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En 1991, sœur Judith Zoebelein, une religieuse franciscaine américaine, arrive au Vatican pour "s’occuper des ordinateurs". C'est une proche du nouveau préfet de l’Administration des biens du siège apostolique (APSA), le cardinal Rosalio Castillo Lara. La diffusion des ordinateurs individuels auprès du grand public et des entreprises est encore confidentielle – surtout en Italie – et le haut prélat confie à la religieuse américaine la mise en place de normes pour uniformiser l’emploi du matériel informatique au Vatican.
En 1994, « Internet a pris son essor », notamment via les courriels. Quelques responsables du Vatican commencent à s’y intéresser, raconte-t-elle. C’est le cas notamment de Joaquín Navarro-Valls, le charismatique directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, qui propose alors de mettre le Vatican « en ligne ». L’idée est présentée au pape Jean Paul II, « un grand visionnaire », selon la religieuse. Le pontife accepte « immédiatement », y voyant une grande opportunité d’évangélisation. Le jour de Noël 1995, la première page web du site officiel du vatican, vatican.va est alors mise en ligne.
Tout s’accélère ensuite, les pages poussant alors "comme des champignons", chaque dicastère du Saint-Siège ajoutant, à l’initiative de la religieuse, sa pierre à l’édifice. Sœur Zoebelein travaille alors presque seule, avec l’aide uniquement d’un technicien en charge des serveurs. Elle charge des contenus et développe la mise en page. C’est ainsi à elle qu’on doit le fonds "parchemin" encore utilisé par le site du Vatican aujourd’hui. Elle explique l’avoir choisi pour représenter les « 2.000 ans d’histoire de l’Église ».
Internet, "une passerelle pour le diable" ?
Sœur Zoebelein explique qu’elle s’est particulièrement appliquée à faire communiquer les deux parties essentielles de son travail : la technique et l’humain. Cependant, elle rencontre quelques réticences au sein de la Curie romaine, comme ce monsignore qui lui déclare qu’un « réseau est une passerelle pour le diable ». Mais elle a le soutien des principaux chefs de la Curie, et surtout du pape, qui, en 2001, décide de promulguer directement en ligne une exhortation apostolique, Ecclesia in Oceania.
Sœur Zoebelein a aussi mis en place l’adresse e-mail du successeur de Pierre, qui rencontre un immense succès dès son départ. Atteint par une grippe le 24 décembre 1995, le pontife voit sa boîte mail inondée de conseils et remèdes pour l’aider à se rétablir. « Le Pape a toujours été une personne mystérieuse, intouchable et distante, explique la religieuse américaine, puis est arrivé Internet, et soudain, il est devenu quelqu’un qui semblait beaucoup plus accessible ». Au début, le Pape se fait transmettre tous les courriels. Cependant, le nombre devient trop grand et une sélection est alors effectuée, les autres étant néanmoins stockés « sur CD-ROM » par les archives du Saint-Siège.
Une spiritualité de la technologie
Interrogée sur le rapport du Pape actuel aux réseaux sociaux, la sœur franciscaine considère que le pape François est lucide sur les écueils du numérique, quitte à être très critique envers les acteurs qui ont pris un « virage pour le pire ». Mais elle-même se refuse à diaboliser le numérique : elle « fait également partie de la Création » à travers l’homme, insiste-t-elle, certaine que « Dieu a aussi une place dans Son plan pour la technologie ». D’ailleurs, elle serait favorable à ce que Carlo Acutis, récemment béatifié, soit le patron officiel d’Internet. Ce jeune garçon, déclare-t-elle, « a vécu et respiré Internet » pendant toute sa vie, et a une vraie compréhension de la « spiritualité de la technologie ».