à des symboles païens ; on installe à Notre-Dame de Paris la déesse Raison. Des églises sont détruites, ou vandalisées. À Notre-Dame de Chartres, la grande statue au milieu des anges qui se trouve au fond du cœur, doit d’avoir subsisté en tant que Notre-Dame de l’Assomption à l’intelligence subtile, rusée et prudente d’un homme qui l’a coiffée momentanément d’un bonnet phrygien, la faisant ainsi passer pour la déesse Raison, ce qui l’a sauvée ! Les symboles monarchiques et chrétiens sont détruits.



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C’est le moment aussi où des hommes de grande valeur, qui ne sont pas forcément des croyants confirmés mais qui sont des personnes ayant le sens de notre Histoire, tel qu’Alexandre Lenoir, sauvent tout ce qu’ils peuvent sauver. Ils sauvent un patrimoine qui sans cela aurait été détruit. Il est juste de citer à cet égard un évêque constitutionnel certes, conventionnel, révolutionnaire, mais très courageux et absolument intègre, l’abbé Grégoire, à qui l’on doit le mot « vandalisme », sous lequel il désigna les destructions massives du patrimoine chrétien qu’il réussit à interrompre. Et pourtant, parmi nos ministres-mêmes se trouvent des gens pour oser vouloir faire commencer notre Histoire en 1793, et appeler à achever le déni destructeur commencé alors, la destruction des références chrétiennes, pour ne plus garder que la France. Il y a une volonté d’éradication de ce qui constitue notre être spirituel et culturel. C’est un moment de volonté de rupture.

Laïque ne veut rien dire en dehors d’un contexte chrétien ou juif. La « laïcité » prétendue d’aujourd’hui est un « laïcisme » fanatique et ignorant.

Les racines de la laïcité sont chrétiennes

Pourtant la laïcité ne veut rien dire en dehors d’un contexte chrétien ou juif. On nous bassine avec des mots comme « laïcité », mais pour avoir suivi un cursus à la fois dans l’enseignement privé catholique et dans l’enseignement supérieur laïque, j’ai fait l’expérience que les principes fondamentaux de l’éducation y étaient les mêmes. Parmi mes professeurs, certains étaient chrétiens, pas tous, mais tous faisaient référence au christianisme. André Alba, célèbre professeur d’Histoire, disait : “Ce qu’il faut, mes amis, dans la vie, c’est se réunir dans l’esprit de Jésus, pour le culte de Dieu, et pour l’amour des hommes.” Voilà ce que l’on entendait en Histoire en Khâgne à Henri IV ; on en est loin aujourd’hui. Un des édifices majeurs de la pensée sont les « exercices spirituels » de saint Ignace, ajoutait le professeur de philosophie, pourtant agnostique. C’était la laïcité intelligemment entendue, et non stupidement évoquée comme elle l’est aujourd’hui. Elle est évoquée avec violence, parce que l’on est ignorant ou que l’on se veut ignorant, parce que l’on se connaît mal et que l’on a peur de l’islam : voilà ce qui fait oublier les racines de la laïcité, sans lesquelles elle est vide de sens. Ces racines justement, quelles sont-elles sinon chrétiennes ? Laïque ne veut rien dire en dehors d’un contexte chrétien ou juif. La « laïcité » prétendue d’aujourd’hui est un « laïcisme » fanatique et ignorant.

