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Michel Faucheux : “Faire son deuil comme une recomposition du paysage intérieur”

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Laurent Ottavi - published on 13/12/20
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Dans “Moi, j’étais fait pour être jardinier” (Salvator), l’historien des idées, Michel Faucheux, raconte l’expérience du deuil après la mort de sa femme. En recomposant sa « géographie intérieure », il médite sur la vie comme celle d’un lieu écologique, un jardin, où se tissent les liens de notre existence. Historien et biographe, Michel Faucheux réfléchit à la possibilité d’un nouvel humanisme qui remet la science à sa place sans la congédier pour autant (La Tentation de Faust ou la Science dévoyée, Archipel, 2012). Dans son dernier essai, il se fait jardinier, sous l’égide du « Christ-jardinier », d’Antoine de Saint-Exupéry et du pape François. À travers l’expérience du deuil, il médite sur le sens de la vie humaine, pensée non comme un temps, mais comme un lieu où s’organise notre existence, à la manière d’un jardin. Il en tire des leçons sur la nécessité d’une conversion spirituelle collective dans l’esprit de l’écologie intégrale de Laudato si’.

Aleteia : À trop penser le temps, nous en oublions la géographie. Votre livre est a contrario un questionnement sur le deuil, dont vous parlez comme « recomposition d’un paysage ». Pourquoi ?
Michel Faucheux : Le deuil s’inscrit, en effet, dans le temps. Il est un processus. Mais, lorsque Danielle, mon épouse, est décédée, j’ai d’abord vécu son départ comme un « dépaysement ». Je perdais le « paysage » que je partageais avec elle et qui n’existait pas sans elle. S’évanouissaient, se déliaient les lieux qui constituaient notre histoire et qui étaient faits de souvenirs communs. Voilà ce que j’ai essayé de dire dans mon livre : le deuil est la perte d’une géographie intérieure qui organise notre existence. L’être humain se constitue aussi par le lieu, le paysage intérieur où il évolue. 

Pour vous, vivre, « c’est faire paysage » ? 
Vivre, c’est, en effet, « faire paysage », tisser, au gré de l’existence, un réseau de liens affectifs avec des lieux, les existants qui composent ces lieux : animaux, végétaux, fleuves, mers, minéraux, vents, choses…  Nos paysages sont à la fois extérieurs et intérieurs. Ils sont faits aussi du souvenir des êtres disparus. Mon paysage intérieur ne se dissocie pas du souvenir de Danielle, il est fait des lieux que nous avons traversés, habités, aimés. Vivre, c’est déployer en soi un paysage que nous abritons, faisons croître et sillonnons, auquel nous nous relions et qui nous relie au monde. Qui nous oriente.

Le Christ est le jardinier de nos âmes

Quel exemple en donne la vie du Christ ?
Ce paysage intérieur, je l’ai identifié à la métaphore du jardin, d’où le titre de mon livre qui reprend l’une des dernières phrases de la dernière lettre de Saint-Exupéry : “La termitière future m’épouvante et je hais leur vertu de robots. Moi, j’étais fait pour être jardinier.” Dans une autre lettre, l’écrivain-aviateur fait en outre la distinction entre « êtres-jardin » et « êtres-cour» : « Et moi, j’ai toujours divisé l’humanité en deux parties. Il y a les êtres-jardin et il y a les êtres-cour. » Nous avons, en effet, pour vocation de devenir des « êtres-jardin », des êtres dont le paysage possède l’apparence symbolique d’un jardin qu’il convient de cultiver. Il faut « se jardiner » pour croître en intériorité, en spiritualité et en humanité. En amour, pour tout dire. Voilà comment je comprends l’épisode du « Christ-jardinier » raconté dans l’Évangile de Jean. Marie de Magdala se lamente devant le tombeau vide et ne reconnaît pas, tout d’abord, le Christ ressuscité qu’elle prend pour un jardinier. L’épisode a valeur symbolique : le Christ est le jardinier de nos âmes, il nous invite à nous « jardiner », à croître et grandir en Esprit. Notre vocation métaphysique est de devenir des « êtres-jardin ». Le jardin est lieu d’origine, de destination et de résurrection. J’essaie dans mon livre de fonder une métaphysique de l’être pensée à partir du lieu et non pas, comme on le fait d’habitude, à partir du temps, de la temporalité.

NOLI ME TANGERE

Abraham Janssens I | Public Domain


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Le titre de votre livre, vous l’avez dit, est tiré de l’œuvre de Saint-Exupéry, qui est marquée par une profonde inquiétude sur la marche du monde. En quoi nous enseigne-t-elle aujourd’hui ?
Le message de Saint-Exupéry demeure d’actualité. L’écrivain voit à l’œuvre l’édification de « termitières », d’une civilisation de gratte-ciels et de dispositifs technologiques grandissants. Il assiste à une technologisation du monde guidée par le profit sans que la question éthique, de l’utilité humaine, soit jamais posée. Il découvre avec désespoir l’évolution d’un monde privé toujours davantage de spiritualité qui fabrique des « êtres-cour » confinés, emprisonnés dans un vide intérieur grandissant, actionnés comme des machines, de plus en plus robotisés. Ce monde, devenu pleinement le nôtre, est un désert de l’âme qui produit des désastres écologiques et des inégalités sociales démesurées. Il met en cause le devenir de l’humanité. L’enjeu est désormais de réinventer un monde soucieux d’écologie, de sortir de la logique de puissance et de domination technologique que la civilisation occidentale a déployée sur toute la planète et d’inventer une nouvelle relation à la nature, faite d’attention et de respect pour la planète, de sobriété et d’amour, où la technologie sera en continuité avec nos écosystèmes. Des pistes se dessinent :  le biomimétisme en est une.

Quel lien faites-vous entre votre expérience d’une « écologie du paysage intérieur » et l’« écologie intégrale » ?
L’écologie du paysage intérieur est une écologie du lien et de la relation : entre moi et autrui, moi et les existants de la nature, les vivants et les morts, l’âme et le monde, la matière et l’esprit. Cet ensemble de liens constitue le paysage en amour et en harmonie. Voilà pourquoi, cette écologie est « intégrale ». Se situant sur un plan métaphysique, elle rejoint le souci exprimé par le pape François dans l’encyclique Laudato si’ de fonder une écologie intégrale qui place en continuité les enjeux spirituels, sociaux et environnementaux.

De quelle nature est la conversion que vous appelez de vos vœux dans votre livre et sans laquelle les mesures politiques, les plus pertinentes soient-elles, ne donneraient d’après vous rien de fécond ? 
L’écologie est souvent identifiée à des mesures politiques, techniques et économiques qui visent à réduire les gaz à effet de serre, le gaspillage, à développer les voitures électriques… Celles-ci sont, bien évidemment, nécessaires. Mais, il faut aller plus loin et comprendre que le « tournant » écologique oblige à une « conversion » spirituelle. Celle-ci nous permettra de penser la nature non pas, dans le sillage de l’ontologie cartésienne et de la Révolution industrielle, comme une matière inerte, marchandisée et exploitable mais, par le biais d’une nouvelle ontologie, comme une source de poésie, de beauté et d’expérience sensible qui nous touche au cœur, nous révèle notre être-jardin. La conversion écologique est affaire de spiritualité et d’amour, elle permet d’accéder à une forme plus accomplie d’existence.

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© Salvator

Moi, j’étais fait pour être jardinier, Écologie du paysage intérieur, par Michel Faucheux, Salvator, 2020, 192 pages, 18 euros. 


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