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Environs de Tours, 372. L’après-midi est splendide. Le soleil inonde la colline où la construction de l’abbaye de Marmoutier va débuter dès demain et le chant des oiseaux berce la méditation de l’évêque ermite. Mais malgré l’ambiance onirique, les pensées de Martin sont agitées. Au départ, il s’était éloigné de la cité de son évêché pour retrouver le calme de la prière et son temps privilégié avec Dieu. Mais c’était sans compter la persévérance des tourangeaux. L’unique et étroit sentier pour arriver à sa cachette et son petit abri de bois n’est pas suffisant pour décourager ceux venus chercher conseil auprès de lui.
Martin lâche un soupir, laissant son esprit voyager dans le temps et s’étonne lui-même de son parcours. En tant qu’ancien officier de l’armée romaine, il ne peut être ordonné prêtre et a refusé d’être diacre pour devenir ermite. Et pourtant, on l’a retrouvé et fait évêque. Des bruits de pas le tirent alors de sa réflexion.
Il songe à Ligugé et au petit ermitage qu’il a fondé près de Poitiers avec sa communauté de moines sans savoir que celui-ci est considéré comme le premier monastère construit en Gaule. Conçu pour être un havre de paix et de prière, les foules étaient quand même venues à lui. Et voilà que l’histoire se répète. Combien de temps pourra-t-il être en paix dans ce nouveau refuge avant qu’on ne vienne le déranger ? C’est alors que Martin remarque une trace rouge sur la tempe de son disciple.
Martin fronce les sourcils. Ce n’est pas la première fois qu’un incident comme celui-ci arrive. Lui-même a déjà subi la colère de gaulois trop attachés à leurs idoles. Si les villes comme Tours et Poitiers ont embrassé le Christ, les campagnes restent superstitieuses. Mais ils ne connaissent que leur terre natale et n’ont jamais entendu parler de Dieu ou du Christ.
La prise de conscience lui arrive comme une gifle en pleine figure. Si les hommes le trouvent partout où il va, alors c’est peut-être que c’est la volonté de Dieu qui est à l’œuvre. Lui qui voulait tant renoncer au monde des hommes pour contempler les merveilles de Dieu, c’est peine perdue. Puis en y réfléchissant bien, les hommes ne sont-ils pas le plus beau chef-d’œuvre du créateur ?
L’évêque ermite lève les yeux au ciel et lâche un soupir d’abandon. Il semble qu’il n’avait pas tout à fait tort de fuir les chrétiens puisque c’est vers les païens et les terres inconnues que le Seigneur le pousse. Après tout, il y a tant à faire sur cette terre de Gaule, où règnent la crainte des idoles et la superstition. La chrétienté n’est pas et n’a jamais été un privilège des hommes lettrés et des citadins.
Un sentiment de tristesse lui serre le cœur alors qu’il songe aux campagnards ignorants de l’amour de Dieu. Puis la colère lui brûle l’estomac, pensant que ces mêmes pauvres gens craignent des morceaux de bois et le mouvement des nuages dans le ciel. D’un pas rapide, il rentre dans la grotte où sont rangés les outils qui vont servir à la construction de l’abbaye. Il se saisit d’une hache sous le regard curieux et quelque peu inquiet de son disciple.
Martin rend l’âme en 397 à Candes après un long combat acharné contre le paganisme, et est fêté le 11 novembre. Ce réseau de conversion des campagnes et de création de nouvelles abbayes établis par saint Martin est sans aucun doute à l’origine de l'organisation de nos paroisses. Le légionnaire qui a partagé son manteau avec le Christ est aussi le grand artisan de la propagation fulgurante de la chrétienté en terre gauloise.