Le « laïc » est d’abord un membre du peuple de Dieu

Aujourd’hui, on entend par « laïque » un brandisseur de violence anti-chrétienne, mais il n’en n’a pas toujours été ainsi. Le monde monastique par exemple, foyer vivant de la prière chrétienne, était essentiellement « laïc ». Le mot « laïc » vient de « frère lai » dans les abbayes, il s’agit d’un frère qui n’est pas ordonné. Il n’est ni diacre, ni prêtre. Le monde monastique, d’une manière générale, est un monde de consécration, certes, mais c’est un monde « laïc » au sens précis du terme. Même s’il y a aujourd’hui de plus en plus de prêtres parmi les moines — ce qui n’était pas le cas à l’origine —, le monde monastique est une assemblée essentiellement laïque de personnes réunies pour le culte et l’amour de Dieu en Jésus-Christ, et qui dédient leur vie à celui-ci. D’ailleurs les prêtres, même dans les monastères, signent encore « frère ». La laïcité ne constitue donc pas une rupture, c’est une appartenance au peuple, au laos, en grec (c’est de ce mot que vient « laïc »), qui se distingue du demos (en grec : peuple en un sens social, non sacralisé, du mot) par son sens plus qualitatif, et en forçant un peu le trait, presque « religieux » du mot, qui glisse jusqu’à l’acception de « peuple saint ». En effet, aucune cité antique ne se conçoit sans référence au divin, à son dieu protecteur.


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La laïcité ne signifie pas du tout une société qui s’édifierait contre la religion mais qui manifeste l’importance en son sein du peuple, non ordonné, non ministériel. La laïcité prend donc ses distances par rapport à un univers supposé confisqué par la cléricature. Mais dire qu’elle s’oppose ontologiquement à la cité religieuse chrétienne est un non-sens. La perception étroite que l’on a aujourd’hui de la laïcité est erronée et en contradiction totale avec le sens réel du mot. Mais cela ne dérange pas grand monde, puisque l’on ne le sait même plus…

La première grande rupture

Il y a eu des revendications bonnes et légitimes dans le processus de laïcisation de la France, mais finalement nous nous sommes égarés et continuons à scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Le premier grand moment de rupture, préparé par l’humanisme de la Renaissance pourtant largement chrétien, c’est le XVIIIe siècle français, celui des philosophes — encore que les plus grands philosophes aient été allemands, Kant justement — qui est surtout celui de l’apogée de la langue française. Elle aboutit à la Révolution. Ce qui inspire la Révolution dans ce qu’elle a de plus lumineux, est le sens de la liberté humaine, la conviction qu’il y a des droits imprescriptibles de la conscience humaine, parce qu’il existe une dignité humaine fondamentale que toute tentative de mise au pas ne peut faire autre chose que trahir.



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Cette perception de la liberté de l’esprit et de la pensée, quoi qu’en disent ceux qui s’opposent violemment au christianisme, vient tout droit de la perception juive puis chrétienne, malgré les épouvantables abus qu’il y a eu dans l’histoire de la chrétienté —  car il y en a eu — et cela aide à comprendre beaucoup de choses. Mais le sens de la liberté de l’esprit, de l’autonomie du peuple au sein de cette grande symphonie qu’est la louange dans le temple de Dieu, vient du christianisme. Il faut faire une grande différence entre 1789 et 1793, même s’il y a dès le début de la Révolution, aux États généraux, des députés hostiles au christianisme. Dans la Déclaration des droits de l’homme, le principe selon lequel “Tous les hommes naissent libres et égaux en droits” est d’inspiration fondamentalement chrétienne. Saint Paul disait déjà : “Il n’y a plus ni esclaves ni hommes libres, nous sommes tous frères en Jésus-Christ” (Ga 3,28).

