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L’oraison pour la solennité de la Sainte Famille porte : « Tu as voulu, Seigneur, que la Sainte Famille nous soit donnée en exemple. » Un exemple, vraiment, la Sainte Famille ? Le procès-verbal dressé par l’Évangile semble affirmer le contraire : l’enfant Jésus est conçu hors-mariage, son père n’est pas le père biologique et a songé à répudier son épouse, et plus tard l’enfant s’est révélé fugueur avant d’être arrêté pour trouble à l’ordre public et crucifié comme un brigand ! Pas sûr que la Sainte Famille, qui n’est même pas une famille nombreuse, remplisse les critères pour être photographiée en Une d’Aleteia !
Un antimodèle ?
La Bible n’offre d’ailleurs pas beaucoup d’exemples de familles idéales selon les critères du monde ou même selon les critères d’une sainte morale catholique. Il ne s’agit pas, en soulignant ce fait incontestable, de faire de la provocation gratuite en se donnant une image flatteuse de prédicateur ou de théologien libre de tout préjugé et affranchi de tous les dogmes. Ces provocations-là ne coûtent pas cher à leurs auteurs qui vivent des dons des fidèles qu’ils prétendent choquer et dont les effectifs fondent au gré de leurs prédications affriolantes. Loin d’être une provocation, c’est une invitation à recevoir la Parole de Dieu pour ce qu’elle est vraiment.
Au travers de ces histoires de familles cabossées par la vie, pas toujours en règle avec la morale ou la décence commune, Dieu se fraie un chemin et veut nous dire quelque chose : la grâce peut davantage que nos faiblesses, elle ne relativise pas nos péchés mais vient transfigurer nos existences au lieu même de leurs obscurités. Un seul mot d’ordre : laisser Dieu prendre la première place au sein de nos familles.
La Sainte Famille de Nazareth est-elle un exemple ? Pas au sens où elle serait imitable dans le détail. Entre la Vierge Marie préservée du péché originel et l’enfant Jésus qui est tout de même Dieu fait chair, les conditions de leur vie familiale sont trop différentes pour être imitées. Pauvre Joseph, qui se retrouve le seul pécheur de la famille, même si on imagine que l’intimité avec Marie et Jésus l’a probablement tenu éloigné des péchés les plus graves !
La Sainte Famille est d’autant moins susceptible d’être imitée dans le détail que l’Évangile ne nous en dit presque rien. Là où les Apocryphes s’échinent à combler les trous, les Évangiles reçus par l’Église préservent l’intimité de la Sainte Famille. C’est aussi cela, une famille : une intimité qui doit être préservée, des secrets qui ne sont pas forcément honteux ni mortifères, un lieu où l’on peut grandir à l’abri des regards indiscrets.
Quand Joseph assume l’imprévu
Toutefois, malgré le peu qu’on en sait, la Sainte Famille demeure un exemple pour nos familles en tant qu’elle accueille sans cesse l’imprévu. Loin des images d’Épinal, la famille est principalement le lieu de l’imprévu, parfois source de conflits. Et là encore, c’est Joseph qui nous ressemble le plus. Là où Marie a été interrogée pour savoir si elle acceptait sa mission d’être la mère du Sauveur, là où le Fils éternel a choisi volontairement de prendre condition humaine pour le salut du monde, Joseph n’a pas choisi grand-chose. À chaque étape, Joseph est mis devant le fait accompli. Et pourtant, il accepte dans l’obéissance et dans la gratitude ce que la Providence lui réserve.
Joseph est celui qui assume ce qu’il n’a pas choisi
De ce point de vue, Joseph qui nous a été donné par le Pape François en modèle en 2021 est un exemple à suivre. Joseph est celui qui assume ce qu’il n’a pas choisi. Parfois il l’assume dans l’angoisse et dans le doute, parfois dans la joie et la gratitude, mais en tout cas il l’assume, il assume tout. Or la vie humaine en général et la vie chrétienne en particulier ressemblent souvent à cela : ce n’est pas toujours une succession de choix parfaitement délibérés et mûris dans la réflexion et la prière, comme si nous décidions toujours ou le plus souvent nous-mêmes de la marche des événements. Non, c’est parfois assumer ce qu’on n’a pas choisi.
Ce qu’on n’a pas choisi
Notre psychologie contemporaine, façonnée par l’idéal d’autonomie absolue héritée des Lumières, accentue précisément ce trait de caractère qui rend la famille improbable, fragile et compliquée : l’incapacité ou le refus d’assumer ce qu’on n’a pas choisi. La crise sanitaire nous aura au moins enseigné, à la dure, cette leçon trop oubliée : la vie humaine et chrétienne consiste souvent à assumer ce qu’on n’a pas choisi pour en faire un lieu de sanctification, bon gré mal gré.
La famille est précisément ce lieu où l’on reçoit et où on doit assumer tant bien que mal ce qui est imprévu, ce qu’on n’a pas toujours choisi : la maladie d’un conjoint, l’échec scolaire d’un enfant, une naissance imprévue, les choix de vie des enfants qui ne sont pas ce qu’on aurait voulu pour eux, les incompréhensions entre époux, etc. De ce point de vue, la vie familiale est une école d’abandon et de vie chrétienne soumise à la Providence ! Les prêtres et les religieux, en dépit de leur vœu d’obéissance – ou leur promesse d’obéissance à l’évêque dans le cas des prêtres séculiers – sont parfois loin d’imaginer les trésors de sainteté qu’exige la vie familiale la plus ordinaire.
C’est Jésus qui nous porte
Mais revenons à l’Évangile : la prophétesse Anne annonce à Marie et Joseph que leur enfant Jésus « provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël », qu’il sera « un signe de contradiction » et que son destin tragique leur percera l’âme à la manière d’un glaive. C’est bien cela dont il s’agit : accueillir l’imprévu, le douloureux, le tragique que la vie familiale et la vie chrétienne fournissent plus souvent qu’on ne le voudrait. C’est inviter malgré tout Jésus à être le centre de nos existences.
Jésus se donne dans nos existences cabossées et irrégulières pour les transfigurer
Et n’oublions pas le vieillard Syméon, qui exulte en prenant l’enfant Jésus dans ses bras. En cet instant, il est le premier prêtre de la Nouvelle Alliance puisqu’il élève le corps du Christ entre ses mains, et d’une certaine manière aussi le premier communiant de l’histoire de l’Église. On pourrait croire que c’est le vieillard qui porte l’enfant, mais c’est bien l’enfant qui porte sur lui, déjà, la vieillesse du monde pour le rajeunir éternellement par sa grâce. Dans cette scène profondément eucharistique, où Anne et Syméon font figure de grands-parents d’adoption dans cette Sainte Famille décidément peu ordinaire, nous contemplons ce qui doit être le cœur battant de nos familles : Jésus qui se donne dans nos existences cabossées et irrégulières pour les transfigurer, et qui fait notre unité si nous voulons bien l’accueillir.