« Dans une certaine mesure, oui. Il y a d’abord la crainte d’être une charge pour autrui en raison d’une longue période d’invalidité. Pour moi cela serait très attristant. C’est une chose que mon père a toujours redoutée, mais cette épreuve lui a été épargnée. Ensuite, bien que je pense en toute confiance que Dieu ne me rejettera pas, plus on s’approche de Lui, plus on ressent avec force tout ce que l’on n’a bien fait. D’où le poids de la faute qui vous oppresse, même si la confiance de fond est toujours présente, évidemment. »
Quand Peter Seewald lui demande ce qu’il dira au Seigneur lorsqu’il sera face à face avec Lui, le pape émérite répond : « Je lui demanderai d’être indulgent à l’égard de ma misère. »
La réponse de Benoît XVI à la question de l’au-delà
Si tout le monde se pose la question de l’au-delà, la réponse de Benoît XVI est particulièrement instructive. Il fait partie des plus grands théologiens des XXe et XXIe siècles, et a consacré toute son existence à contempler et à explorer le mystère de Dieu. À la question, qu’attendez-vous de la vie éternelle, le pape émérite distingue deux niveaux : « Tout d’abord le niveau le plus théologique. » Il cite les paroles de saint Augustin qui sont pour lui d’un « grand réconfort et une grande pensée » : « En commentant le psaume 104 “Cherche toujours Sa face”, il dit : “Ce “toujours” vaut pour l’éternité. » Dieu est si grand que nous ne finissons jamais de le connaître. Il est toujours nouveau. C’est un mouvement perpétuel, infini, de nouvelle découverte et de nouvelle joie. »
Qu’est-ce que la vie éternelle pour Benoît XVI ?
Dans son encyclique Spe salvi (2007), il répondait précisément à la question, à la manière du « théologien à genoux » devant les interrogations les plus intimes de chacun, avec une profonde humanité. Pour lui, la vie éternelle est un désir de vie échappant à la mort, sans trop savoir « ce vers quoi nous nous sentons poussés » : « L’éternité n’est pas une succession des jours du calendrier, mais quelque chose comme le moment rempli de satisfaction, dans lequel la totalité nous embrasse et dans lequel nous embrassons la totalité. Il s’agirait du moment de l’immersion dans l’océan de l’amour infini dans lequel le temps — l’avant et l’après — n’existe plus » (n. 12). Mesurant combien cette dimension hors du temps humain est difficile à saisir, il écrit : « Nous pouvons seulement chercher à penser que ce moment est la vie au sens plénier, une immersion toujours nouvelle dans l’immensité de l’être, tandis que nous sommes simplement comblés de joie. »
Mais où est Dieu ?
D’où cette autre question que lui pose Peter Seewald : « Où est-il réellement ce Dieu dont nous parlons ? » Réponse de Benoît XVI, qui ne peut s’empêcher de rire, raconte le journaliste : « Cet endroit dont vous parlez, celui où Dieu trône, n’existe pas. Dieu lui-même est le lieu qui existe au-dessus de tous les lieux. Si vous observez le monde, vous ne voyez pas de firmament, en revanche, vous voyez partout des traces de Dieu. […] De même qu’il existe entre les hommes une présence psychique — deux être humains peuvent être en contact par-delà les continents parce qu’il s’agit d’une dimension qui n’est pas spatiale —, de même Dieu ne se trouve pas un “quelque part”, il est la réalité. La réalité qui porte toute la réalité. » La raison en est notamment que Dieu est non seulement l’infini, le Créateur, le tout, mais parce qu’Il est une personne : « Le fait qu’Il soit une “personne” signifie qu’on ne peut le circonscrire “quelque part”. » Quant à se faire une image de Dieu, que l’on verra au Ciel comme il se voit Lui-même, Joseph Ratzinger ne se le représente pas sinon « dans Jésus-Christ » : « Qui m’a vu a vu le Père. »
La dimension humaine
À ces réflexions théologiques, auxquelles le théologien Joseph Ratzinger ne peut échapper sans renoncer à être lui-même, s’ajoute un « niveau tout à fait humain » : « Je me réjouis, dit-il à Peter Seewald, de revoir mes parents, mon frère et ma sœur, mes amis et d’imaginer que tout sera de nouveau aussi beau que chez nous, à la maison. » Cette approche familiale et amicale de l’au-delà a également chez Benoît XVI une portée théologique, car pour lui, la béatitude éternelle ne peut pas ne pas avoir un « caractère collectif ». Dans Spe Salvi, il reprend l’enseignement des Pères de l’Église, actualisé par le père de Lubac, pour montrer que « le salut a toujours été considéré comme une réalité communautaire » (n. 14). Au Ciel, la rédemption rétablit l’unité, dans une vie bienheureuse partagée entre tous.
Faut-il se préparer à la mort ?
Reste la question cruciale de la mort elle-même, dont le théologien Ratzinger a toujours regretté que le monde moderne lui ait retiré sa dimension métaphysique, en particulier dans le livre qu’il estime être « le plus accompli », La Mort et l’Au-delà (Fayard, 2005) : comment se préparer au dernier passage ? Pour Benoît XVI, là encore le parcours personnel de la préparation du passage de la vie à la mort et de la mort à la vie intègre toujours sa dimension communautaire : « Je pense qu’il faut se préparer, répond-il. Je ne veux pas dire qu’il y a des actes précis à accomplir, mais qu’il faut vivre intérieurement en sachant qu’on va devoir réussir un dernier examen devant Dieu. Que l’on va quitter ce monde et se retrouver devant Lui, et devant les saints, devant les amis et ceux qui ne sont pas des amis. Qu’il faut accepter la finitude de cette vie, admettre que l’on approche du moment où l’on se présentera devant la face de Dieu. »
Comment faites-vous, lui demande le journaliste ? « À travers la méditation, tout simplement. En pensant encore et encore que la fin n’est pas loin. En cherchant à m’y préparer et surtout à me tenir présent. L’essentiel n’est pas que je me le représente, mais que je vive dans la conscience que toute la vie est l’approche d’une rencontre. »