Les principes chrétiens de l’école laïque

Plus tard, lorsque se constitue d’une façon explicitement opposée à l’Église catholique, l’école laïque et obligatoire, telle que l’établit Jules Ferry dans les années 1880, ce ministre a le très grand mérite de le faire dans un esprit d’ouverture, en la rendant accessible, obligatoire et gratuite. On va y apprendre la lecture, l’écriture, le calcul, l’Histoire. Dans ce mouvement, on supprime un peu plus tard, et malheureusement, l’enseignement de la théologie, si bien que la Sorbonne est désormais la seule grande université d’Europe où cette matière ne soit pas enseignée, alors que l’université de Paris est le plus haut lieu d’enseignement de la théologie au Moyen Âge, et que sous saint Louis, Jean de Sorbon y avait institué des bourses pour donner accès à des personnes modestes à la plus grande université catholique d’Occident. Le ministre Viviani, au moment de la séparation de l’Église et de l’État, proclame, fier de sa formule : “Nous avons éteint dans le ciel des étoiles qui ne se rallumeront plus.” L’idéal de l’humanité libérée est-il d’éteindre des étoiles ? Lorsqu’en revanche on demande à Jules Ferry sur quoi appuyer une morale sans transcendance, il répond : “Sur les principes de la morale de nos pères”. Or ces principes sont chrétiens ! Les personnes qui instituent la laïcité n’ont alors pas l’ombre d’une crainte des choses effrayantes qui vont se passer : ils sont persuadés que, malgré certains abus du passé, le fond du christianisme est bon. Lorsqu’en 1848 le roi Louis-Philippe est renversé, nombre d’ouvriers républicains déclarent agir selon les enseignements du « patriote Jésus ». Or cette même année de 1848 est celle du Manifeste communiste de Karl Marx. Les choses sont de nos jours présentées de manière excessivement biaisées, et fausses.

Devant l’islam, la distinction chrétienne du religieux et de la vie civique

De nos jours, la laïcité dénaturée est une mauvaise réponse au défi que constitue l’Islam en France. Si nous regardons les abominations qui sont perpétrées par des fous fanatiques qui disent agir au nom de l’Islam, nous ne confondons pas les musulmans dans leur ensemble avec ces djihadistes ; mais nous ne pouvons pas ne pas voir que dans le Coran, à côté de nombreuses pages magnifiques, il y a des éléments guerriers dès l’origine. Il est vrai que « l’Islam, ce n’est pas cela », comme on dit ; mais sans que « cela » en constitue l’aspect majeur, il y a des principes de violence dans l’Islam, même s’il y a aussi dans l’Islam des choses très belles, à commencer par le sens de l’adoration qui nous manque tant, à nous ! C’est l’adoration que les musulmans sincères pourraient nous aider à redécouvrir dans le trésor de notre propre foi.


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Mais ce qu’il n’y a pas dans l’Islam, et qu’il y a au contraire dans le christianisme, c’est la distinction nette entre la sphère du religieux et celle de la vie civique, non plus que l’affirmation des droits imprescriptibles de la liberté de conscience. Nous, chrétiens, adorons aussi le Dieu qui nous dépasse infiniment, le Dieu inconnaissable. Mais ce que nous ajoutons, qui pour nous est essentiel, et qui est blasphématoire pour beaucoup de musulmans, et aussi pour certains juifs, c’est qu’il s’incarne et se fait connaître en Jésus-Christ, son Fils, qui s’est fait homme, qui s’est fait chair. Nous sommes en interrogation perpétuelle ; les musulmans, non, car ils ne font pas intervenir le temps. Peut-on espérer que la foi chrétienne, dans le mystère de l’Incarnation, puisse un jour aider nos frères musulmans à élaborer davantage une herméneutique de leur propre foi sans rien abandonner de leur perception sublime de la transcendance de Dieu ? Ce lieu d’une éventuellement rencontre est très difficile à trouver, mais il nous faut garder l’espoir qu’il soit possible. Il donnerait lieu alors à des échanges magnifiques entre chrétiens fidèles et musulmans fidèles.

En niant nos origines, nous ne formons qu’un corps pusillanime, incapable de faire front avec courage devant ces menaces.

En attendant, la manière qu’a notre société de répondre aux crimes islamistes est creuse et mesquine. Nous ne savons faire que des attroupements sans âme, aux slogans déplacés. En niant nos origines, nous ne formons qu’un corps pusillanime, incapable de faire front avec courage devant ces menaces. C’est en ayant une identité profonde que nous pouvons faire la rencontre respectueuse de l’altérité. En honorant notre culture nous permettons à celle de l’autre d’exister, et nous nous tenons droits dans l’échange.

