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Montrer son visage comme une porte ouverte

CHARLES LE BRUN
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Jean-François Thomas, sj - publié le 01/09/20
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Tout comme les peintres peignent le mouvement de l’âme sur nos visages, l’homme a été créé pour exposer son visage et pour découvrir le visage des autres où peut se révéler le Visage de Dieu.

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Anecdote banale dans cette nouvelle ère au sein de laquelle nous entrons, malgré nous et sans résister : un voyage en train entre une grande ville de province et la capitale, en plein été, durant plusieurs heures. Tous les passagers sagement assis, masqués, presque sans gestes, chacun recroquevillé dans la cellule de son siège. Au milieu de ce compartiment-fourgon, un bébé plein de vie, dans son couffin, seul visage découvert au coeur de cette armée des ombres. A ses côtés, sa jeune maman, masquée elle aussi, qui ne regarde que très rarement son enfant, sauf pour lui donner à boire de temps en temps, presque insensible à ses gazouillis, à ses pleurs puis à ses cris. Personne ne bronche, tous sont branchés sur des écouteurs ou penchés sur des tablettes… le regard du nourrisson cherchant désespérément un visage…

Le sourire de la mère, première métaphysique

Le théologien Hans Urs von Balthasar, celui qui a développé dans sa Dramatique divine la première expérience métaphysique humaine, la place justement dans l’échange qui s’opère entre le petit homme venant de naître et le visage de sa mère, et notamment son sourire.

L’enfant n’est pas le seul à avoir besoin du visage aimé pour survivre et vivre. Tout être coupé de cette source est gravement perturbé dans sa manière d’être.

Ayant quitté le refuge rassurant et protecteur du sein de sa mère, l’enfant nouveau-né retrouve ainsi une sécurité et découvre, dans cette relation face à face, le visage de l’amour. De ce contact, résultera souvent, pour la suite, une façon d’appréhender la relation avec autrui, et surtout avec Dieu. Cette expérience sera soit consolante, soit catastrophique. Et nous savons bien que l’enfant n’est pas le seul à avoir besoin du visage aimé pour survivre et vivre. Tout être coupé de cette source est gravement perturbé dans sa manière d’être.

L'Effroi de Charles Le Brun

@BNF

Au XVIIe siècle, en 1668, le célèbre peintre du roi Charles Le Brun prononça, à l’Académie royale de peinture et de sculpture, deux conférences qui firent grand bruit sur L’Expression des passions de l’âme, s’inspirant en partie du Traité des passions de René Descartes en 1649. Il était bien compris, à l’époque, que la grande peinture d’histoire, mythologique ou religieuse, avait pour but d’émouvoir le spectateur par le mouvement de l’âme rendu par le peintre sur les visages des personnages de sa composition. Tout être est guidé par ses passions, bonnes et mauvaises, celles qui sont contrôlées par la raison et celles qui se refusent à la grâce.

À travers le visage de l’autre, nous découvrons bien quelque chose d’une autre réalité, soit celle du Malin, soit celle de Dieu.

Ces passions s’inscrivent sur le visage, elles le modèlent de façon ponctuelle ou plus définitive d’où, parfois, la triste constatation de découvrir qu’un homme porte sur sa figure les vices dont il est l’esclave. Les passions « exercent des fonctions sur le visage », comme l’avait dit Charles Le Brun dans son intervention académique. Il précisait que le visage est la partie du corps où l’âme « fait voir plus particulièrement ce qu’elle ressent. » Pour illustrer son propos, le peintre présenta toute une série de dessins qui furent ensuite largement diffusés, ceux qui inspireront bien des artistes après lui, chacun reproduisant un visage habité par une passion particulière. À travers le visage de l’autre, nous découvrons bien quelque chose d’une autre réalité, qui peut même être celle du Malin, ou celle de Dieu. Aussi, il n’est pas étonnant que les premiers visages qui se sont penchés sur notre berceau influent autant sur le manière dont nous regarderons ensuite le monde et qui, par effet de miroir, modèlera notre visage.



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Dieu et son Visage ne font qu’un

Toute l’Écriture Sainte ne cesse de résonner de l’emploi du mot visage, ceci des centaines de fois, tantôt pour parler du visage de Dieu, tantôt pour décrire le visage de l’homme. Le visage humain révèle parfois le visage de Dieu, Celui que personne ne peut voir face à face, Celui qui se montrera aux hommes dans l’Incarnation du Fils dont le visage fut même laissé en héritage sur le voile de la Passion.

