Nous admirons tant les saints, ces personnages apparemment inaccessibles, que la moindre faille de leur part nous devient suspecte. Biographe de Louis et Zélie Martin, Hélène Mongin nous aide à comprendre que la sainteté, c’est peut-être… l’imperfection !
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“Soyez parfaits comme votre Père est parfait” (Mt 5, 48). Quand il nous invite à la sainteté, Jésus place la barre assez haut. Jusqu’à une période récente de l’histoire de l’Église, la représentation traditionnelle de la sainteté, qui marque aujourd’hui encore notre inconscient collectif catholique, semble en effet promouvoir une certaine forme de perfection : apanage des prêtres, des consacrés et des martyrs, la sainteté est associée aux miracles, apparitions ou exploits héroïques. Elle fait figure d’idéal, certes enthousiasmant, mais quelque peu inaccessible.
La sainteté, c’est pour les nuls
Puis il y eut François de Sales, grand colérique devant l’éternel, qui considéra comme “une erreur, et même une hérésie de vouloir bannir [la sainteté] de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, du ménage des gens mariés”. Sa voix résonna assez longtemps seule dans le désert, jusqu’à ce qu’une petite normande, personnalité fragile dont la vie n’eut extérieurement rien d’exceptionnel, propose de rechercher le chemin de la sainteté dans sa propre faiblesse. La petite voie de Thérèse de Lisieux, lue dans le monde entier dans la première moitié du XXe siècle, prépara le terrain du fameux “appel universel à la sainteté” du concile Vatican II. La sainteté, c’est pour vous et moi, c’est pour les nuls.
Pour autant, cet appel a-t-il pleinement été reçu ? La question est d’autant plus urgente qu’elle n’est pas sans lien avec la crise actuelle de l’Église. Si nous croyons que les saints sont des surhommes à part, des “stars” que nous plaçons, au sens propre comme au sens figuré, sur un piédestal, non seulement nous ne penserons pas que la sainteté nous concerne, mais par ailleurs nous n’exercerons aucun esprit critique, ne mettrons aucune limite à ceux que nous n’avons que trop tendance à canoniser de leur vivant : tel prêtre particulièrement charismatique, tel fondateur de communauté, un Jean Vanier, un Marie-Dominique Philippe…
Quand Zélie médisait
Si la sainteté est pour tous, il est urgent de déconstruire certaines projections qui nous en barrent l’accès et faussent notre jugement. L’exemple de la mère de Thérèse de Lisieux (dans cette famille, les chiens ne font pas des chats), sainte Zélie Martin, peut nous y aider. Si l’on avait dit à l’intéressée, artisan-commerçante d’une quarantaine d’années, mère de cinq enfants, que l’Église la canoniserait, elle aurait éclaté de rire. Tout au long de sa sévignéenne correspondance, on découvre en effet une femme qui ne gagnerait pas le premier prix de la perfection psychologique, et qui par ailleurs ne cache pas ses fautes. Fragilisée par une enfance sans sécurité affective ni matérielle, Zélie est une âme profondément angoissée, qui s’inquiète en permanence pour ses enfants, son entreprise, l’avenir de la France… Elle voit parfois “tout en noir” et passe, dans les moments les plus douloureux de sa vie, par des états dépressifs terribles.
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Sur le plan moral, elle en convient volontiers, la perfection est loin, comme ce jour où elle réalise qu’elle a dit beaucoup de mal d’une dame qui ne dit d’elle que du bien. On sourit aussi devant cette étonnante lettre où elle explique à sa fille Pauline, 13 ans, comment manipuler son père. Le tout n’étant pas rattrapé par une ferveur extraordinaire : à l’église, elle s’endort, s’ennuie pendant les sermons qu’elle juge parfois être une pénitence de plus, tout en regrettant la liturgie d’autrefois parce que vraiment, maintenant, on se croirait au café-concert !
Laisser Dieu prendre le contrôle
Bref, vous l’aurez remarqué, Zélie est une femme tout ce qu’il y a de plus normale. Et pourtant elle est sainte, et pas une sainte au rabais. C’est précisément dans sa fragilité psychologique, dans ses défauts et ses faiblesses que Dieu est venu la travailler, dans un chemin qui ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais presque invisiblement, avec des hauts et des bas, sur le cours de toute une vie. Petit à petit, Zélie fait l’expérience de son incapacité radicale : elle ne contrôle pas plus les commandes qui font vivre son commerce que les évolutions politiques du pays, elle ne parvient pas à aimer sa fille Léonie de la manière dont celle-ci aurait besoin, elle n’arrive pas à prier comme elle le voudrait. Alors, tout en essayant de faire sa part, chaque jour, avec fidélité, elle laisse de plus en plus Dieu prendre le contrôle dans ces différents aspects de sa vie. Dans ses dernières lettres, quand elle sait sa mort proche, la grande angoissée qu’elle était déborde d’une confiance et d’un amour qui la dépassent. Son exemple incarne alors chacun des mots de sa fille : “Je désire être sainte, mais je sens mon impuissance et je vous demande, ô mon Dieu ! d’être vous-même ma Sainteté.”
“Sainteté, que de saints perdus en ton nom !”
Dans cette perspective, “Soyez parfait comme votre Père est parfait” se comprend alors tout différemment. La sainteté parfaite n’est pas la nôtre, mais celle de Dieu ; elle se fraie un chemin quand nous lui ouvrons notre quotidien pas forcément glorieux, notre pauvre pâte humaine. “Sainteté, que de saints perdus en ton nom !” glissait malicieusement une autre sainte de l’ordinaire, Madeleine Delbrêl. Ne nous trompons donc pas de sainteté…
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