La richesse de notre culture s’exprime avec le christianisme

Bach disait que l’essence de sa musique était la louange. Mozart se réveillait la nuit en remerciant Dieu de l’avoir créé. En de telles attitudes, la noblesse de la liturgie et la sacralité du rite trouvent leur raison d’être et leur justification. Elles ont un sens profond qu’il convient de retrouver. Or on croit trop souvent que la Modernité, c’est la vulgarité ; que bafouiller, c’est être de son temps. Ne rejetons pas le magnifique latin d’Église. Et en français, réapprenons plutôt à parler, à écrire la langue sublime de nos pères. Cette exigence n’exclut nullement la conscience des évolutions que cette langue, comme toute langue vivante, a connues et connaîtra. Mais bannissons-en la trivialité : la trivialité est l’ennemi du simple.

Essayez d’« affranchir » les peintures de nos musées de leurs origines chrétiennes et vous n’y comprenez plus rien. De même la poésie, depuis le haut Moyen Âge, est absolument inséparable du christianisme. Baudelaire termine ainsi son poème Les Phares : “Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage que nous puissions donner de notre dignité / Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge et vient mourir au bord de votre éternité !” C’est cela, notre poésie : même quand il s’agit d’une poésie qui s’est écartée de la foi, la référence biblique chrétienne est là, sans cesse. Le christianisme est le pain et le vin de nos grands poètes. Même, oserai-je dire, quand il leur arrive de blasphémer. Vigny a perdu la foi quand il fait dire à Moïse dans le poème qui porte son nom : “Seigneur, vous m’avez fait puissant et solitaire / Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre.” Mais sa référence est évidement biblique. Jean Racine met dans la bouche d’Hippolyte : “Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur.” Et comment ne pas penser au « Bienheureux les cœurs purs » de l’évangile selon saint Matthieu (5, 8) ? Supprimez la référence chrétienne et vous ne comprenez presque rien au monde shakespearien. Dostoïevski est un géant inouï de la contemplation chrétienne, et toute la littérature russe avec lui. Toute la musique européenne — allemande, anglaise, autrichienne, française, italienne, espagnole, flamande, … — est empreinte de christianisme.

Si l’on refuse le patrimoine chrétien, c’est l’enseignement de l’Histoire qui est amputé.

Dans la culture, une âme française

Si l’on refuse le patrimoine chrétien, c’est l’enseignement de l’Histoire qui est amputé. Comment ose-t-on prétendre enseigner l’Histoire en France et en Europe, si l’on abolit l’Histoire de nos rois chrétiens, de nos saints, l’Histoire sainte, l’Évangile comme référence et lieu d’émerveillement de la dignité humaine ? Or non seulement on l’ose, mais on l’impose, et c’est criminel. La dimension culturelle de notre religion n’est pas superflue, elle est capitale. La lecture des Saintes Écritures est exceptionnellement riche, mais on ne s’étourdit pas non plus, bien au contraire, si l’on plonge dans la beauté de l’art, dans cet univers très vaste, où rayonne la grâce divine.


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La France, si elle s’acharnait à éradiquer la culture chrétienne, les maigres racines qui la font encore tenir, n’irait pas vers la liberté, mais vers le néant, parce que le christianisme a façonné notre pays. Il en constitue l’essence. Louis XV, roi profondément croyant, mais se considérant, par les dérèglements de sa vie, comme un « pécheur public », s’abstint durant des décennies de communier. Louis XVI dans le magnifique testament où il pardonne à tous ceux qui lui ont fait du mal, et en particulier à ses bourreaux, meurt comme un grand roi chrétien. L’un et l’autre, dans l’excès et dans le malheur, ont contribué à bâtir la France. Quand notre temps se plaît à « déconstruire », en chrétiens, nous devons nous appliquer à aimer et à construire, continuer à “espérer contre toute espérance” (saint Paul, Rm 4,18) et la jeunesse, notamment elle, surtout elle, pourra, dans la culture, retrouver une âme française, rallumer « des étoiles dans le ciel ».


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