Dieu et son Visage ne font qu’un. S’Il recouvre son Visage, c’est toute la Création qui est plongée dans les ténèbres.

En fait Dieu et son visage ne font qu’un. S’Il recouvre son visage, c’est toute la Création qui est plongée dans les ténèbres. S’Il ne le fait pas connaître, l’homme demeurera toujours dans le désert. Le ministère public de Notre Seigneur consista à faire découvrir, peu à peu, que son visage cachait celui du Père. Constamment les évangélistes nous rapportent combien le croisement du regard avec celui du Christ, l’exposition au visage du Christ, bouleverse les âmes et les vies. Jésus montre son visage et il plante son regard, son sourire sans doute parfois, dans le visage de celui qui est en face de Lui. Tout bascule alors.

Le Malin ne montre jamais son visage

En tant qu’homme, nous sommes constitués de telle façon que notre visage est une porte ouverte ou bien un portail muré. Toute notre âme s’y reflète. Le cacher est une aberration car cela porte atteinte à son origine, le Créateur. L’Église s’est très vite opposée à la mode des masques, surtout au XVIIIe siècle où cacher le bas de son visage est devenu une pratique ésotérique et maçonnique. Le Malin ne montre jamais son visage, il n’utilise que des apparences d’emprunt. Il n’agit que tapi dans l’ombre et il aime ceux qui fardent leurs émotions en les recouvrant à la vue d’autrui. Il est ainsi tellement facile de mentir. Il fut un temps où seuls les libertins et les voleurs se masquaient, pour des raisons évidentes. Soustraire au regard de l’autre qui je suis vraiment est une marque de mépris ou d’agressivité. Il n’est pas difficile d’imaginer quel est le choc ressenti par le bébé qui ne bénéficie plus de la lumière du visage de sa mère.


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D’ailleurs, à ce propos, fin de l’anecdote tristement banale : à la remarque, gentille, adressée à cette jeune maman, que son fils avait peut-être besoin de la voir sans protection, elle répondit vivement et sèchement : « Il faut bien qu’il s’habitue. » Non, chère Madame, votre enfant ne peut pas s’y habituer, et ne doit pas s’y habituer, même contraint et forcé, car il renoncerait alors à une des caractéristiques de sa belle nature humaine ayant été créé pour exposer son visage et pour découvrir le visage des autres et le Visage de Dieu. Un être entouré de visages masqués ne pourra que concevoir un Dieu masqué, c’est-à-dire l’inverse de ce qu’Il est. Voilà pourquoi il est également aberrant qu’un prêtre soit masqué, puisqu’il est, dans la célébration des sacrements, l’image du Christ Lui-même, Celui qui a exposé son Visage aux crachats et au mépris des hommes et Celui dont l’Icône triomphante ne cesse de sauver les hommes de bonne volonté.

Depuis que l’homme veut se passer de Dieu

Nous assistons ainsi à un nouvel épisode de la série de téléréalité commencée il y maintenant plus de deux siècles lorsque l’homme a décidé de se passer de Dieu et d’ériger ses propres lois, bien éloignées de la morale divine et naturelle. Le Malin est à l’œuvre car il joue dans tous les épisodes, excellent réalisateur et acteur, tellement entraînant et boute-en-train. Il constate que chacun de ses pas en avant ne rencontre aucune opposition, mais seulement de la passivité et même de la complicité. Il aurait tort de se gêner, répétant, à qui veut l’entendre que son enfer n’est pavé que de bonnes intentions, alors, pourquoi devrait-on le soupçonner d’avoir une idée tordue derrière la tête… Il se frotte les mains en cachette comme Iznogoud car ses victimes, pour la plupart, n’y voient en effet que du feu, ne réalisant pas que ce vilain cherche tout simplement à effacer du sein de la Création le Visage du Sauveur et le visage de tous ceux qui se disent ses disciples. Et lorsque, parmi ces derniers, un certain nombre vont au-devant de ses initiatives, il ricane d’autant plus.

L’imploration du juste, d’âge en âge, fut toujours : « Seigneur, ne me cachez pas votre Visage. » S’ouvre le temps, peut-être pas provisoire, où le visage de l’autre ne sera plus connu et où un voile impénétrable sera tendu entre Dieu et les hommes parce que ces derniers auront décidé de ne plus rien regarder face à face, à visage découvert. Alors il faudra trembler car nous ne serions plus capables de reconnaître notre Sauveur lorsqu’Il reviendra en gloire.


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